10/09/2024

Aux législatives, il n’a réuni que 4,25% des voix

Nicolas Battini, l’ancien poseur de bombes qui rêve d’un nationalisme corse d’extrême droite

Par Julie Déléant

À 17 ans, Nicolas Battini lisait Marx et Sankara. À 20 ans, indépendantiste corse, il pose une bombe qui n’explose pas. Après six ans de prison, il travaille pour les autonomistes modérés avant de fonder un micro-parti d’extrême droite identitaire.

Sur le plateau de France 3 Corse, Nicolas Battini s’érige contre « la submersion migratoire extra-européenne », « les théories du genre et l’écriture inclusive (…) importées par l’extrême gauche parisienne ». Un discours identitaire radical mâtiné d’un nationalisme corse plus modéré. Le doctorant en histoire jouit déjà d’une petite notoriété sur l’île. Ancienne force vive des syndicats étudiants nationalistes, il a passé six ans derrière les barreaux pour avoir participé à une tentative d’attentat. Il a ensuite rejoint les rangs de Femu a Corsica, la mouvance autonomiste auquel appartient l’actuel président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, avant de fonder le parti d’extrême droite Mossa Palatina.

« Le roi des opportunistes », grincent ses opposants. « Demain, tu verras que si Édouard Philippe lui propose un poste, il te soutiendra qu’il est convaincu par Édouard Philippe », glisse même l’un d’eux. À seulement 31 ans, Battini a en effet fricoté avec toutes les couleurs du spectre politique, ou presque. Après un parcours scolaire que sa mère décrit comme « parfait » à l’école bilingue Sandreschi de Corte, ses notes chutent brutalement en seconde. « Rejet scolaire total et une profonde inspiration à la liberté », explique-t-il. Il se tourne vers un CAP agricole, qu’il obtient à 17 ans. En contact avec un nationalisme « rural » et « de gauche », l’adolescent lit Marx, Sankara, La Boétie, Pierre Rabhi et des auteurs corses comme Rinatu Coti.

C’est durant ses années « travailleur précaire » qu’il se rapproche du syndicat étudiant autonomiste Cunsulta di a Ghjuventù Corsa (CGC), et s’immerge par la même occasion dans le monde du militantisme. Car chez les Battini, « une famille de fonctionnaires [son père est policier et sa mère secrétaire dans l’éducation nationale] très attachée à la symbolique républicaine », on ne sert pas la soupe aux nationalistes. Mais le jeune Battini serait aussi fasciné par le mythe des « ribelli », les militants du Front de libération nationale Corse (FLNC), et des prisonniers politiques corses. « Je veux qu’on lise “Libertà per Battini” sur les murs », glisserait-il même à certains proches. Lorsqu’une poignée de membres de la CGC, les plus radicaux, décide en novembre 2012 de faire scission pour former le bras estudiantin de la lutte armée, la Ghjuventù Indipendentista (GI), il est en première ligne. Et dans un reportage diffusé sur Canal+ quelques mois plus tard, c’est à visage découvert qu’il réclame « l’indépendance nationale, à tous sens du terme, [du] pays, la Corse ». Et ce, quitte à « utiliser certains moyens pour faire pression sur l’État ».

À 20 ans, le jeune nationaliste bascule dans le terrorisme. Le 27 mai 2013, « Niculaiu » est interpellé chez François Santoni, le président des GI. Il est suspecté, avec Stéphane Tomasini et Ghjiseppu-Maria Verdi, petit-fils de l’ancien chef présumé du FLNC, d’avoir participé dans la nuit du 1er avril 2012 à une tentative d’attentat à la voiture-bélier contre la sous-préfecture de Corte. L’explosif bricolé n’a pas explosé, mais l’ADN colle. Le même que celui relevé sur les lieux d’un autre attentat raté au mois de février, cette fois contre l’Office de l’environnement. Les relevés téléphoniques rassemblés dans l’ordonnance de mise en accusation, que StreetPress s’est procurée, chargent la mule. Au lendemain de la « nuit bleue » du 7 décembre, au cours de laquelle le FLNC revendique 31 attentats sur l’île contre des résidences secondaires, Battini laissait éclater sa joie dans un SMS envoyé à des proches :

« Cette nuit bleue te raconte une lutte de gloire où les clandestins corses ont mis les Français dehors. Ce soir la voix de Pasquale [Paoli, considéré dans le roman insulaire comme le père de la nation, ndlr] et de tous les autres chantent : la Corse c’est nous ! C’est nous et seulement nous ! ».

Après quatre jours de garde à vue, il est placé en détention.

Les années prison

À tout juste 19 ans, Nicolas Battini est envoyé pour quelques mois à la prison de la Santé (75) avant d’être transféré à Bois-d’Arcy (78), où il passera les trois prochaines années de sa vie et sa licence de corse. Seul en cellule – comme tous les détenus placés sous la juridiction antiterroriste – il est un prisonnier particulièrement solitaire, voire ascétique. Entre les repas qu’il ne prend jamais, préférant cantiner lui-même ses aliments, et les promenades qu’il refuse l’après-midi pour travailler, Battini passera, jusqu’à son transfert à Borgo en 2016, en moyenne 22 heures sur 24 en cellule, rapporte une connaissance de l’époque. Quand il ne bûche pas, le jeune activiste alimente son compte Facebook, celui d’un « prisonnier politique » à la jeunesse volée « par les prisons françaises ». Quelques semaines avant son jugement, il pose, souriant, la main posée sur une pile de livres. « Il a compris très vite ce que les réseaux sociaux, et plus tard les médias, pouvaient lui apporter, analyse un universitaire de Corte à la retraite, fin observateur de la politique locale. C’est d’ailleurs à eux qu’il doit sa notoriété. »

Lorsque son procès s’ouvre enfin, le 28 septembre 2016, le vent de l’histoire a tourné : les nationalistes menés par Gilles Simeoni siègent pour la première fois à l’Assemblée, le FLNC a raccroché les armes. Comme figé dans un passé désormais révolu, Battini entre à la cour d’assises de Paris le poing levé, scandant un « Viva a Nazione » et rejouant la scène des premiers procès du FLNC à la fin des années 70. « Une entrée à la basque » à laquelle « les nationalistes corses n’avaient plus habitué », glissera même un greffier à France 3. De Corte à Bastia en passant par Ajaccio, la jeunesse prend fait et cause pour le militant, érigé en martyr. « C’est là qu’il est devenu une figure “légitime” du mouvement, un enfant sacrifié victime d’une France qui exagère tout dès qu’il s’agit de la Corse », analyse Livia (1), lycéenne au moment des faits et présente dans les cortèges.

Puis le feu s’éteint, la vie reprend. Derrière les barreaux, le logiciel politique de Nicolas Battini change. Tout a débuté, selon son propre storytelling, le 13 novembre 2015. Ce soir-là, Nicolas Battini étudie en cellule, il a fait retirer sa télé et n’a plus de radio. Il raconte entendre « des hourras pendant une bonne heure », ne pas comprendre. Quand il apprend qu’un attentat vient d’être commis au Bataclan, il se sent pour la première fois « menacé, en tant qu’Européen », au milieu « d’une majorité de détenus arabo-musulmans ». Dès lors, le jeune indépendantiste « ressent une appartenance occidentale » et « culpabilise ». « Ça va contre la théorie militante. Je l’intériorise, je suis dans le “pas d’amalgame” en termes de résistance psychologique. Je me dis que c’est ponctuel, conjoncturel, que ça n’invalide pas Sankara ! Mais je ressens que c’est profond », confie-t-il. « La certitude » viendra quelques années plus tard, dit-il, après l’agression de deux surveillants à la maison d’arrêt de Borgo en 2018 par un détenu radicalisé, alors qu’il finit de purger sa peine.

Second(s) souffle(s) politiques

À sa sortie au printemps 2019, après six ans derrière les barreaux, Battini est accueilli par ses proches et quelques leaders indépendantistes. Désormais libre, à 25 ans, il annonce dans Corse-Matin se lancer dans un projet d’élevage porcin dans son village de Bustanicu. La solitude et le mal du pays, du temps de son incarcération à Bois-d’Arcy, lui ont, dit-il, permis de mesurer « à quel point il était important » de « garder un lien culturel avec sa terre ». Un interlude paysan, raillé par certains voisins : Battini passerait plus de temps à Bastia qu’auprès des troupeaux. Il va en tout cas rapidement revenir à la politique, et pas forcément là où on l’attend : en intégrant début 2021, en tant qu’attaché parlementaire, les rangs de Femu a Corsica, le parti des autonomistes au pouvoir. Il range pour de bon sa fièvre indépendantiste au placard. « Un petit grand écart. On voit plus souvent des autonomistes devenir indépendantistes que l’inverse. Passer de la défense de la lutte armée à un mouvement qui le condamne… Disons que c’est un cours moins naturel », observe l’ancien président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni. Un glissement « vers un nationalisme de la tranquillité » que Battini, qui assume « une ligne très droitière », justifie quant à lui par un « rejet du logiciel nationaliste des années 70 ».

Dès les premiers mois, l’un de ses collaborateurs de l’époque discerne des « tendances conservatrices, au sujet de l’écriture inclusive par exemple », mais que le parti, qui se décrit comme « humaniste et progressiste », ne juge alors « pas rédhibitoires ». Battini se voit même confier le pilotage du pôle « idées » de Femu. « On s’est aperçu plus tard qu’il avait essayé de tirer profit de sa mission pour imposer ses idées et sa ligne proche d’Éric Zemmour », poursuit le collaborateur. Battini reconnaît, à l’époque, « tanner Gilles [Simeoni, le président du Conseil exécutif de Corse, ndlr], pour un positionnement sur les questions démographiques », et sa volonté de « créer un parti dans le parti ». C’est dans ce contexte qu’il présente, en décembre 2021, son association culturelle, Palatinu. Le profil des premiers adhérents : « Jeune nationaliste de 30 ans, clairement de droite, qui en a marre d’avaler des couleuvres. » D’abord discrète, elle se fait remarquer après la publication de clichés pris durant un banquet en Corse-du-Sud, sur lesquels une cinquantaine de membres de Palatinu, des hommes principalement, posent en costume et béret façon « Peaky Blinders ». « Une provocation pour rompre avec la figure du treillis-rangers », avoue aujourd’hui Battini. Bingo : il décroche la Une du Corse-Matin.

Son association Palatinu, d’abord discrète, se fait remarquer après la publication de clichés pris durant un banquet en Corse-du-Sud, sur lesquels une cinquantaine de membres posent en costume et béret façon « Peaky Blinders ». / Crédits : DR

Au fil des mois, les charges de Battini contre les autonomistes deviennent de plus en plus frontales. Le décès au printemps 2022 du militant indépendantiste Yvan Colonna (condamné pour l’assassinat du préfet Érignac en février 1998), après avoir été agressé par l’un de ses co-détenus, un terroriste islamiste, viendra mettre le point final à leur courte collaboration. Quand Simeoni fustige l’État français, pour Battini le coupable n’est ni blanc, ni bleu, ni rouge mais devine-t-on, plutôt racisé : « l’islamisme ». Pense-t-il trouver dans l’assassinat de l’icône insulaire une charge symbolique assez forte pour faire basculer la désillusion nationaliste vers une réponse identitaire ? C’est en tout cas ce qu’il laisse entendre dans la lettre de démission qu’il fait parvenir à Femu au mois de décembre. Battini met en garde ses désormais opposants politiques : une partie des « masses rurales et périphériques », frange « majoritaire » d’une société corse souffrant « quotidiennement de la question migratoire », se reportera « un jour sur une offre politique, autonomiste ou non, qui osera évoquer et traiter ces immenses enjeux ».

Racisme décomplexé

À l’heure de souffler sa première bougie, l’association revendique 500 adhérents répartis dans huit sections, dont une à Paris. Dans la revue de Palatinu, lancée au printemps 2023, la plume des rédacteurs (exclusivement masculins jusqu’au 34e numéro) s’est décomplexée, comme dans un pamphlet de l’étudiant en philosophie Ghjuvan Francescu Luciani contre les « phasmosexuels » – des « fantômes sexuels » à en croire l’étymologie grecque du néologisme – décrits comme des « ratons à visage humains ».

Battini, lui, se rue sur les micros tendus par les médias nationaux d’extrême-droite, de Radio Courtoisie à Valeurs Actuelles. Il fricote aussi avec la Nouvelle droite, cette école de pensée qui a théorisé la doctrine identitaire. Mais quand il ne lorgne pas de l’autre côté de la Méditerranée, c’est outre-Atlantique que s’élance le regard du Corse. « Je suis plus proche d’un Trump que d’un Zemmour », lance-t-il. De l’ancien président américain, Battini apprécie « le goût de la provocation », « la ligne très libérale » et « le populisme ». Un intérêt prononcé pour la rubrique faits-divers, aussi, surtout quand elle offre l’opportunité de charger les Maghrébins.

Mais s’il s’engouffre volontiers dans les polémiques, Nicolas Battini n’apprécierait, selon certains opposants, en revanche pas vraiment la critique. L’un d’eux assure qu’il peut, lors d’échanges privés, se montrer « redoutable, quand il n’est pas carrément menaçant ». Des simples connaissances jusqu’aux responsables politiques, la plupart des intervenants de cette enquête ont ainsi préféré rester anonymes, préférant ne pas avoir de « comptes à régler » avec Battini, résumera un ancien professeur de l’université de Corte. Le président du Conseil exécutif corse, Gilles Simeoni, a lui aussi refusé de s’exprimer. « [Battini] n’attend que ça, pour faire sa pub », justifie un membre du cabinet.

Le virage électoral

Le 9 mars 2024, au palais des congrès d’Ajaccio, c’est le grand soir. Nicolas Battini exulte et lance officiellement son parti, Mossa Palatina, devant un parterre de quelque 450 partisans. Gonflé à bloc sur la BO du film 1492 de Ridley Scott, il désigne au pupitre son « ennemi tricéphale », « jacobinisme, wokisme et islamisme », et invite ses sympathisants à « monter à l’assaut des bastions » du « faux nationalisme perverti par la gauche ». Rien que ça.

Le lendemain, le militant s’envole pour la capitale française où un autre meeting l’attend, cette fois côté public : celui de Marion Maréchal-Le Pen, candidate Reconquête aux européennes. Avec 12,8% de suffrages, c’est en Corse qu’Éric Zemmour avait obtenu son meilleur score à l’élection présidentielle en 2022. Dans la salle, les drapeaux français ont remplacé les drapeaux corses. Immortalisé par un photographe aux premiers rangs, Battini assume. « C’est une amie », glisse-t-il. Des amis, le fondateur de Mossa Palatina s’en fait d’ailleurs sans mal dans les rangs de l’extrême droite. Damien Rieu, candidat aux législatives en 2022 sous la bannière Reconquête, ne tarit pas d’éloges sur son homologue corse. « Courage, volonté, remise en question, lucidité, discipline, homme de pensée autant que d’action », Battini va – selon lui – « marquer l’Histoire de son île dans les années qui viennent ».

Une proximité avec le parti d’Éric Zemmour qui n’empêchera pas Mossa Palatina, lors de sa campagne pour les législatives, de tenter un rapprochement avec le RN et le candidat François Filoni (troisième avec 14,77% des voix en 2022). Mossa Palatina n’a rassemblé qu’entre 2,72 et 4,25% des suffrages selon les circonscriptions. Battini fait contre mauvaise fortune bon cœur : enfin, les Corses réclament « une politique ferme en matière d’immigration ». Quid des problématiques environnementales, de l’écart grandissant entre les plus riches et les plus pauvres ou de la gestion mafieuse des marchés publics ? Sur ce dernier point, le candidat préfère botter en touche : « Nous ne sommes pas dans la même dimension du débat ». « La criminalité organisée pèse sur le corps social, c’est évident. (…) Mais quand on parle du wokisme et de l’islamisme, on parle de la disparition d’un peuple », développe Battini. La Corse aux Français d’abord ?

(1) Les prénoms ont été changés.

Illustration de Une de Nayely Rémusat.