Ça fait un moment qu’on parle du data journalisme et de l’ouverture des données, où en est-on aujourd’hui ?
L’accès aux données reste très compliqué encore aujourd’hui. Pas mal d’initiatives ont lieu sur l’ouverture des données publiques mais on reste dans une logique très topdown où c’est le décideur qui va gracieusement mettre en ligne cinq ou dix jeux de données. C’est ce qui s’est passé pour l’ouverture des données publiques à Paris où on nous présente quinze jeux de données et on nous dit “voilà on a ouvert !”. Mais avoir le nombre de naissances par hôpital à Paris, ce n’est pas très intéressant. Ce qui l’est plus ce sont les budgets détaillés et ça on ne les a toujours pas. Ensuite dans le travail au quotidien sur les données, ça reste compliqué d’avoir accès aux données publiques alors qu’il y a beaucoup de choses qui se font au niveau des organisations internationales : Eurostats met en ligne sa base depuis très longtemps, la Banque mondiale fait ça depuis l’année dernière, le Fmi s’y met aussi. Par contre en ce qui concerne les collectivités locales quand on besoin de quelque chose de très précis, c’est plus compliqué.
Mais il y a t-il plus de datajournalistes ?
Je ne sais pas s’il y a plus de data journalistes. Je sais que beaucoup de journalistes s’y intéressent et font des choses. Maintenant savoir si c’est un mouvement de fond, je ne saurai pas te dire.
On a quand même l’impression que les grands médias s’ouvrent au datajournalisme ?
Oui, ils ont en tous cas envie d’essayer de faire de nouvelles choses sur Internet. La société 22 Mars qui édite Owni les aide notamment dans ce domaine. Mais encore une fois, savoir si on est dans de la cosmétique ou des changements de fond, c’est difficile à savoir. Ça fait longtemps que les médias traditionnels essaient de se renouveler sur Internet et ça fait aussi longtemps qu’ils n’y arrivent pas forcément donc là encore on ignore si le mouvement va perdurer.
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Qui es-tu, Nicolas Kayser-Bril ?
Nicolas Kayser-Bril est en charge du pôle datajournalisme chez OWNI. Il travaille avec les designers, les développeurs et les journalistes pour produire des applications de journalisme augmenté de données et de code, mettre en place des actions de crowdsourcing et des serious games.
Tu as l’impression qu’il y a un hiatus générationnel sur le sujet ?
Non je n’en ai pas du tout l’impression car j’ai eu la chance de faire pas mal d’interventions en école de journalisme cette année et je me suis rendu compte que ce n’est pas non plus parce qu’on est jeune qu’on sait faire une division. Il y a plein d’étudiants qui viennent vers le journalisme pour les mêmes raisons qu’il y a trente ans : voyager, rencontrer des gens, raisons qui ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui. Maintenant faire du journalisme, c’est faire beaucoup d’investigation derrière l’écran, c’est aussi organiser une communauté pour amener de l’information. C’est travailler avec les données car les pouvoirs publics les utilisent beaucoup donc si on veut comprendre leur discours et pouvoir le déconstruire il faut savoir analyser les chiffres qu’ils nous présentent. Il faut aussi savoir faire des choses aussi bêtes que faire des ratios, évaluer des tendances, faire des corrélations, ça fait partie de la boite à outils des journalistes d’aujourd’hui. Et ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on sait faire ça.
Tu as vu naître des vocations de datajournaliste ?
Ce qui est intéressant, c‘est qu’on a beaucoup de métiers qui n’orbitaient pas du tout dans la sphère du journalisme avant et qui aujourd’hui s’y mettent comme les statisticiens et les développeurs. On travaille beaucoup avec les développeurs qui auront un rôle journalistique et une pertinence éditoriale qui n’est pas moindre que celle des journalistes. De la même manière, quand on recrute, on voit parfois des développeurs devenir journalistes, ou des anciens chef de projet qui veulent être développeur chez Owni parce que c’est plus intéressant. Il y a une dynamique des métiers qui est quelque chose de vraiment nouveau.
Et le fait de donner du pouvoir à des non-journalistes dans la création de la formation, ce n’est pas gênant ?
Non je ne pense pas. On en revient au débat qu’on avait eu au début du web 2.0 vers 2005/2006 sur «qu’est-ce qu’un journaliste ?” et ce débat autour du journaliste citoyen ». On en est un peu revenu. On sait bien que le journalisme citoyen ce n’est pas si simple que ça. Maintenant savoir ce qui fait un journaliste, on en sait toujours rien mis à part que c’est quelqu’un qui a une carte de presse, soit une définition encore très insuffisante. Est-ce que la personne qui va donner une info dans le cadre d’une opération de crowdsourcing ne fait pas journalisme elle-aussi ? Ce sont des questions auxquelles on a toujours pas de réponse.
Vous avez des comptables qui font du datajournalisme chez Owni ?
Euh.. Il n’y a pas de comptable qui fasse du journalisme chez Owni non.
Parce qu’Albert Londres étant comptable de formation… Peut-on faire du journalisme avec une seule donnée ?
Bien sûr ! Il y a toujours le problème de la mise en contexte de cette donnée. On a un bon exemple quand Brice Hortefeux a annonce l’été dernier très fièrement que la déliquance des roumains avaient augmenté de 350 % en un an. Or là par exemple le boulot du datajournaliste va être de demander de quel chiffre on part pour avoir celui-ci. Car si on passe de 2 à 6 faits de délinquance, on a effectivement une augmentation de 300 % mais ce n’est pas pour autant que les roumains posent problème..
Faut-il savoir utiliser Excel pour faire du bon datajournalisme ?
Il est indispensable de bien savoir utiliser Excel ! Ou un autre logciel de tableur. D’abord parce que les données sont disponibles la plupart du temps sous un format tableur. Quand on contacte une mairie par exemple pour avoir l’évolution d’une mesure sur x années, ce sont souvent des fichiers excel qu’il faut ensuite utiliser pour étudier les données, faires des corrélations, trouver des moyennes rapidement.
La vénération de Julian Assange, je laisse chacun s’en faire sa propre opinion
Ça rapporte le datajournalisme ?
Beaucoup ! Parce que ça permet d’avoir une nouvelle grille d’analyse sur l’information donc ça rapporte en terme journalistique, en terme de crédibilité, d’investigation. Financièrement aussi puisque l’actif du média c’est la confiance qu’il inspire à ses lecteurs. Au début quand on parlait de data journalisme il y a cinq ans, on pensait que ce serait génial car les bases de données génèreraient du clic et des milliers de pages vues. Mais ça ne marche pas du tout, le meilleur exemple est celui de everyblock.com créé par Adrian Holovaty qui est un peu le père du data journalisme des années 2000. Son site est une sorte de gros répertoire de données déclinées quartier par quartier : aujourd’hui ça fait près de 200.000 pages vues par mois.
Les data journalistes vénèrent-ils Julian Assange ?
Julian Assange avait une place particulière chez Owni et sans doute dans la communauté des datajournalistes l’année dernière. On a collaboré avec Assange sur les documents irakiens et cette collaboration a eu lieu parce qu’on avait déjà travaillé sur les documents afghans en juillet dernier sur une interface de consultation. Quand ces documents afghans sont tombés un dimanche soir, on s’est dit que c’était pour nous, alors on passé 36 heures non stop sur ces documents. Donc oui, c’est certain que cette mise à disposition de documents bruts était très intéressante. Et on rejoint de manière partielle cette problématique de l’opendata car on a eu cet accès aux documents bruts. Sauf que dans Wikileaks, ces documents n’auraient pas du être légalement être publiés. Maintenant en ce qui concerne la vénération de Julian Assange, je laisse chacun s’en faire sa propre opinion.
La personne qui va donner une info dans le cadre d’une opération de crowdsourcing ne fait-elle pas du journalisme aussi?
Tu admires un datajournaliste en particulier ?
Le premier datajournaliste et qui sert d’exemple c’est comme je le disais Adrian Holovaty et ce qu’il a fait avec Rob Curley où ils ont révinventé le journalisme local en faisant des bases de données de restaurants ou en montrant les résultats d’équipe de foot scolaire. Là encore, en terme d’expérience utilisateurs, c’est un vrai service pour un habitant d’une communauté. C’était en 2004/2006, à une époque où Googlemaps n’existait pas encore. Ca apportait une valeur énorme donc c’est un peu l’exemple à suivre. On peut considerer que ce font le Guardian et le New York Times est très intéressant aussi. Le seule problème c’est qu’ils ne font pas du tout ça dans une logique de profitabilité. Quand ils en parlent ils disent qu’ils perdent de l’argent mais “beaucoup moins que le rédaction” donc ce n’est pas forcement un exemple à suivre.
Il n’y a pas de comptable qui fasse du journalisme chez Owni
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