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    27/09/2024

    « Les événements ont été un prétexte. Tous avaient déjà tenu des propos discriminatoires »

    Après Crépol, le procès des « abreuvés de haine par les médias et les politiques »

    Par Daphné Deschamps

    Cinq internautes étaient jugés le 18 septembre 2024 pour des messages de haine et des menaces de mort sur les réseaux sociaux après l’affaire Crépol. Derrière leurs posts se dessine la normalisation de la haine et des discours d’extrême droite.

    Tribunal judiciaire de Paris, 18 septembre 2024 – Willy B. et Jérémy G., la vingtaine, sont mal à l’aise. Ils regardent leurs pieds quand ils sont à la barre, jettent des regards furtifs vers le banc des avocats. À leurs côtés, le bientôt quadragénaire Benoît D., un militaire de carrière récemment réformé pour raisons de santé, est lui droit comme un I. Celui qui espère l’annulation des poursuites refuse de répondre sur le fond de ce qui lui est reproché, et qui concernent aussi les autres prévenus : « Injure publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion », « provocation publique à la haine » et « menaces de mort ». Dans ce dossier, les cinq prévenus – deux sont absents, Alexis B. et Sylvie B. – ne se connaissent pas et ne se sont jamais rencontrés.

    Ils sont là à la suite de signalements sur la plateforme gouvernementale Pharos, pour des messages postés sur Twitter pour la plupart, et sur Facebook pour Sylvie B., ancienne conseillère municipale du Front national dans le Var, après la mort de Thomas, 16 ans, à Crépol (26) lors d’une fête de village. À l’époque, le meurtre du garçon provoque un déferlement de haine raciste sur les réseaux sociaux et même dans les rues de Romans-sur-Isère, avec une expédition punitive raciste d’une cinquantaine de militants d’extrême droite. Des dizaines de milliers de messages haineux postés par des milliers d’internautes, qui révèlent et diffusent les noms, les adresses, les photos ou les numéros de téléphone des supposés assassins de l’adolescent de 16 ans.

    Des familles visées par les messages postées ont porté plainte, alors que certains de leurs noms, photos, numéros de téléphone ou adresses circulaient, accompagnés de menaces plus ou moins explicites. Au milieu de la flopée de haine postée cette semaine de novembre, le pôle national de lutte contre la haine en ligne du parquet de Paris a relevé seulement 18 profils, parmi lesquels les cinq prévenus du jour, dont aucun ne dépasse le millier d’abonnés, ainsi que cinq autres qui étaient jugés deux semaines plus tôt. À l’exception d’une ancienne candidate Reconquête qui avait appelé au « retour des ratonnades » et qui sera jugée le 16 novembre prochain, aucune poursuite n’a été engagée contre les plus gros comptes de la fachosphère, pourtant hyperactifs pendant la séquence autour de la mort du jeune Thomas.

    « La guillotine ou brûler vif »

    C’est ce qu’argumente l’avocate de Willy B. lors de sa plaidoirie : pourquoi avoir choisi son client, qui plaide coupable, reconnaît les faits et présente ses excuses aux familles qui se sont portées partie civile, plutôt que de poursuivre les influenceurs et responsables politiques, principaux instigateurs de cette vague de haine ? Elle évoque notamment des tweets de l’identitaire Damien Rieu, qui cumulent plusieurs centaines de milliers de vues, a listé tous les mineurs impliqués dans la procédure judiciaire en cours, et qui sont toujours en ligne à ce jour. Ou encore des médias comme le JDD, Valeurs actuelles ou CNews, que son client désigne à la barre et en garde à vue comme « les médias principaux » de la campagne de haine.

    C’est que Willy B., à qui on reproche le plus de tweets, a aussi lancé que « les familles des assassins de Thomas » devaient « payer aussi », et qu’il fallait revenir « aux anciennes méthodes » : « La guillotine ou brûler vif » car « la prison coûte trop cher ». Des déclarations du vingtenaire en chemise blanche comme de celles de Jérémy G. ressortent la normalisation de l’imaginaire d’extrême droite, au travers des plateaux de chaînes d’information en continu et des algorithmes des réseaux sociaux. Devant le tribunal, les deux hommes regrettent leurs posts, affirment avoir évolué et ne plus utiliser les réseaux sociaux de la même manière. Benoit D., l’ancien militaire, déclare la même chose. Seule Sylvie B. assume tout malgré son absence au procès pour raisons de santé. En garde à vue comme dans une lettre envoyée au tribunal, celle qui a été partie prenante de la création du « Collectif Séniors » au FN – rapidement disparu, notamment en raison des posts Facebook racistes d’un de ses responsables – affirme qu’elle réécrirait la même chose, et évoque une différence entre la haine verbale et celle de « ceux qui passent à l’acte ». Avant d’enchaîner sur le « grand remplacement » et « l’invasion islamique » de la France. Pour la défendre, son avocat tente une justification et évoque son isolement :

    « Au lieu d’aller au bistrot pour parler de l’actualité, elle va sur les réseaux sociaux. »

    Quant à Alexis B., également absent de l’audience, c’est un jeune isolé, handicapé depuis des années. C’est également le seul des cinq pour qui le parquet a requis une expertise psychiatrique. Entre ses messages haineux et son procès, il s’est converti à l’islam.

    Le fonctionnement de la fachosphère

    Au travers de la procédure comme du sujet, ce « procès de la haine ordinaire » illustre avant tout le fonctionnement de ces vagues de haine racistes qui se multiplient et qui sont alimentées par toute cette fachosphère organisée en ligne. À part Sylvie B., aucun des prévenus n’est un militant politique en dehors des réseaux sociaux. Pourtant, Jérémy G. et Benoit D. sont poursuivis pour des messages postés en réponse à un tweet du porte-parole d’Argos, groupe identitaire héritier du groupuscule dissout Génération identitaire. Jérémy G. dit ne pas les connaître, puis les décrit comme un « groupe d’autodéfense patriote, comme le Gud à Paris ou à Lyon ». Sur son compte Twitter-X, on retrouve des messages de défense des « militants nationalistes », d’autres qui acquiescent à l’idée d’une expédition punitive dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère. Pour se défendre, le jeune homme, qui n’a pas d’avocat, évoque le fait qu’il était sûrement alcoolisé au moment de tweeter :

    « Le problème de Twitter, c’est que tout ce qu’on pense on l’écrit, et après on se retrouve à devoir justifier tout ce qu’on a écrit alors qu’on ne s’en souvient même pas. »

    Suite à ses tweets, Willy B. a lui été contacté en message privé par un compte appelé « Lyon69 » qui l’invitait à l’ajouter sur Snapchat pour s’organiser et aller effectuer la future descente raciste dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère. Willy B. avait répondu favorablement, mais explique à la cour ne jamais avoir prévu d’y aller. Sur son téléphone portable, les enquêteurs ont trouvé une photo de lui effectuant un salut nazi, envoyée à un ami le 30 octobre 2023. « Une photo privée, à but humoristique » justifie-t-il, dont il reconnaît le mauvais goût.

    Au moment des plaidoiries de la défense, les avocats posent une question : ces messages postés sur les réseaux sociaux ont-ils vraiment une influence ? Après le passage de cette vague raciste, les conséquences ont, en tout cas, été réelles pour les familles qui se sont portées partie civile dans cette affaire. Me Violaine Vert, leur avocate, évoque des refus de prise en charge par des médecins, des déménagements forcés, des appels et des lettres de menaces et d’insultes… « Cette haine vient des réseaux sociaux, et il faut avoir une responsabilité derrière son écran » argumente-t-elle. Elle pointe :

    « Les événements de Crépol ont été un prétexte pour tous les prévenus. Tous avaient déjà tenu des propos discriminatoires sur les réseaux sociaux par le passé. »

    Le procureur de la République a requis dans cette affaire des peines allant d’un à six mois de sursis, accompagnées d’un stage de citoyenneté. Le tribunal doit rendre son jugement le 31 octobre prochain.

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