13/02/2024

Une des victimes s’est fait lacérer le visage

Agression de l’extrême droite à Lyon : « J’ai eu de la chance, il n’y a que quatre coups de couteau qui m’ont touché »

Par Daphné Deschamps ,
Par Arthur Weil-Rabaud

Le 2 février 2024, après une soirée à Lyon, trois amis sont victimes d’une agression raciste extrêmement violente. Six identitaires les tabassent, et l’un d’eux leur inflige une vingtaine de coups de couteau. Deux victimes témoignent à StreetPress.

« Ils étaient trois sur moi, je pensais juste à partir, que ça s’arrête. » La voix de Sofiane (1) tente d’être affirmée, mais des pointes d’émotion se laissent percevoir. Avec deux amis, Bilal (1) et Hugo (1), ils ont été victimes d’une agression raciste ultra-violente, entre passage à tabac et une vingtaine de coups de couteau à la sortie d’un bar dansant lyonnais (69), le Boston Café, dans la nuit du 1er au 2 février. 17 coups de couteau leur ont été portés, visant principalement leur visage, leur cou et leur cage thoracique. L’un d’entre eux a perdu une partie de sa vision gauche, un autre a une paralysie d’une partie de son visage. Les trois sont laissés gisants dans leur sang par leurs agresseurs, qui se réjouissent d’avoir « bien fait le ménage » et les traitent de « sales Arabes ».

Ces derniers sont des militants d’extrême droite issus des Remparts, groupuscule lyonnais né sur les cendres de Génération Identitaire. Deux d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison et d’inéligibilité pour cette agression : Sinisha Milinov, l’ancien porte-parole des Remparts et de la Cocarde Lyon qui a quitté le mouvement pour devenir influenceur identitaire, et Pierre-Louis Perrier, un jeune militant des Remparts, auteur des coups de couteau. Le caractère raciste de l’agression a été reconnu par la justice.

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« À la base, on ne devait pas aller au Boston », se rappelle Sofiane, « et on n’aurait jamais dû y aller ». Dans ce bar dansant de la place des Terreaux, dans le 1er arrondissement de Lyon, le jeudi soir est semblable à n’importe quelle soirée étudiante. Alors que la fête touche à sa fin, un groupe de cinq hommes se plante devant Bilal, « comme des sbires, en rang militaire », se souvient le jeune homme. Parmi eux, Pierre-Louis Perrier, qui engage la discussion de manière agressive dès le départ. Le jeune militant des Remparts s’énerve vite, le ton monte entre les deux fêtards. « Il avait l’air turbulent, agressif, énergique et certainement très alcoolisé d’un point de vue extérieur », se souvient Sofiane. Pierre-Louis Perrier est expulsé de la boîte de nuit après avoir griffé son opposant au visage. La soirée se termine et Sofiane, Bilal et Hugo ne pensent déjà plus à l’altercation lorsqu’ils sortent avec une dizaine d’autres amis. Ils recroisent les militants d’extrême droite devant la boîte, s’invectivent rapidement, puis s’éloignent. Petit à petit, le groupe se disperse et Sofiane, Bilal et Hugo se retrouvent seuls. Alors qu’ils se dirigent vers l’Hôtel de ville, un groupe de cinq personnes, dont Pierre-Louis Perrier et Sinisha Milinov, les suivent. Bilal se souvient :

« On aurait dit qu’ils préparaient un truc. »

Coups de couteau au visage et au cœur

La défense des zids à leur procès repose sur une ligne simple : les trois fêtards auraient reconnu Milinov et s’en seraient pris à lui en raison de son militantisme identitaire. Mais eux affirment ne « pas faire de politique » et ne pas connaître à ce moment-là les engagements de leurs agresseurs. « Bilal a tenté de s’expliquer tranquillement avec Pierre-Louis Perrier, mais il l’a insulté en retour », raconte Sofiane, qui essaye de discuter avec Sinisha Milinov. Celui-ci refuse la discussion et sur les images de vidéosurveillance, on le voit pousser Sofiane violemment avant de s’en prendre à lui avec deux de ses comparses.

Le passage à tabac dure, selon Sofiane, « 15 secondes à peine », durant lesquelles ses agresseurs lui infligent « au moins huit coups-de-poing et quatre coups de genou », visibles sur les vidéosurveillances. Pendant ce temps, Pierre-Louis Perrier a sorti un couteau de sa poche. Il lacère le visage de Bilal et son cou, vise Hugo et attaque six fois Sofiane au niveau du cou, de l’arcade, de la cage thoracique, du cœur et des poumons. « À aucun moment, on n’a vu le couteau », tente de se souvenir Bilal. Sofiane ironise :

« J’ai eu de la chance, il n’y a que quatre coups sur les six qui me visaient qui m’ont touché. »

Traumatisés

Puis, les militants d’extrême droite s’éloignent, laissant leurs trois victimes dans une mare de leur propre sang, non loin du commissariat du 1er arrondissement de Lyon. « On ne sent rien, et c’est une fois qu’ils sont partis et qu’on voit le sang qui coule à flots qu’on s’en rend compte », se rappelle Bilal. « Je sentais que mon visage était mouillé, comme s’il pleuvait », évoque Sofiane d’une voix hésitante :

« Je me suis essuyé avec ma main gauche, et c’est quand j’ai vu qu’elle était couverte de sang que j’ai compris ce qui s’était passé. »

Sofiane, Bilal et Hugo passent la journée aux urgences, avant de retourner au commissariat porter plainte. Sofiane et Hugo bénéficient de huit jours d’ITT. Quant à Bilal, sa situation médicale se dégrade et il en reçoit finalement une vingtaine. Son arcade a été tranchée, et il a perdu beaucoup de sang :

« À quelques minutes près, ils auraient dû me placer dans un coma artificiel. »

Il a désormais une paralysie permanente au niveau de l’arcade droite et des cicatrices au visage et sur le crâne. Sofiane, lui, a perdu une partie de sa vision dans l’œil gauche. Tous deux auront probablement des dommages corporels permanents suite à cette agression.

Pierre-Louis Perrier et Sinisha Milinov ont respectivement été condamnés à deux ans et six mois de prison ferme suite à cette agression. « Mais c’est malin de leur part d’avoir accepté d’être jugés en comparution immédiate », analyse une habituée des tribunaux lyonnais, « car ce jugement ne prend pas en compte ces potentielles invalidités permanentes, puisqu’elles ne sont pas encore déterminées. » Si elles sont confirmées, Sofiane, Bilal et Hugo envisagent de porter plainte au civil contre leurs agresseurs.

S’ils tentent de reprendre une vie normale, les jeunes hommes restent traumatisés douze jours après l’agression. Aujourd’hui, ils sont toujours sous de lourds traitements, entre codéine, anti-inflammatoires et anxiolytiques, et enchaînent les rendez-vous avec des spécialistes et des psychologues. Pour Bilal, « le plus dur, c’est le mental. Les blessures physiques, ça se répare. » Comme ses deux amis, il avait déjà entendu parler de cas d’agressions racistes à Lyon, mais n’imaginait pas que cela pourrait un jour le toucher. Choqué, Sofiane angoisse pour la suite : « On vit dans la crainte et l’appréhension d’être retrouvés. » Il concède, inquiet :

« J’ai toute ma famille ici et j’ai peur pour eux. »

Des agressions de l’extrême droite qui se multiplient

À Lyon, les attaques racistes sont fréquentes, en particulier dans les quartiers où se trouvent les groupuscules d’extrême droite, principalement le Vieux-Lyon dans le cinquième arrondissement. Mais cette zone s’étend, sur les pentes de la Croix-Rousse ou dans le quartier d’Ainay. La présence de locaux comme ceux des Remparts dans le Vieux-Lyon renforce cette image où l’extrême droite laisse régulièrement libre cours à sa violence par des agressions. Il y a moins de deux ans, le militant des Remparts Adrien Ragot avait été condamné pour avoir tailladé deux hommes.

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La dernière attaque remonte au mois de décembre. Le mode opératoire était extrêmement similaire : un cadre historique de Génération Identitaire s’en était pris à deux fêtards d’origine maghrébine à la sortie d’une boîte de nuit.

(1) Les prénoms ont été changés.

Illustration de Une de Caroline Varon.