Assis dans un café, Younès (1) est encore sous le choc. Un verre à la main, le jeune homme de 35 ans passe de la colère aux pleurs au fil de son récit. D’un débit rapide, il revient sur sa soirée du mercredi 17 juillet. Celui qui a quitté le Maroc pour venir faire ses études supérieures en France, et naturalisé depuis, estime avoir été victime de propos racistes. Il n’est pas le seul à avoir été visé. Nora (1) et Inès (1), 36 ans, elles aussi nées au Maroc étaient avec lui ce soir-là. Le trio a encore du mal à comprendre la raison de cette prise à partie.
Selon les informations de StreetPress et Mediapart, la personne qui en est à l’origine ne serait autre que la collaboratrice parlementaire – ou ex-collaboratrice (2) du député du Rassemblement national (RN) Julien Odoul : Julie Gahinet. Si les trois amis ont accepté de témoigner, ils le font sous couvert d’anonymat, par peur des représailles ou d’être ciblés par l’extrême droite. Younès, comme Nora et Inès, ont depuis porté plainte pour « injure publique envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine ». Un délit puni jusqu’à un an de prison et 45.000 euros d’amende.
Contactés, Julie Gahinet dément catégoriquement. « Je réfute toutes vos informations et je nie les accusations racistes qui me sont reprochées qui ne sont que des affabulations », répond la jeune femme qui précise se réserver « le droit d’engager des poursuites judiciaires en diffamation ». Julien Odoul, lui, n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Selon nos informations, la personne qui serait à l’origine de ces propos racistes serait Julie Gahinet, la collaboratrice parlementaire du député RN Julien Odoul. / Crédits : DR
« Vous n’êtes pas de vrais Français »
Ce mercredi 17 juillet, il est environ 19h30 quand Younès, Nora et Inès se rejoignent pour un verre après le travail. Ils se retrouvent pour fêter le passage en France d’une de leur amie qui travaille à l’étranger. L’occasion de trinquer sur les quais parisiens ensoleillés. Le rendez-vous est pris sur la péniche du Rosa Bonheur sur Seine, située à deux pas des Invalides et de l’Assemblée nationale.
Installés sur la terrasse de la guinguette branchée, la bande d’amis profite du coucher de soleil, avec une bouteille de vin. Seul problème, les tables sont serrées et il est difficile de se mouvoir. Derrière eux est assise Julie Gahinet et ses amis. C’est d’abord à cause du manque de place que la première altercation aurait commencé. Vers 22h30, Inès se serait prise des coups de coude d’une des amies de Julie Gahinet. Elle se penche en arrière pour pousser un peu la personne, mais cette dernière se serait retournée et lui aurait lancé : « Tu vois bien que tu prends toute la place et que ton cul dépasse ! », ce à quoi Inès aurait répondu : « Excuse-moi d’avoir un gros cul, je rêve ! ». La soirée continue.
Puis, une fille et un garçon rejoignent alors le groupe de Julie Gahinet et les tensions reprennent. « Attention, la meuf derrière toi prend toute la place », aurait lancé à nouveau l’amie de Julie Gahinet. Les invectives continuent quand soudain, l’attachée parlementaire aurait lâché au groupe d’amis, selon leurs dires : « De toute façon vous n’êtes même pas de vrais Français. » Pour eux, à ce moment-là, cette jeune femme, blonde aux yeux bleus, est inconnue. Ils ne découvriront qu’à la fin de la soirée qu’il s’agit de Julie Gahinet, collaboratrice parlementaire du député Rassemblement national Julien Odoul.
Mais avant de se poser des questions, la bande accuse d’abord le choc. Younès, lui, se souvient d’une jeune femme qui aurait explosé de colère, et qui aurait lancé : « Vous ne parlez même pas français ». Nora quant à elle se souvient qu’elle aurait dit : « Vous parlez dans votre langue-là. »
Inès, sous le choc, aurait répondu : « Oh wow ! On en est là en fait. » Le groupe se défend et répète qu’ils sont bien Français. Mais Julie Gahinet aurait lancé les propos suivants : « Vous n’êtes pas de vrais Français, moi je suis chez moi, je suis Française blonde aux yeux bleus. » Selon Younès, Julie Gahinet effectuait dans le même temps un signe devant sa tête pour signifier à son groupe qu’il était « d’une autre couleur de peau ».
La collaboratrice parlementaire leur aurait ensuite lancé « dégagez », puis aurait ajouté : « Les Français ne veulent pas de Français comme toi ». « Ce sont les Français qui ne veulent pas de Français comme vous », aurait alors répondu Inès. « J’étais tellement sous le choc que je répondais bêtement : “Après le body shaming, le racisme, bravo, tu peux être fière de toi” », témoigne quant à elle Nora.
Des témoins confirment
La bande d’amis décide de quitter la table et prévient la sécurité qui vient questionner Julie Gahinet. Selon l’agent en question interrogé par StreetPress et Mediapart, l’attachée parlementaire « nie en bloc » avoir tenu des propos racistes. « Mais deux autres clientes, qui n’avaient rien à voir avec les victimes, ont confirmé avoir entendu ces propos racistes », témoigne le responsable. Entre-temps, Younès interpelle une patrouille de gendarmerie chargée de sécuriser les quais de Seine. Devant elle, Julie Gahinet et ses amis auraient toujours nié avoir tenu des propos racistes et accuseraient désormais Inès et ses amis de l’avoir insultée en arabe. « C’est faux mais c’est aussi totalement absurde. Si on avait parlé arabe, comment aurait-elle pu savoir qu’il s’agissait d’insultes ? », rétorque Younès.
Un compte-rendu d’incident envoyé jeudi matin à la directrice du Rosa Bonheur conforte pourtant le témoignage des trois amis. « Une table de quatre personnes a tenu des propos racistes envers la table voisine. Des témoins ont confirmé. Durant cet échange, une patrouille de gendarmes est passée et a été interpellée par les victimes. Ils ont relevé l’identité de la table qui a provoqué les victimes », est-il indiqué. Sur une vidéo consultée par StreetPress et Mediapart, on peut effectivement apercevoir Younès engager une discussion avec les forces de l’ordre.
Contactées, ni la préfecture de police de Paris, ni la gendarmerie nationale n’étaient en mesure de nous livrer des éléments sur cette intervention.
Le responsable de la sécurité du Rosa bonheur raconte avoir ensuite « actionné l’expulsion » du groupe de Julie Gahinet. « Ils ont encore nié et la fille blonde s’est même défendue en expliquant qu’elle ne pouvait pas avoir dit ça puisqu’elle travaillait “avec ces gens-là à l’Assemblée nationale” », raconte le vigile. « J’ai demandé ce que signifiait “ces gens-là” et je leur ai demandé de partir ».
Pendant que Younès contacte le 17, la collaboratrice parlementaire et ses amis finissent par quitter l’endroit. « À 23h30, la plateforme a reçu et traité l’appel d’une personne dénonçant des propos à caractère racial dont elle a été victime à la suite d’une altercation dans un bar à Paris 7 », nous confirme la Préfecture de police de Paris.
Immédiatement après les faits, Younès, Nora et Inès ont d’ailleurs alerté des proches par messages des propos racistes qu’ils disaient avoir reçu. « Je suis choqué, on vient d’être victime de racisme. Direction commissariat du 7e demain, je vais porter plainte, je ne veux pas laisser passer », envoie par exemple Nora à l’une de ses proches mercredi 17 juillet à 00h36.
Dans la foulée, grâce à une photo qu’ils avaient prise d’elle et quelques recherches sur internet, les trois amis parviennent à identifier Julie Gahinet et déposent finalement plainte quelques jours après. « Au départ on est sur des coups de coudes, et des propos injurieux, mais ce qui suit, ce sont des propos racistes, autant dans l’intentionnalité que dans la matérialité », détaille l’avocate Marion Jobert, qui défend Younès, Nora et Inès.
Grâce à une photo qu’ils avaient prise d’elle et quelques recherches sur internet, les trois amis parviennent à identifier Julie Gahinet. / Crédits : DR
Julie Gahinet
La jeune femme mise en cause a été auparavant militante chez les Jeunes Républicains, avant d’être collaboratrice de l’ex-député Meyer Habib durant son mandat de 2017 à 2022 en tant que député UDI de la 8e circonscription des Français établis hors de France.
Depuis plusieurs années, elle travaille pour le député du RN Julien Odoul et était d’ailleurs présente au QG du parti de Marine Le Pen le soir des résultats de second tour des élections législatives.
Avant ça, Julie Gahinet était également signataire en septembre 2019 d’une Tribune dans le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles intitulée : « Une centaine de Jeunes LR présents à la Convention de la Droite, avec Eric Zemmour et Marion Maréchal ».
Elle a aussi défendu publiquement l’ex-député RN et ancien cadre du Bloc identitaire Grégoire de Fournas. En 2022, celui-ci s’était illustré à l’Assemblée nationale en tenant des propos racistes qui lui avaient valu quinze jours d’exclusion et deux mois de sanction financière. « Qu’il[s] retourne[nt] en Afrique », avait-il lancé au député insoumis Carlos Martens Bilongo, alors que ce dernier évoquait les bateaux transportant des migrants.
Sur Facebook, Julie Gahinet l’avait alors défendu coûte que coûte estimant que Grégoire de Fournas avait « eu le malheur de dire ce que l’immense majorité des Français pense » et que l’élu RN ne visait pas le député noir mais le bateau Ocean Viking qui « doit bien évidemment retourner en Afrique ».
Sur Facebook, Julie Gahinet estimait que Grégoire de Fournas avait « eu le malheur de dire ce que l'immense majorité des Français pense ». / Crédits : DR
« Ça ne devrait arriver à personne »
Depuis leur soirée, le groupe d’amis se refait le filme et s’interroge. « J’en ai pleuré et pas dormi de la nuit », lâche Inès encore émue. « On s’est toujours dit qu’il y avait des cons partout mais là quand ça te touche, à Paris et par des jeunes, avec le climat actuel, tu te dis que c’est peut-être le début d’une nouvelle ère », craint-elle. « Cela fait 18 ans que je suis en France, je ne m’étais jamais posé la question de savoir si j’étais à ma place en France », poursuit Nora.
Ce qui a le plus traumatisé la bande d’amis, en plus des propos violents, c’est le fait qu’ils ont été portés par une personne travaillant à l’Assemblée nationale, salariée d’un élu de la République. Interrogé vendredi par France Inter à propos des multiples propos racistes tenus par des candidats ou des députés RN, Laurent Jacobelli, porte-parole du Parti, minimisait à tort le nombre de cas et promettait la fermeté. « S’il s’avère que des propos racistes, homophobes, ce que vous voulez, qui sont contraires à notre philosophie, à notre programme et à nos valeurs, ont été tenus, eh bien, les personnes seront exclues », a lâché le parlementaire, lui-même mis en examen en avril pour injures et diffamation à l’égard du député Renaissance Belkhir Belhaddad. Qu’en est-il lorsque cela concerne des collaboratrices parlementaires ? Sollicité, le parti n’a pas donné suite.
Avec l’arrivée en nombre d’élus d’extrême droite à l’Assemblée, Manon Amirshahi, secrétaire générale CGT pour les collaborateurs parlementaires, craint une montée de la violence de tout leur entourage. « Avec notre syndicat, on continue notre travail de vigie, dans un contexte d’augmentation des agressions et propos racistes dans l’espace public mais aussi au travail », explique-t-elle. « Depuis la création du syndicat en 2016, on demande à ce qu’une formation obligatoire soit mise en place à l’Assemblée pour tous les élus concernant les ressources humaines, les violences sexistes et sexuelles et les discriminations. » Une demande qui n’a jamais abouti selon la syndicaliste qui juge désormais urgent la mise en place d’un temps dédié à l’antiracisme.
Younès, lui, ne parvient pas à oublier. « Ça ne devait pas m’arriver, et ça ne devrait arriver à personne. » L’émotion le secoue. La tête entre ses mains, il poursuit : « Quand j’ai été naturalisé, le décret a été publié le jour de mon anniversaire. Je me disais que c’était un des plus beaux cadeaux de ma vie et que je pourrai enfin me sentir en sécurité et en fait non », déplore-t-il. « Et pourquoi ? Même pas pour quelque chose qu’on a fait mais littéralement pour ce qu’on est. »
(1) Les prénoms ont été changés.
Article de StreetPress et Mediapart.
Illustration de Une de Caroline Varon.
(2) Après publication de notre article, le député Julien Odoul nous précise que Julie Gahinet n’est plus sa collaboratrice parlementaire depuis le 7 juillet. Il n’avait pourtant pas démenti ce point lorsque nous l’avions contacté mercredi 24 juillet. Julie Gahinet, elle, nous précisait mardi être toujours « collaboratrice parlementaire ». Elle a d’ailleurs participé à la campagne du député pour les dernières élections législatives.
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