Le Collectif féministe contre le viol aide des victimes de violences sexuelles via sa ligne d’écoute. Avec la détérioration de leurs locaux loués à la mairie de Paris, ces militantes travaillent difficilement, entre dégâts des eaux et nuisibles.
Casque téléphonique sur la tête, Louise est absorbée par le témoignage d’une victime de violences sexuelles qui se livre pour la première fois. « Vous n’êtes pas responsable. Ne pas réussir à dire non ne signifie pas que vous étiez consentante », lui explique, posée, l’écoutante du Collectif féministe contre le viol (CFCV). Machinalement, Louise écrase avec un cahier le cafard monté sur son bureau, sans cesser de rassurer la personne en détresse au bout du fil. Une fois l’appel terminé, la travailleuse sociale débriefe :
« Les cafards, c’est tellement habituel qu’on n’y fait plus attention. On en retrouve même dans le café. »
Installé dans des locaux au sud de Paris, le Collectif féministe contre le viol recueille la parole de victimes et les accompagne via sa ligne d’écoute anonyme et gratuite (1) – le 0 800 05 95 95, la seule dédiée exclusivement aux violences sexuelles. Une mission de service public dont l’État se décharge sur les associations, sans pour autant les soutenir à la hauteur de la charge de travail, alertent les structures via de multiples tribunes. Depuis plusieurs mois, les dégâts des eaux et l’insalubrité croissante des locaux du CFCV ont détérioré leurs conditions de travail, dénonce Sophie Lacombes, chargée de mission :
« Notre travail sauve des milliers de femmes mais il se fait au milieu des cafards, des torrents de merde et des odeurs nauséabondes… »
Le Collectif féministe contre le viol recueille la parole de victimes. / Crédits : Pauline Gauer
Des bouts de scotch ont été disposés pour contenir la prolifération croissante des cafards. / Crédits : Pauline Gauer
Que se passe-t-il ?
Le collectif loue ses locaux à la mairie de Paris depuis sa création en 1985 : quelques pièces d’un immeuble année 1960, dont l’état s’est dégradé au fil du temps. « Auparavant, on avait quelques cafards mais c’était gérable », estime Sophie Lacombes. « Aujourd’hui, ce n’est plus vivable. » Régulièrement, l’intégralité des W.C. de l’immeuble se déversent à l’étage du CFCV par l’une des toilettes du palier, provoquant des inondations nauséabondes.
Depuis plusieurs mois, le Collectif féministe contre le viol fait face à des dégâts des eaux. / Crédits : Pauline Gauer
Le sol est abîmé, les plinthes gondolées. « On a dû raboter des portes gonflées car elles étaient difficiles à ouvrir », explique la chargée de mission. Des bouts de scotch ont été disposés pour calfeutrer l’ancien vide-ordures et contenir la prolifération croissante des cafards, du fait des excréments. « À force, on sait où poser nos affaires pour ne pas ramener de cafards chez nous ! » Elle ajoute, sérieuse :
« Ça arrive qu’on se retrouve les pieds dans la merde et même contraintes de nous réorganiser en catastrophe. »
À quatre reprises depuis cet été, les W.C. ont tellement débordé que le personnel a été forcé d’évacuer les locaux. Si les écoutantes poursuivent leur appel, le reste de l’équipe tente de contenir le dégât des eaux pour protéger les précieuses archives. Elles regroupent tous les témoignages reçus depuis la création du collectif. « Les victimes peuvent nous les réclamer pour s’en servir comme preuve lors de procès », contextualise Sophie Lacombe. « On a écrit à la hâte sur un post-it aux collègues en ligne de ne pas prendre de nouveaux appels », s’émeut Louise, l’écoutante :
« Ça fait mal au cœur : durant plusieurs heures, le temps de basculer en télétravail ou de faire intervenir en urgence une entreprise, la ligne d’écoute sonne dans le vide et des victimes restent sans réponse. »
Sophie Lacombes, chargée de mission au Collectif féministe contre le viol. / Crédits : Pauline Gauer
Continuer le travail
Depuis 2017 et le mouvement MeToo, le CFCV a vu ses appels augmenter de 10 % à 20 % par an. « On parvient encore à traiter toutes les demandes des victimes mais la ligne est surchargée », s’inquiète Sophie Lacombes. Malgré des subventions de l’État que le collectif estime insuffisantes, il a réussi à créer trois postes et une nouvelle ligne d’écoute en 2021 : celle dédiée aux violences sexuelles dans l’enfance (2), en plus des deux équipes de six écoutantes chargées de la ligne historique pour les victimes de violences sexuelles. « On les a installées dans la pièce où on prenait nos repas », s’indigne Sophie Lacombes. « La seule pièce inutilisée est constamment dans le noir, ses volets électriques ne fonctionnant plus… »
En 2021, le collectif a ouvert une ligne d’écoute dédiée aux violences sexuelles dans l’enfance. / Crédits : Pauline Gauer
Au grand soulagement de l’équipe, aucune inondation n’a eu lieu en présence de femmes venues participer à un groupe de parole ou pour un entretien individuel avant un procès. Mais la dégradation des locaux et des conditions de travail exige une énergie supplémentaire de la part des salariées, en plus de leur mission d’aide aux victimes.
Informée de la situation, le service Logement de la Mairie de Paris assure par mail « chercher activement une solution de relogement dans son patrimoine ». Mais se défausse :
« Minoritaire dans cette copropriété, la mairie de Paris intervient régulièrement auprès du syndic pour lui demander de remédier aux désordres. »
Quelques offres de relogement ont été proposées depuis l’été au CFCV. « Soit elles ne rentraient pas dans notre budget, soit elles ne répondaient pas aux impératifs qu’exige notre mission, comme un accès discret et protégé pour sécuriser la venue de victimes », détaille Sophie Lacombes. En attendant, le CFCV en appelle aux dons pour pérenniser ses finances (3) et il continue de répondre quand le téléphone sonne. « Aider les victimes, réussir à les sortir des violences, ça vaut tous les cafards du monde », tente de dédramatiser Louise.
(1) « Viol Femmes Informations », ligne d’appel gratuite, anonyme, accessible du lundi au vendredi de 10h à 19h : 0 800 05 95 95
(2) « Violences Sexuelles dans l’Enfance », ligne d’appel gratuite, anonyme, accessible du lundi au vendredi de 10h à 19h : 0 805 802 804
(3) Une cagnotte en ligne existe ici