« On parle de 400.000 à un million de Rroms, Gens du voyage, Manouches, Sinté, c’est loin d’être négligeable », pose Anina Ciuciu, avocate issue d’une famille Rrom et engagée contre l’antitsiganisme sous toutes ces formes. Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, elle s’inquiète de voir l’extrême droite prendre des points de sympathie dans sa communauté :
« La campagne de “dédiabolisation” du RN a bien marché dans la population générale, mais aussi sur des groupes particulièrement marginalisés comme les voyageurs, victimes de racisme généralisé de la part de toute la classe politique. »
Avec d’autres personnalités issues de la communauté des voyageurs, elle dénonce l’imposture du parti de Jordan Bardella dans un contexte de multiplication des actes racistes envers les populations tsiganes. Le 22 février dernier, Angela Rostas, mère de famille Rrom enceinte de sept mois, était tuée d’une balle alors qu’elle se trouvait sur le seuil de son mobil-home à Chênex. Le 23 mai dernier, l’association nationale des gens du voyage annonçait déposer plainte après la découverte de 12 tombes de familles de gens du voyage profanées par des croix gammées en Isère.
Un programme anti-voyageurs
« Ma famille est déjà passée par l’extrême droite. Mon grand-père, mon père et ses frères ont été internés sous le régime de Vichy », s’émeut Milo Delage, président de l’association France Liberté Voyage, qui veut rappeler « cette histoire » à « certaines générations tentées par le vote RN ». Le parti a pourtant fait peu pour les attirer. Le démantèlement des lieux de vie des familles de voyageurs est par exemple toujours la priorité du RN. Entre 2022 et 2023, ses députés sont intervenus à au moins dix reprises à l’Assemblée nationale, dans le cadre des questions au gouvernement, pour réclamer davantage de mesures répressives vis-à-vis des voyageurs. En janvier 2023, le groupe a même déposé une proposition de loi visant à « lutter plus efficacement contre les campements illégaux de gens du voyage » et a demandé la révision de la loi Besson obligeant les communes de moins de 5.000 habitants à un accueil temporaire des gens du voyage de 48 heures.
En juin 2020, quand le Parlement européen a souhaité adopter une résolution pour reconnaître – notamment – les crimes perpétrés contre les tsiganes durant la Seconde Guerre mondiale, responsables de plus de 200.000 morts et de dizaines de milliers de disparus, le RN s’y est opposé. 22 députés frontistes ont voté contre ce texte symbolique, dont Jordan Bardella et quatre candidats investis aux élections législatives : Hélène Laporte, Dominique Bilde, Julie Lechanteux et Jean-Lin Lacapelle.
Un racisme décomplexé
L’antitsiganisme a toujours été ancré dans les prises de position des ténors du parti. Jean Marie Le Pen a été condamné à deux reprises pour ses propos racistes à l’encontre des Rroms. En 2008, Marie-Christine Arnautu, ancienne vice-présidente du parti et amie de la famille Le Pen, a aussi été accusée d’incitation à la haine avant d’être relaxée. Elle avait déclaré que les gens du voyage étaient en majorité « des clandestins et des délinquants ». En 2014, Paul-Marie Coûteaux, ancien porte-parole de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, avait suggéré au ministre de l’Intérieur de « concentrer ces populations étrangères dans des camps » en qualifiant leur présence d’« invasion » ou de « lèpre ».
« Le 93 fait une overdose ! Ces gens ont vocation à retourner chez eux », a pu tweeter de son côté Jordan Bardella en juillet 2015. À l’époque, plusieurs familles Rroms, dont 21 enfants, soutenues par le Droit au logement étaient rassemblées devant la mairie de Saint-Ouen et sollicitaient un hébergement d’urgence. Dans un autre tweet publié quelques jours plus tard avec une photo d’un bidonville, celui qui était alors jeune assistant parlementaire ironisait sur les conditions de vie des habitants : « Bienvenue chez Rroms Vacances ! »
Enfin, parmi les 577 candidats du RN aux élections législatives du 30 juin et du 7 juillet, il y a Gilles Bourdouleix. Ce maire de Cholet (49) depuis presque 30 ans avait déclaré en 2013 à propos d’une mission évangélique de voyageurs :
« Comme quoi, Hitler n’en a peut-être pas tué assez. »
À l’époque, la sortie raciste avait fait réagir Marine Le Pen, qui le jugeait alors « extrême » (1). Mais dix ans plus tard, le RN a fait table rase et vient d’offrir son soutien à ce nostalgique du nazisme pour sa candidature aux élections législatives à la cinquième circonscription du Maine-et-Loire.
(1) Condamné pour « apologie de crime contre l’humanité », il avait finalement été relaxé car la Cour de Cassation avait estimé que ses propos n’avaient pas été « tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics. »
Illustration de Une de Caroline Varon.
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