Jeudi (de l’Ascension), peut-être parce qu’il n’y a pas assez d’apéros à la rédac, StreetPress est allé faire la teuf avec Jeudi Noir… Mais on a failli avaler notre perruque jaune et nos cotillons de travers.
Mère célibataire Jeudi Noir ? Ca fait 5 ans que le collectif enchaîne les happenings et les squats d’immeubles vides pour dénoncer les loyers trops chers à Paname. La veille de notre reportage, une jeune candidate à la location avait vu son dossier écarté d’emblée par la proprio d’ un appart à Belleville alors qu’elle avait les moyens de payer: Se présentant comme une mère célibataire avec 2 enfants à charge, elle n’a pas été invitée à la visite prévue le lendemain.
Le collectif avait donc planifié une action non violente pour ce jeudi à 18h30. Mission: prendre RDV pour visiter le logement et investir les lieux pendant 5 min avec déguisements, cotillons et revendications.
PARTIE 1: Cotillons et Compagnie Créole
18h15 Une trentaine de jeunes de 20 à 35 ans sont groupés derrière le kiosque à journaux de Belleville. Trois mecs en t-shirt noirs à l’enseigne de la maison nous accueillent. Perruques, sacs de confettis et bouteilles de Champomy dépassent des sacs. Pour Aurélien, 25 ans, c’est le baptême: « C’est mon premier jeudi noir. Ils m’ont contacté par texto. J’ai du mousseux dans mon sac. »
Victor, à droite
18h30 Le groupe remonte la rue de Belleville, les perruques jaillissent des sacs, les têtes se recouvrent de fluo et de fuchsia. « Pas de violences, pas de dégradation » prévient Victor, fier de ses 28 ans, malgré son système pilleux qui le rapprocherait plutôt de la quarantaine. On fait une halte au croisement rue Rampal / rue du Général Lasalle, à dix mètres du but: un immeuble 19e à la façade blanche rafraîchie. Des balayeurs de la Mairie de Paris s’arrêtent interloqués. Ils doivent penser qu’on est en plein EVG.
18h40 Deux militants de Jeudi Noir montent en éclaireur. Ils doivent nous prévenir par texto une fois arrivés à l’intèrieur. « Il y a 6 personnes devant moi » dit le SMS qui arrive en simultané sur plusieurs portables. « Je commence à suer des fesses » nous révèle Disco King le DJ, qui a mis le paquet sur son déguisement: grosse perruque, pattes d’eph, lunettes d’Elvis.
18h50 La pression augmente. Toujours pas de nouvelles des 2 gus. Ça parle déguisements : « T’aurais pas une perruque blonde à me prêter pour samedi ? » « Si j’en ai une, mais pas bouclée ». « Putain je me suis acheté exactement les mêmes lunettes de Disco King ».
19h00 L’attente devient insoutenable. « Si on ouvrait une bouteille. Qui a des gobelets? » Disco King prend les choses en main. « On est mous là. J’ai la Compagnie créole, ça va nous chauffer. » Le Feu vert est lancé pour entrer dans l’immeuble.
19h05 La cage d’escalier est sombre, le chuchotement obligatoire. Une vingtaine de personnes attendent sagement dans les escaliers pour visiter l’appart. « Bon allez on va pas attendre, on y va »
19h08 On investit les lieux. L’appart est un deux pièces lumineux avec un couloir exigu de 8 m2. Grosse sono, les bouchons des mousseux sautent, les vingt aspirants locataires se joignent solidairement à nous. Des confettis jaillissent. La propriétaire, une sexagénaire blonde décolorée ne comprend rien. Victor lui offre du champagne et la rassure : « On va partir dans 5 mn, vous voulez du champagne Madame ?»
Pendant ce temps, Ophélie en perruque violette et lunette de star lui explique gentiment l’objet de notre visite impromptue: « Pourquoi vous n’avez pas voulu recevoir cette jeune femme qui cherche un logement juste parce qu’elle est seule avec des enfants? » « C’est trop petit pour des enfants » se défend-elle. La fête bat son plein. Des slogans « Régulation des loyers à la cons » ou encore « Ici c’est chez nous » sont chantés sur fond de « ça fait rire les oiseaux». C’est l’anniv d’Ophélie ! « Joyeux anniversaire Ophéliiiiiiiiiie » 10 minutes ont passé, exit tout le monde. Fin de la mission.
La vidéo de la teuf
« Si on ouvrait une bouteille. Qui a des gobelets? »
Joyeux anniversaire Ophélie
Ré-gu-lation des loyers à la cons
Appellez les gens dans les étages!
PARTIE 2: Ouh la
19h16 Tout le monde, à part moi, Géraldine, Nadège et Sophie, trois aspirantes locatrices de 25 ans. La maîtresse de maison a eu le temps de claquer la porte de l’appart et de nous enfermer à double tour: « Je vais appeler les flics.» « Mais madame on est juste venues visiter l’appart!» dit Sophie. « Vous êtes des menteuses, menteuses, menteuses!» nous accuse la proprio qui du coup nous garde en otages. Rapide coup d’œil sur les dégâts de la soirée improvisée: à part quelques confettis par terre et dans les cheveux de la taulière, tout est à l’identique.
19h18 Le fils de la proprio débarque. 35 ans, grand, veste bleu marine. Il boxe un mec devant la porte puis referme à clef l’appart. Il frappe aussi sa mère, avant de courir à la fenêtre: « Je vous donne 200 euros si vous m’en chopez un!» hurle-t-il aux gars du quartier qui sont en bas. Merde. Il me fonce dessus et me soulève à un mètre du sol, il a des grosses cernes et mesure 30 cm de plus que moi. Il me donne un coup de poing. Ouh la. Il me repose. Ca finit en coups de pieds dans les murs. On est au quatrième étage, pas moyen de sauter. Je viens de me rappeler que je porte en ce moment même une perruque jaune poussin sur la tête. Je tente un : « Nous allons porter plainte pour séquestration et coups et blessures.» Aucune riposte pacifiste.
19h22 Dissolution de l’espace temps. Une minute = une heure. Je range ma caméra discretos. Ne pas parler, ne pas bouger.
19h25 Le père de famille arrive. Il ouvre la porte, on s’enfuit toutes comme des poules poursuivies par un renard. Fin du cauchemar.
19h26 Dans les escaliers, j’entends « c’est des psychopathes, faut pas louer cet appart ». La voisine du dessous, une dame âgée alertée par les cris avoue: «Vivement qu’on loue cet appart j’en peux plus, ils sont fous». En bas, le collectif nous attend. La proprio continue de hurler. Le fils nous poursuit dans les escaliers. « Tout le monde est là ? » « Allez on se tire » crie Victor.
19h30 « C’est la première fois que ça nous arrive » dit Julien Bayou, fondateur du collectif et conseiller régional pour Europe Ecologie. « Sauf une fois où un vieux a boxé une nana de Ouï FM.» Il est désolé de ce qui s’est passé, c’est sûr c’est embêtant pour un collectif qui se définit comme non violent.
PARTIE 3: Ouf, un after
19h32 En cœur: « Alllez on va tous boire un coup à la Péniche Antipode, on a un excellent champagne.» Une danse est improvisée par tout le collectif dans la rue, avec toujours Disco King aux platines.
20h00 Sur la péniche, c’est bonne ambiance. Victor avoue son véritable âge; 37 ans, il a donc pris dix ans en une heure. Christophe bosse comme architecte mais a pas mal étudié le droit pour Jeudi noir. « Le problème, c’est que l’appart était occupé, ça arrive jamais. Ils peuvent porter plainte pour violation de domicile,et même si c’est eux qui nous ont ouverts, ça peut quand même passer pour une manœuvre de notre part. Bon la plupart du temps, comme il n’y a pas de dégradation et aucune violence, il ne se passe rien. Une fois, un gars a porté plainte, les flics nous on dit : ‘ça part direct au parquet de corbeille’.»A l’arrière de la péniche, Disco King se démaquille, enlève sa perruque, ses lunettes, son patte d’éph. Sous le costume, un jeune homme pimpant de 29 ans « superviseur télé à Disney TV.» Que pense-t-il du mouvement des Indignés? « Les Indignés c’est chiant. C’est trop frustrant en fait. Nous on fait des actions rapides, ce qu’on veut c’est faire la fête, et avoir un impact direct. Avec les Indignés, il faudrait 2.000 ans avant de pouvoir faire avancer les choses.»
Je viens de me rappeler que je porte en ce moment même une perruque jaune poussin.
Disco King roi du swing: “ Avec les indignés, il faudrait 2000 ans pour faire avancer les choses”
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