Hénin-Beaumont (62) – « Ici, on n’a pas à se plaindre », commente un buraliste, bienheureux de son vote « patriote ». À Hénin-Beaumont, ville moyenne de 26.000 habitants du Pas-de-Calais, on loue les bienfaits de l’extrême droite. En servant un café, le commerçant raconte que le centre-ville a été entièrement rénové. « Il y a des fleurs maintenant », abonde une cliente en partant avec deux paquets de Marlboro light. « Ils ont refait la voirie, il n’y a plus de trou dans la route », explique une autre Héninoise en rentrant des courses, quand sa fille enceinte jusqu’au cou ajoute : « Le sapin de noël est beau maintenant ». Rénovation de la piscine municipale et d’infrastructures sportives, grand nettoyage de la façade de l’hôtel de ville, le maire Steeve Briois – ancien vice-président du Front national – organise une politique qui se voit.
Alors ce 9 juin, pour les élections européennes, la liste de Jordan Bardella a rassemblé 61,4% des suffrages exprimés dans cette ville du bassin minier. La tête du président du Rassemblement national s’affiche sur les 10 panneaux électoraux derrière la mairie, le lendemain de sa victoire. Présidentielles, législatives, départementales, municipales, peu importe le scrutin, Marine Le Pen et son parti arrivent largement en tête.
« La démocratie locale a reculé », assure pourtant David Noël, militant PCF et CGT. « La pluralité politique est difficile, les attaques contre la presse sont multiples, les associations sont inféodées à la municipalité ou vilipendées… » Inès Taourit, élu de l’opposition, commente sévère :
« La vitrine est belle et bien lustrée, mais l’arrière-boutique est dégueulasse. »
Ciao les asso’ des droits humains
Pendant un temps, le communiste David Noël était adhérant (1) à la Ligue des droits de l’Homme (LDH) d’Hénin-Beaumont, qui bénéficiait d’un local municipal à titre gracieux. Quelques mètres carrés derrière le bâtiment municipal. En 2014, le maire fraîchement élu, Steeve Briois, les a priés de libérer les lieux. L’association de défense des droits humains avait distribué des tracts « pour ne pas voter pour le FN, au vu de ses valeurs et de son histoire », situe le prof. En 2016, bis repetita avec le Secours populaire, historiquement installé dans le centre-ville. David Noël explique :
« Le Secours populaire organisait des collectes de vêtements pour les exilés de Calais. Dans le même temps, la mairie signait sa charte Ma commune sans migrant”, en s’engageant à ne pas subventionner les asso qui leur viennent en aide. »
Récemment, le militant coco historique du coin, un temps élu municipal, a déménagé, « pour des raisons personnelles », explique-t-il. « Mais ça a rassuré ma femme qu’on ne soit plus à Hénin-Beaumont. J’ai été harcelé de procès. » Huit au total depuis 2014, intenté par le maire, sa garde rapprochée, et même un par Marine Le Pen. À chaque fois pour des posts sur son blog ou ses réseaux sociaux. Il a été relaxé dans sept d’entre eux. Le huitième, pour injure publique, est encore en cours : il a qualifié monsieur le maire d’« autocrate raciste au comportement de patron voyou harceleur » en mars 2020. Condamné en première instance, mais relaxé en appel (2), David Noël attend le résultat du pourvoi en cassation déposé par Steeve Biriois « avec beaucoup de sérénité ». Il ajoute :
« La mairie RN est fâchée avec la liberté d’expression de ses opposants. »
« La poupée qui fait non »
« On nous coupe régulièrement les micros en conseil municipal, quand la majorité n’apprécie pas ou ne souhaite pas aborder un sujet », raconte Gianni Ranieri, secrétaire de section PCF à Hénin-Beaumont et élu d’opposition. « Ce sont des moments extrêmement violents. Certains singent les opposants », abonde Inès Taourit, sa comparse. Ensemble, ils ont fondé la liste de gauche Osons pour Hénin-Beaumont, avec l’écologiste Marine Tondelier – également secrétaire nationale d’Europe ecologie les verts (EELV) – pour faire barrage au RN. « Ils m’ont déjà surnommé “la poupée qui fait non”, “la pseudo présidente” ou “l’obligée de Marine Tondelier” », insiste Inès Taourit, juriste dans le civil, qui connaît ses dossiers sur le bout des doigts :
« C’est sexiste. Globalement, j’ai toujours le droit à mon procès en incompétence. »
Quant à « Tondelier, la menteuse professionnelle », « incompétente », « fainéante », elle est « l’hystérique », « la parisienne », qui aurait délaissé ses fonctions d’élue municipale pour s’installer dans la capitale. Une fresque erronée mais largement diffusée dans le magazine municipal et sa page Facebook, « leurs outils de désinformation », souffle Gianni Ranieri. L’opposition a d’ailleurs tenté une énième riposte avec un droit de réponse – publié à la dernière page du journal de ce mois – en relevant les différentes fake news. Mais le mal est fait :
« Quand on fait du porte-à-porte, les gens disent à Marine : “Mais en fait, vous n’êtes pas la folle qu’on dit”. »
« Vous voulez jouer à ça ? »
La mairie prend également garde aux articles de La Voix du Nord, le quotidien local, avec qui elle est en guerre ouverte. « Steeve Briois est sans doute la personne qui m’a le plus écrit dans ma vie. Plus que ma mère. Plus que ma femme », expliquait Gabriel d’Harcourt, l’ancien directeur du journal, en 2021 à l’Ina :
« Il exploite une possibilité juridique d’une manière qui confine à l’obstruction. »
La mairie a envoyé plus d’une centaine de demandes de droit de réponse depuis 2014. Une situation exceptionnelle et jamais vue pour le quotidien du Nord. L’Ina a pu discuter de la situation avec Bruno Bilde, numéro deux de la mairie, devenu notamment député du Pas-de-Calais :
« Ce n’est pas une pression permanente, ce sont des ripostes. Le journal a des pics de mauvaise foi. Quand je vois qu’ils recommencent à être vraiment militants, je me dis : vous voulez jouer à ça ? On va jouer à ça. Et hop, je leur balance des droits de réponse tous les deux-trois jours pour les calmer. “Vous avez écrit que la lumière était jaune, ceci est inexact, la lumière était blanche. Vous avez écrit que la peinture était rose, ceci est faux, elle est saumon.” C’est vraiment pour un oui ou pour un non, vous voyez ? »
À LIRE AUSSI : Le RN n’aime pas les journalistes
Un bassin minier désolé
L’imposante grille en fer forgé à l’entrée de l’hôtel de ville n’a pas bougé depuis 100 ans, symbole du savoir-faire métallurgique des usines héninoises. Quatre miniers de pierre, avec leurs casques et leurs pioches, soutiennent eux les balcons. Mais comme tout le reste de la région, la commune a subi de plein fouet la désindustrialisation. Les usines Samsonite et Metaleurope, la cokerie de Drocourt, les mines, toutes ont fermé.
Sur le marasme, les frontistes progressent, Steeve Briois en tête. Le petit-fils de mineur cégétiste, originaire de Seclin, à 20 km de là, séduit. Surtout, il sait que dans ce bastion historiquement gaucho, le socialisme a déçu : la gestion économique est catastrophique, la ville est surendettée et gangrénée par le clientélisme. La personnification de la débâcle réside en la personne de Gérard Dalongeville. L’ancien maire a été mis en examen et condamné pour détournement de fonds publics à trois ans de prison ferme. Suspendu de ses fonctions, exclu du PS, il écoeure en local. « Qui dit endettement dit mesures impopulaires », énonce Gianni Ranieri, l’élu communiste d’opposition. Les impôts ont explosé pour relever la ville en quasi-faillite. Et la gauche a perdu la mairie. Depuis, le taux d’abstention tourne systématiquement autour des 50%, et le RN bénéficie d’un réservoir de 5.000 à 6.700 voix sur les 17.600 inscrits – à l’exception des présidentielles qui mobilisent davantage, comme dans toute la France.
Un taux de pauvreté qui stagne
Alors toutes les petites attentions du maire pour améliorer le cadre de vie des Héninois, jusque-là sacrifié, sont les bienvenues. « Mais n’importe quel maire aurait fait ça », expose Inès Taourit. « Steeve Briois s’occupe du centre-ville, c’est très bien, mais on n’est pas une commune de 3.000 habitants. Qu’en est-il du reste de la ville ? » Les deux élus d’opposition fustigent également la politique « ultra-libérale » de la mairie, qui a privatisé la crèche, le funérarium et même la toute nouvelle piscine – « avec une augmentation de 60% du prix d’entrée, pour qui sont faites ces rénovations ? ».
Récemment, Mattéo Lebas, jeune poulain du parti Horizon d’Édouard Philippe à Hénin-Beaumont – où la droite n’existe plus depuis les années 90 – a publié une vidéo sur Twitter pour fustiger la politique de la mairie RN. L’étudiant rappelle que le taux de chômage a augmenté dans sa ville – selon l’Insee, il est passé de 11,6 à 13,6% entre 2009 et 2020 – et le taux de pauvreté est toujours largement supérieur à la moyenne nationale – 24% en 2021 contre 14,5% en France. « Mais le maire s’est invité dans le foyer des gens et à toute leur sympathie », explique-t-il, réaliste. Tout comme Marine Le Pen, député de la circonscription – dont la permanence, à quelques mètres de la mairie, ne semble pourtant pas souvent ouverte. « Ce n’est pas “Marine Le Pen ici”, mais “Marine” », insiste le militant :
« Et Steeve Briois c’est “Steeve” et on lui fait la bise. »
Une bataille idéologique
En face de la mairie se situe l’indéboulonnable siège du PCF. Propriété privée du parti, il est l’un des rares endroits où peuvent se réunir les oppositions politiques et syndicales. Gianni Ranieri tend son téléphone. Sur la vidéo, un colleur du Rassemblement national balance à un opposant « rentre dans ton pays ». « J’ai l’habitude de dire que les gens d’ici ne sont pas fachos mais fâchés », insiste-t-il :
« Mais la minorité très facho ne se cache pas : ici on n’a pas peur de se faire épingler par son voisin. Et le maire ne condamne pas. »
Il dénonce aussi la bataille idéologique qui se joue dans Hénin-Beaumont, avec notamment l’initiative de la mairie de renommer certaines rues, comme l’avenue Brigitte Bardot – l’ex-actrice, condamnée cinq fois pour incitation à la haine raciale, est une proche du RN – ou le rond-point Michel-de-Camaret, ancien résistant membre du FN et de l’Action Française, groupuscule nationaliste et royaliste d’extrême droite. Il y a aussi eu la tentative d’installer la crèche de Noël dans la mairie, une atteinte à la laïcité selon le Tribunal administratif de Lille (59) qui l’a interdite.
Contacté, Steeve Briois n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Dans une de ses dernières interviews à France Bleu Nord, à l’occasion de ses 10 ans de mandat, le maire s’est félicité de ses résultats en matière de fiscalité, d’économie et de transformation de la ville. En réussissant, au passage, à mettre un taquet à son adversaire politique, l’écologiste Marine Tondelier.
Illustration de Une de Caroline Varon.
(1) Édit le 14/06/24 à 17h57 : À ce moment-là, David Noël était adhérant à la LDH d’Hénin-Beaumont, et non pas président comme écrit précédemment.
(2) Édit le 14/06/24 à 17h59 : David Noël a bien été condamné en première instance, mais été relaxé en appel.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER