08/10/2024

Il a milité pour des néofascistes, Zemmour et le RN

Rhumeries, boîtes de nuit et néonazis : le drôle de business de Morgan Trintignant

Par Daphné Deschamps

Neveu de l’acteur Jean-Louis Trintignant et fils du pilote de course Maurice Trintignant, Morgan Trintignant est un patron à la tête d’un réseau de bars et de boîtes de nuit. C’est aussi un militant d’extrême droite radicale aux multiples connexions.

Arles, 12 juin 2021 – Les passants du marché ont une drôle de surprise à côté des étals. Une équipée curieuse leur tend des tracts pour le Rassemblement national (RN), qui présente un candidat aux élections départementales locales, comme l’ont alors repéré les médias Le Ravi et l’Arlésienne. Il y a des militants à l’accent allemand, aux polos noirs « frappés d’une flamme blanche et anguleuse », qui viennent de l’AfD, parti d’extrême droite ultra-nationaliste au sein duquel grandit depuis des années une tendance néonazie qui dresse des plans de « rémigration » massive. Mais également un curieux dandy à la chemise noire bien ouverte, au pantalon de costume et au sourire ultra-bright : Morgan Trintignant. Interrogé par le Ravi sur cette connexion teutonne, ce dernier lâche :

« Vous savez, depuis 1945, les Allemands ont changé. Dans la délégation, il y en a même deux qui sont juifs ! »

Ainsi va Morgan Trintignant, sorte de OSS 117 au premier degré, avec une dose entrepreneuriale. Côté pile, le trentenaire est un entrepreneur à succès. Fils du pilote automobile Maurice Trintignant et neveu de l’acteur décédé Jean-Louis Trintignant. Il ne manque d’ailleurs jamais l’occasion de souligner son patronyme dans la presse locale à chaque fois qu’il ouvre un lieu festif, quand bien même la plupart des amis de l’interprète de Et Dieu créa la femme ne connaissent absolument pas son existence. Côté face, l’homme qui possède un petit empire de bars à rhum souvent prisés des étudiants, est un militant et un grand soutien de l’extrême droite, avec un CV long comme le bras sur lequel on retrouve pêle-mêle des participations au RN ou au parti Reconquête de Zemmour mais aussi à des groupuscules néofascistes. Et ses bars sont l’occasion de collaborer avec des néonazis ou des identitaires.

Un employeur de militants radicaux

Que ce soit dans son fief du Mans (72) mais aussi à Aix-en-Provence (13), Clermont-Ferrand (63), La Rochelle (17), Bordeaux (33) ou Chamonix 74), Morgan Trintignant est le patron des Barracuda. Une sorte de bar-rhumerie au décor de pirates et à la communication parsemée de clichés sexistes. Selon le décompte de StreetPress, il possède aujourd’hui huit bars, 10 restaurants, une boîte de nuit et plusieurs sociétés immobilières. Pas mal pour un entrepreneur qui a beaucoup pesté dans la presse d’extrême droite ou locale lors du Covid, critiquant un « macronavirus » et défendant le professeur Raoult, jusqu’à se présenter comme « un chômeur en fin de droits ».

Mais le personnage commence à être connu des antifascistes locaux, qui associent même parfois le regain d’activité de la mouvance dans la région à l’ouverture des débits de boisson de Morgan Trintignant. Au Mans, son Barracuda local ou La grande époque, une discothèque que l’entrepreneur a lancé en 2022, ont été la cible de tags lors de manifestations à plusieurs reprises. Via ses bars, Morgan Trintignant s’associe à ses accointances radicales. Dans le troquet des Bouches-du-Rhône, les clients peuvent par exemple croiser Jérémie Piano derrière le zinc, un militant d’extrême droite bien connu de la justice. Cet ancien porte-parole de Génération identitaire, dissout pour son discours de haine et ses liens avec des groupuscules défendant des théories suprémacistes, a lui-même déjà été condamné pour incitation et provocation à la haine raciale. Ce qui ne l’a pas empêché d’être investi par Reconquête aux législatives de 2022.

Ce n’est pas le seul associé sulfureux. Pour créer La grande époque, sa discothèque vintage du Mans, le militant est même allé chercher un profil carrément néonazi : Tanguy Eude. Fondateur, chanteur et parolier du groupe de rock identitaire Francs-Tireurs Patriotes (FTP), ce skinhead au CV long comme son bras tendu est un admirateur assumé du SS Léon Degrelle. FTP a le vent en poupe ces dernières années chez les nervis d’extrême droite, qui utilisent souvent leurs morceaux pour illustrer leur communication. Un des derniers groupes de rock identitaire français avec une discographie de plus de quatre morceaux et qui se produit régulièrement sur scène – souvent dans des concerts organisés par des groupuscules, comme les néofascistes versaillais d’Auctorum, ou les réactionnaires anti-IVG de la Marche pour la vie. En tous cas, avec FTP, on est loin des promesses de pop et de variété française des années 1970 à 2000 que Morgan Trintignant promettait à ses futurs clients lors de l’ouverture de sa boîte.

Triple militantisme

Le patron de troquet semble agir comme un trait d’union entre l’extrême droite notable et celle plus radicale. Dans ses followers Instagram se trouvent des profils comme Emmy Font, compagne du sénateur d’extrême droite Stéphane Ravier, et cadre du très droitier Institut de formation politique, ou encore Elie Davy et Raphaël Ayma. Le premier est un ancien cadre du mouvement néofasciste Bastion social à Aix et Marseille (13) et qui a travaillé pour la municipalité d’extrême droite à Orange (84). Le second est le leader du successeur du Bastion, Tenesoun, et un éphémère attaché parlementaire RN.

Les militants de Tenesoun figurent parmi les clients réguliers du Barracuda d’Aix-en-Provence. Morgan Trintignant a d’ailleurs participé à au moins une action de ce dernier groupuscule, quand il a déployé en janvier 2021 avec quelques autres militants une banderole qui faisait référence au meurtre d’Axelle Dorier, au-dessus d’une bretelle d’autoroute. Lors de la publication de la photo sur le compte Facebook du mouvement, il y plaisante avec un des principaux militants, Stanislas Garel.

Morgan Trintignant a surtout fondé en 2020 un collectif « apartisan » : les chemises blanches. Dans la lignée d’une agit-prop similaire à Génération identitaire, lui et d’autres militants ont fait quelques actions théâtralisées entre 2020 et 2021. Une fois, c’était pour dénoncer les « actes anti-chrétiens », une autre, la velléité de la mairie de Rouen (76) de remplacer une statue de Napoléon par une de Gisèle Halimi, ou encore l’absence de sapin de Noël municipal à Bordeaux. Les chemises blanches ont surtout fait de la retape sur le cours Mirabeau à Aix en mars 2021 pour l’ouvrage de Charles Prats, magistrat médiatique et controversé, depuis investi comme candidat Ciotti-RN aux dernières élections législatives. Le patron des Barracuda a surtout glané quelques articles dans la presse locale quand les chemises blanches ont été parmi les premiers à soutenir une candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle. En avril 2021, les revoilà sur la principale rue de la cité provençale avec une banderole « 2022 » ceinte du visage du polémiste. Ce qui ne l’a pas empêché, en même temps, de faire campagne pour le RN et sa compagne Alexia Flayol-Trintignant, candidate aux élections départementales de 2021, avec les militants allemands de l’AfD. Une façon sans doute de tenir la punchline guerrière qu’il a montée avec le reste des chemises blanches :

« La France partout, par la raison ou par la force. »

Et aussi par le rhum.

Contacté, Morgan Trintignant nous a déclaré « reconnaître l’exactitude de certains de nos énoncés » mais n’a pas souhaité répondre plus amplement à nos questions.

Illustration de Une par Timothée Moreau.