En ce moment

    02/04/2024

    « Je reconnais ouvertement avoir eu dans ma carrière ou dans ma vie recours à des produits dopants »

    Violence sur une femme, cocaïne et fight club : les mensonges du coach Gaëtan Le Bris

    Par Théo Mouraby

    Le coach Gaëtan Le Bris se présente comme l’un des premiers Français à avoir combattu dans les fights clubs. Il est surtout rejeté par plusieurs organisations, a frappé une membre de sa salle et encouragerait ses poulains à prendre des stéroïdes.

    Gaëtan Le Bris est mort. Puis il est revenu à la vie. C’est, du moins, ce qu’il raconte, en avril 2023, aux followers d’un podcast suivi dans le milieu des sports de combat. « J’ai eu un accident de voiture dans lequel je suis décédé. » Son intervieweur s’empresse de préciser pour la compréhension des auditeurs : « Oui, alors t’as été cliniquement mort pendant… » « Pendant plus de deux minutes. Oui, exactement », coupe Le Bris, sans ciller en caressant d’un mouvement répétitif sa barbe grisonnante. Cheveux dressés sur le haut de la tête et rasés de près sur le côté, ce Glandois – gentilé des habitants de Gland, en Suisse – est dans un de ses exercices préférés : l’interview. À chaque occasion, Gaëtan Le Bris aime rappeler sa carrière, ses combats et ses réussites. Il serait le premier Français à avoir emmené des combattants dans des fights clubs illégaux et a été l’entraîneur de certains des meilleurs francophones en combat à mains nues comme Valentin Vauthiers, le « French Viking », ou Steve « Venom » Pasche.

    Mais depuis le 31 décembre 2023, c’est sa popularité qui semble avoir besoin d’une résurrection. Le soir du Nouvel An, Gaëtan Le Bris a frappé une membre de sa salle de sport romande. La femme a porté plainte et une procédure judiciaire est en cours. Le principal intéressé – toujours présumé innocent à ce stade de la procédure – a reconnu les violences. « Je suis le coupable des coups portés. » « Je pense avoir été assez violent », admet Le Bris sur Instagram le 15 janvier.

    L’épisode a fait l’effet d’un électrochoc sur les réseaux où les témoignages se sont multipliés. « Des gens dans l’entourage de Gaëtan qui ont vu la drogue, le dopage, les excès de colère, les menaces… », énumère Cyrille Diabaté. Du haut de son mètre 97 pour plus de 90 kilos, cet ancien combattant professionnel de MMA, l’un des premiers Français au début des années 2000, est une figure respectée du milieu. Il a été l’un des premiers à révéler l’affaire sur les réseaux sociaux. Il explique à StreetPress :

    « Je ne supporte pas les charlatans, les mythos et les mecs qui tabassent les femmes. Lui il m’énerve tout particulièrement car il coche pas mal de cases le lascar. »

    StreetPress a recueilli plus d’une douzaine de témoignages qui racontent comment Gaëtan Le Bris, une des figures influentes du milieu, est devenu persona non grata dans la plupart des structures où il est passé. À la lecture de nos questions, le coach de combat s’est d’abord contenté d’une menace : « Si [vous] publiez quoi que ce soit, je [vous] attaque. » Suite à nos relances, il est ensuite revenu sur sa décision. Dans un entretien d’une trentaine de minutes qu’il dit avoir enregistré, il s’est parfois contredit d’une question à l’autre. Il a questionné l’intérêt de StreetPress pour « tout ce qui pourrait être, peut-être, discutable » dans sa vie, tout en détaillant de lui-même son usage de drogues :

    « Je reconnais ouvertement – vous pouvez le mettre : OUVERTEMENT –, avoir eu dans ma carrière ou dans ma vie recours à des produits dopants et à de la drogue dans ma vie privée. Que ça soit clair. Et que je suis passé à côté de tous les contrôles anti-dopages. C’est une réalité. Mais je ne suis pas qu’un athlète dopé sur toute sa carrière et qu’un camé qui tape des femmes. »

    Fight Club

    31 octobre 2020. Deux combattants s’affrontent dans un coin de la Suède. Autour d’eux, une foule d’anonymes sont massés contre les grilles, souvent masqués. Un jour comme un autre dans la vie du K.O.T.S, le « King of the Street », un fight club underground au 1,28 million d’abonnés sur YouTube, déjà évoqué par StreetPress pour les néonazis qui y fourmillent. Mais Gaëtan Le Bris n’est pas le combattant français dans la cage. C’est Valentin Vauthiers, le French Viking. L’entraîneur presque quadragénaire d’un mètre 73 est hors de l’arène, dans le public. Il court, il hurle, il « coach » à s’arracher les poumons et tente de prodiguer des conseils au fighter hexagonal. Ce n’est pourtant pas son poulain : celui de Le Bris à ce K.O.T.S est Yanek Czura – qui fait partie du groupe de néonazis helvètes Swastiklan Wallis. Après la victoire de Vauthiers, l’entraîneur vient voir le pugiliste, qui n’a pas de coach. Gaëtan Le Bris est embauché.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/6-19-resp640.jpeg

    Gaëtan Le Bris lors du K.O.T.S où il a rencontré Valentin Vauthiers (à gauche). En plus du French Viking, Le Bris prend la pose avec le néonazi lillois Tomasz Szkatulski (centre droit) et le néonazi suisse Yanek Czura (à droite). / Crédits : DR

    La perf’ du French Viking a aussi attiré l’œil des médias, et particulièrement celui du journaliste de Brut Charles Villa, qui réalise un documentaire sur le duo. En mai 2021, Valentin gagne son deuxième combat devant sa caméra. Gaëtan exulte à l’image. Tout semble sourire au coach. Il a ouvert sa salle de sport « One more step training » près de Genève et le documentaire Brut sort dans la foulée. Les médias viennent toquer à sa porte. Le Glandois se présente comme un ancien combattant de fights clubs, dans lesquels il aurait fait fortune à son arrivée en Suisse après 2008. Au journal La Côte, il prétend notamment avoir gagné 50.000 francs suisses (équivalent à l’euro) lors d’un combat de moins de deux minutes. Pas avare des allusions disproportionnées, il ose selon le média helvète :

    « Je ne connais personne qui peut gagner 50.000 francs en deux minutes, hormis peut-être Cristiano Ronaldo. »

    L’histoire est-elle vraie ? Des combattants qui l’ont fréquenté dans les années 2010 quand il faisait du jiu-jitsu brésilien n’y croient pas. « Je le connais depuis 2012, la période où il dit avoir fait ces combats. Et il n’en avait jamais parlé. Si ça avait été vrai, il nous l’aurait dit. Ça aurait été un faire-valoir de plus », croit savoir un de ses anciens comparses. Un autre, Victor Marques, qui le fréquente dès 2014, n’en pense pas moins :

    « Il a inventé toute une vie dans sa tête. En fait, il vit le film Fight Club dans sa tête. »

    Interrogé sur ce point, Le Bris soutient qu’il a combattu dans des fights clubs où « des gens payaient pour voir des mecs qui se tapaient dessus jusqu’à la mort ». « Ce sont des gens qui payaient 1.500 euros la table pour avoir des vidéos qu’on ne trouvait pas. C’est ça un vrai fight club », assure le Glandois, qui n’a transmis aucun élément à StreetPress pour appuyer ses propos.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/kots_telegram_screen.jpg

    En janvier 2023, un message de l’administrateur du K.O.T.S met même en garde les 17.000 abonnés de la chaîne Télégram contre « la balance Gaëtan » qu’il accuse de faire fuiter des informations à la police scandinave. / Crédits : Telegram

    Persona non grata des combats

    Gaëtan Le Bris est désormais loin des combats clandestins. Il n’est plus le bienvenu au K.O.T.S depuis l’été 2021, après le troisième et dernier combat du French Viking. Sur des vidéos, on le voit se faire écarter des grilles tellement ses mains sont proches des combattants. Dans une autre, après le combat, un organisateur le remet en place d’une grande claque. Présent avec Le Bris pour son docu en 2021, Charles Villa se souvient : « Le K.O.T.S., c’est un endroit où tu peux trouver plein de profils atypiques. T’as des néonazis, des antifas, des hooligans… Et dans tout ça, le mec qui hurle le plus et est le plus relou, c’était Gaëtan. » En janvier 2023, un message de l’administrateur du K.O.T.S met même en garde les 17.000 abonnés de la chaîne Télégram contre « la balance Gaëtan » qu’il accuse de faire fuiter des informations à la police scandinave. « Est-ce qu’il est en prison aujourd’hui oui ou non ? », interroge Le Bris, sans répondre directement aux accusations. Quant à la fin de ses venues au K.O.T.S, il assure qu’il est parti et qu’ils ne l’ont pas « mis dehors », même s’il se contredit dans la seconde :

    « J’ai dit : “Le French Viking, il ne combattra pas sans moi”. On m’a dit : “Gaëtan, je préfère que tu ne reviennes pas”. »

    Le Bris s’est ensuite rabattu sur deux autres organisations de combat à mains nues, le « bare knuckle », en Angleterre dès décembre 2021 puis en Allemagne à partir de septembre 2022. Un vidéaste spécialisé dans les sports de combat est venu à plusieurs de ces événements pour filmer les combattants français. Selon ce témoin, qui est resté en lien avec les organisateurs, les deux compétitions auraient aussi déclaré Le Bris persona non grata à leurs événements. Là encore, le coach dit en être parti de lui-même, notamment pour des raisons pécuniaires. Mais pour le vidéaste, son comportement était aussi pointé du doigt :

    « Ce qui me gênait le plus, c’est qu’il s’incrustait dans les coins des autres combattants pour les coacher. Un arbitre lui a même dit qu’il était le mec le plus ingérable qu’il avait vu de sa vie. Et lui, il s’en vantait. »

    Même écho pour Charles Villa. Le journaliste a beau avoir filmé le French Viking et son coach à quatre reprises pendant plusieurs jours pour son docu, il a fini par couper les ponts avec Gaëtan, « devenu trop relou » :

    « Il prenait énormément de place quand je les filmais. Il avait peur que je le zappe. Et même dans sa manière de parler, de se mettre en scène : quand tu regardes le doc, il ne parle qu’en punchline. »

    Deux ans et demi plus tard, le documentaire de Brut est retiré des plateformes après l’agression de Gaëtan Le Bris lors du Nouvel An.

    L’agression

    Ce soir-là, le coach festoie dans une boîte de nuit genevoise en compagnie d’une femme qui s’entraîne dans sa salle. Au fur et à mesure des heures, les verres s’accumulent. Les caméras de surveillance le retrouvent sur le bord d’une autoroute, plus tard dans la nuit, en train d’agresser physiquement celle qui l’accompagne. Selon un tiers lié à l’affaire, la police intervient en voyant les images. Le Bris est menotté et placé en garde à vue, près de Genève, jusqu’au lendemain à 17 heures. La victime aurait été hospitalisée pour de multiples coups et une morsure à la main.

    Pendant quelques jours, rien ne filtre. Moins d’une semaine après les faits, Gaëtan Le Bris se présente même à un événement de bare-knuckle dans le Sud de la France et publie plusieurs photographies. Ce n’est finalement que lorsque Cyrille Diabaté commence à poster sur l’histoire le 6 janvier 2024 que Gaëtan Le Bris évoque publiquement les faits. « À ce jour, c’est la plus grande tragédie de toute ma vie car j’ai perdu ma compère de vie », garantit le coach à StreetPress. Le quadragénaire certifie qu’il ne se « souvient pas » de cette « violence que je lui ai imposée ». Mais il s’agace face aux questions :

    « Pourquoi ça serait public mes affaires privées, ça regarde en quoi les gens que je cartonne une femme ou un homme ? »

    Le coach avait pourtant abordé l’affaire dans de nombreuses stories pour s’en excuser ou « répondre aux allégations ». Dans l’une d’elles, apparemment dégoûté, il indiquait faire « [sa] dernière publication », avant d’en enchaîner plus de 70.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/img_4392.png

    La dernière, mais il y en a 70 autres derrière. / Crédits : Instagram

    L’affaire Tristan Cousin

    Avant cette affaire, Gaëtan Le Bris avait déjà été pointé du doigt par certains de ses anciens poulains, comme les frères Tristan et Jordan Cousin. Le premier a rencontré Le Bris en 2021. « C’était son truc les combats à mains nues. Avec Gaëtan, il a accroché dès le départ », raconte le second. Jordan est plus réticent mais il finit aussi par rejoindre la salle. Les résultats suivent, Tristan devient « une machine de guerre physiquement », témoigne Maxime, un ami proche de Tristan, qui se dit que Le Bris « doit être un bon coach ». En plus, le pugiliste fait « un éloge pas possible » de l’entraîneur :

    « Ça se voit que c’est un gars qu’il adule, dans lequel il a entièrement confiance. »

    Face à ces louanges, Maxime se tâte à s’entraîner chez Gaëtan. Il le rencontre en avril 2022 et lui explique qu’en tant que commercial, « on boit beaucoup avec les clients ». « J’avais peur que ça gêne mon entraînement. » Pas un problème, lui déclare Le Bris, qui lui aurait soutenu qu’eux aussi buvaient. Après tout, le coach aime montrer l’énorme rangée de bouteilles d’alcool qui ornent sa salle sur des étagères. « Il m’a dit : “T’inquiète pas. On a tout ce qu’il faut ici, des trucs, des techniques pour surmonter ça”. En faisant semblant de renifler. Je me suis dit qu’il n’était pas clair, qu’il avait l’air cocaïné. » Maxime reçoit peu après un message étrange de Tristan Cousin, que StreetPress a pu consulter. Il lui déconseille fortement d’aller chez Gaëtan :

    « Du jour au lendemain, son discours a complètement changé. Il m’a dit : “C’est un gourou de merde” (1). Après, il m’a même dit au téléphone : “Il m’a fait replonger”. »

    « Tristan, c’est un ancien alcoolique et drogué. Il avait réussi à tout arrêter depuis sept ans », explique son frère Jordan. Tristan Cousin finit par rompre son association avec Gaëtan le 17 avril 2022. Dans les mois qui suivent, le frère de Jordan n’arrive pas à s’en sortir et enchaîne les séjours en cures de désintox. Il fait une première overdose. À l’été 2023, il met fin à ses jours, peu de temps après la naissance de son second enfant. À StreetPress, Jordan tient à préciser que « Gaëtan n’est pas responsable à 100% de la mort de mon frère ». Mais selon lui, c’est bien « la reprise de la drogue et l’alcool qui l’a amené aux enfers. Et là-dessus, c’est Gaëtan le premier responsable » (2).

    Drogue et stéroïdes

    De son côté, Gaëtan Le Bris assure l’inverse. Tristan aurait eu dès son arrivée « des gros problèmes d’addictions et de cocaïne » et c’est à son contact qu’il n’aurait plus bu « une goutte d’alcool, ne touchait pas à une seule drogue ni à un produit dopant ». Il serait « retombé dedans » une fois parti. « C’est pas parce qu’on peut avoir les mêmes démons que j’entraine les gens avec moi dans ma perte », lâche le coach à StreetPress.

    Le témoignage de Maxime ou Jordan Cousin rejoint pourtant celui d’anciens adhérents qui se seraient vu proposer de la cocaïne et des produits dopants comme des stéroïdes ou de la testostérone dans le but de booster leurs performances. « Il se charge toute l’année », lâche un ex-adhérent, parti après les violences de Le Bris au Nouvel An. Un autre livre : « Quelqu’un qui arrive à la muscu, il peut se laisser tenter si tu lui dis : “C’est des produits miracles, ça va aller plus vite…” T’es coach et t’envoies le mec dans les stéroïdes. Ça commence comme ça, puis ça va crescendo… »

    StreetPress s’est procuré une conversation où Le Bris montre des seringues dans sa main. Si le produit n’est pas précisé, il se vante dans le message suivant : « J’ai 16 ans de carrière… Je me suis jamais fait chop’. » Interrogé sur ce point, sans voir la photo, Le Bris crie au montage mais sait exactement à quoi elle correspond :

    « Les photos où j’ai les fioles dans la main, les fioles de testo, c’est un montage. Vous n’aurez jamais la photo originale. C’est impossible. »

    Avant d’ajouter ensuite, sans que l’on n’ait rien demandé :

    « La seule photo qui est véritable, c’est celle ou je suis assis et où je prends un trait de cocaïne. Ça c’est une vraie photo. »

    (1) Interrogé au sujet de ce message, Gaëtan a éludé : « Vous êtes vraiment sûr d’avoir le bon message du bon téléphone ? »

    (2) Jordan Cousin souhaite aussi déposer plainte pour « vol de papier d’identité et usurpation d’identité » au nom de son frère, pour une histoire de PV reçus au Brésil et en Suisse. Tristan Cousin aurait prêté son permis à Le Bris il y a plusieurs années. Ce dernier nie être l’auteur des amendes helvètes et dit s’être fait saisir le document au Brésil.

    Enquête de Théo Mouraby, illustration de Une de Jérôme Sallerin/Rojer.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER