À la Bourse du travail de Béziers (34), l’ambiance est tendue. Dans cette ville gouvernée par l’extrême droite et Robert Ménard depuis bientôt dix ans, l’intersyndicale a décidé d’organiser une grande manifestation le 23 avril prochain. « On n’en peut plus que Béziers passe pour une ville de fachos en permanence », explique Julien Rader, le secrétaire général de l’union locale de la CGT. Une réunion d’organisation a eu lieu ce mardi 27 février au soir. Autour de la table, tous les syndicats, ou presque. Force Ouvrière (FO), qui a été conviée, ne s’est pas présentée. « De toute façon, ils ne nous disent même plus bonjour », soupire Julien Rader.
Le contact entre FO et les autres syndicats est quasiment coupé depuis plusieurs années. Encore plus depuis son changement de bureau, début 2023. « Casseurs de grève », « barbouzes », alliés de l’extrême droite… Les qualificatifs ne sont pas tendres envers un syndicat qui semble faire bande à part, et même marcher main dans la main avec la majorité de Ménard. Un des cadres les plus importants du syndicat à Béziers est particulièrement bien inséré dans les rouages de la municipalité : Marc Valette. Le presque sexagénaire, cadre administratif à l’hôpital local est le secrétaire général de la section FO de l’hôpital, qui y est majoritaire. Il est aussi président de l’amicale de l’hôpital, membre du bureau de l’union locale de Force Ouvrière, et surtout, conseiller municipal délégué aux sports à la mairie de Béziers, au sein de la majorité d’extrême droite de Robert Ménard. Un sacré cumul.
Dans cette ville gouvernée par l’extrême droite et Robert Ménard depuis bientôt dix ans, l’intersyndicale a décidé d’organiser une grande manifestation le 23 avril prochain. / Crédits : Compte Twitter de la ville de Béziers
FO défend la politique de Ménard
La position de ce cadre infuse localement auprès de l’ensemble du syndicat. Pendant deux semaines, StreetPress a tenté de joindre FO. Les emails et appels sont restés sans réponse. Sur place, on finit par pousser à l’improviste la porte du local pour tomber sur une quinzaine de syndicalistes membres du bureau aux regards pour le moins circonspects. Las, Marc Valette n’est pas présent. Mais sa double casquette syndicale et politique ne semble pas vraiment poser de problèmes. « On est sur une limite, mais on ne la traverse pas », concède à peine l’une des syndiqués. Pour un autre, c’est même « très positif », car « il s’agit de deux mandats différents, mais qui permettent de développer des relations privilégiées et même, de négocier des choses qui ne passeraient pas autrement ». C’est toute l’union locale de FO qui semble rouler pour Ménard. Valette n’est d’ailleurs pas le premier syndicaliste à rejoindre la majorité. Delphine Azais, également salariée de l’hôpital et syndicaliste, a intégré l’équipe municipale dès 2020. Mais elle n’est plus candidate sur les listes Force Ouvrière depuis 2022.
FO main dans la main avec l’extrême droite à Béziers ? Jean-Pierre Andrieu, le secrétaire général de l’union locale, conteste… Il lance :
« En quoi Robert Ménard est-il d’extrême droite ? »
Sans se démonter, le syndicaliste affirme que la municipalité n’a « pas supprimé de libertés aux Biterrois ». « Ménard n’a pris aucune mesure d’extrême droite depuis son élection », ose-t-il. Une affirmation facilement contredite au travers de la composition de la majorité municipale – qui compte plusieurs conseillers du Rassemblement national (RN) – ou des actions concrètes de l’élu. Mais aussi par la politique menée par l’édile. Ménard a par exemple triplé le nombre de policiers municipaux et les a armés, a invité très régulièrement des figures d’extrême droite, a effacé l’opposition des étagères de la médiathèque de Béziers et a multiplié les postures radicales dans les médias. Il a aussi livré une bataille autour des noms des rues, en renommant par exemple l’une au nom d’un partisan de l’Algérie française, que l’historien Richard Vassakos documente dans son livre La Croisade de Robert Ménard.
L’obédience politique d’extrême droite du maire n'est pas contestée par la plupart des associations et organisations syndicales de Béziers, au contraire de FO. / Crédits : DR
Pour Jean-Pierre Andreu, le secrétaire de l’union locale et secrétaire FO à l’agglo, l’important, c’est de « créer les conditions du dialogue social, qui que soit le patron », ce qui nécessite d’être « respectueux dans les deux sens ». / Crédits : DR
Un syndicalisme « apolitique », sans lien avec les autres
« À l’hôpital comme à la mairie, mais aussi à l’agglomération Béziers Méditerranée ou à la médiathèque municipale, Force Ouvrière, c’est le syndicat maison », explique Mathilde (1), employée municipale qui préfère rester anonyme. Comprendre « le syndicat préféré de la direction ». Mathilde résume :
« Celui qui a une relation privilégiée et qui ne l’emmerde pas trop. »
Alors, FO se mélange peu avec les autres syndicats. « C’est simple, on ne les voit jamais », résume une permanente CGT. Pendant le mouvement contre la réforme des retraites, Force Ouvrière n’a pas pris part à l’intersyndicale. Ses militants étaient bien présents en manifestation, mais pas ceux travaillant à la mairie selon plusieurs militants locaux. Même chose au moment de la lutte contre la loi immigration, considérée comme « trop politique, pas assez syndicale » par FO, qui revendique un syndicalisme « apolitique ».
Pour Françoise et Sandy, militantes de Solidaires, la proximité avec l’extrême droite ne les surprend pas plus que ça : elles citent notamment l’exemple très récent de Jean-Claude Escalier, délégué FO depuis 33 ans dans l’Ardèche (07) et secrétaire régional, qui vient d’annoncer son adhésion au Rassemblement national. Celui-ci a été exclu de Force Ouvrière mais « parce qu’il a mis FO en avant, et qu’il est anti-statutaire de lier le syndicat à un parti politique », confie en off un cadre confédéral de FO. « Nous ne dirons jamais que nous sommes contre l’extrême droite ou le Rassemblement National, parce que nous ne faisons pas de politique », ajoute ce dernier.
Grève torpillée
Dix ans de Robert Ménard à Béziers ont érodé les protestations. « C’est impossible de se mobiliser contre une mesure soutenue par le maire parce que tout le monde vit dans la peur d’une placardisation », avance Mathilde, l’employée à la mairie. Certains salariés d’espaces municipaux ou de l’agglomération témoignent avoir été écartés pour leurs opinions politiques. Pourtant, Force Ouvrière n’en a apparemment jamais entendu parler. Jean-Pierre Andreu, le secrétaire de l’union locale, est aussi secrétaire FO à l’agglo. Pour lui, l’important, c’est de « créer les conditions du dialogue social, qui que soit le patron », ce qui nécessite d’être « respectueux dans les deux sens ». Il affirme :
« Dans la collectivité, il y a un dialogue constructif et je n’ai jamais entendu parler d’employés placardisés pour des divergences politiques avec la majorité. »
Le dialogue social prôné par FO ne se fait en tout cas pas en lien avec les autres syndicats. Dernier exemple en date, une grève à l’Ehpad du centre hospitalier, en septembre 2023. La veille de celle-ci, Marc Valette accorde une interview à Midi Libre, dans laquelle il désolidarise son syndicat du mouvement de grève. Une initiative qui reste en travers de la gorge pour ses collègues. « Qu’ils ne soutiennent pas la grève, ça s’entend », argumente une militante CGT dans son local syndical, « mais aller la casser dans les médias avant même qu’elle ait lieu, c’est une volonté de nuire à mes yeux ».
À l’hôpital encore plus qu’ailleurs, les relations avec le syndicat sont tendues. « Déjà, on ne peut parler qu’avec Valette. Quel que soit le sujet, la réponse de FO sera toujours : “On appelle Marc et on te dit” ». / Crédits : DR
Tensions à l’hôpital
À l’hôpital encore plus qu’ailleurs, les relations avec le syndicat sont tendues : « Déjà, on ne peut parler qu’avec Valette ». Selon Antoine (1), un autre militant CGT, « quel que soit le sujet, la réponse de FO sera toujours : “On appelle Marc et on te dit” ». StreetPress a pu le constater en direct en frappant à la porte du local syndical de l’établissement. Il n’était toujours pas là, mais six de ses camarades oui. Immédiatement, l’un d’entre eux dégaine son téléphone pour appeler « monsieur le secrétaire » et demander la marche à suivre. Les autres croisent les bras d’un air relativement agressif, et au bout du fil, la sentence tombe : fin de non-recevoir. Avec tout de même une phrase, qui revient en boucle :
« Nous n’avons pas de rapports avec la municipalité et le maire, ni avec le conseil de surveillance de l’hôpital. »
Sauf que Force Ouvrière hôpital a bel et bien des rapports avec le maire, puisque celui-ci est président dudit conseil de surveillance, auquel siège Marc Valette. Le secrétaire FO a d’ailleurs voté pour lui, comme tout le reste du conseil à l’exception du représentant de la CGT, José Garcia. À la retraite depuis le mois dernier, celui-ci y a siégé des années durant, et a été témoin de l’arrivée de Robert Ménard à la présidence. « En 2014, l’ancienne directrice de l’hôpital, qui était opposée aux idées d’extrême droite, a voulu lui faire barrage et il n’a pas été élu », se souvient le syndicaliste. « Mais en 2020, la nouvelle direction lui a fait un pont d’or, et j’ai été le seul à voter contre son élection. » Selon lui, les réunions du conseil de surveillance de l’hôpital se déroulent exactement comme celles du conseil municipal :
« Il n’y a presque que Ménard qui parle. Il a de très bonnes relations avec le directeur, et ce dernier achète la paix sociale au travers de ses relations avec FO. »
Et tant pis pour les autres syndicats : FO ne co-signe jamais leurs affiches.
Les réunions du conseil de surveillance de l’hôpital se déroulent exactement comme celles du conseil municipal : « Il n’y a presque que Ménard qui parle. Il a de très bonnes relations avec le directeur, et ce dernier achète la paix sociale au travers de ses relations avec FO. » / Crédits : DR
Chez les salariés de l’hôpital, certains parlent de Valette comme d’un homme « très entreprenant, voire agressif lors des périodes d’élections professionnelles ». D’autres évoquent carrément un « climat de peur, comme chez les agents municipaux ou de la médiathèque ». Ils n’hésitent pas à comparer le climat instillé localement par Robert Ménard avec celui mis en place dans l’établissement par le conseiller municipal, qui, selon eux, « se balade avec deux-trois gros bras de sa section syndicale dans les couloirs d’un air intimidant ». « Quand il est en colère, il rentre dans les autres locaux syndicaux sans frapper, comme une tempête », rapporte une syndicaliste qui préfère rester anonyme. Certains salariés vont même jusqu’à évoquer des « méthodes de barbouze » et des « pressions sur les salariés au moment des élections professionnelles pour s’assurer de conserver la majorité à l’hôpital ». « Force Ouvrière est très offensif, et tout passe par Valette », résume sobrement un salarié sorti fumer une cigarette.
Un historique aux très bonnes relations
C’est finalement par téléphone que StreetPress va attraper Marc Valette. Questionné sur les liens entre FO et la majorité municipale, il répond d’abord n’avoir « aucun rapport avec la municipalité ». Face à la mention de son rôle de conseiller, il fait mine d’être surpris : « Mais ça n’a rien à voir, ce sont deux fonctions qui n’ont aucun rapport. » Ses relations avec Robert Ménard et sa femme Emmanuelle, conseillère municipale et députée de l’Hérault ? Inexistantes, jure-t-il dans un premier temps. Puis « effectivement très bonnes » quand on évoque le conseil de surveillance de l’hôpital. Impossible d’en savoir plus : « Je n’ai rien à vous dire » coupe l’élu, avant de raccrocher.
Questionné sur les liens entre FO et la majorité municipale, Marc Valette répond d’abord n’avoir « aucun rapport avec la municipalité ». / Crédits : Compte Facebook de Marc Valette
L’homme connaît bien les arcanes locaux. Il était déjà conseiller municipal, et délégué aux sports, sous l’ancien maire de droite dure Raymond Couderc, qui a dirigé la ville de 1995 à 2014. Quand ce dernier jette l’éponge, Robert Ménard remporte la timbale avec le soutien du Front national, de Debout la République et du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Marc Valette n’est alors pas de la partie, il a choisi la liste de l’héritier désigné par Couderc, Elie Aboud. Mais aux municipales de 2020, le voilà qui apparaît sur la liste de Robert Ménard. Celui-ci est réélu au premier tour, avec 68% des voix, et Marc Valette retrouve son siège au conseil municipal, même s’il n’y est apparemment pas le plus actif. Nicolas Cossange (PCF), un des cinq conseillers municipaux d’opposition, sur les 39 qui composent les séances, grince :
« C’est très simple, on ne l’entend jamais, à part pour lire les délibérations. C’est un fantôme. »
FO attentif à la succession de Ménard
Le maire a déjà annoncé ne pas se représenter, et vouloir qu’Emmanuelle Ménard – sa femme – lui succède. Le couple veut du renouvellement mais Valette tient à ses mandats. Alors, le syndicaliste bosse son entente avec celle qui est aussi députée d’extrême droite. Marc Valette s’empresse de partager sur ses réseaux sociaux presque toutes les publications de la ville ou de sa députée, qu’il y apparaisse ou non. Il s’est affiché à ses côtés au Palais des congrès de la ville début janvier 2024 pour le loto de l’amicale de l’hôpital, qui a été relancée l’année dernière et dont il est, surprise, le président. Ou au stade de Béziers, très attentif à un discours du maire. Ou encore à une dégustation de crêpes au club des Boulomanes de Béziers.
Marc Valette s’empresse de partager sur ses réseaux sociaux presque toutes les publications de sa députée. Il s’est affiché à ses côtés au Palais des congrès de la ville début janvier 2024 pour le loto de l’amicale de l’hôpital. / Crédits : DR
Dans un tel contexte, les membres de l’intersyndicale voient mal comment le dialogue peut être rétabli. La manifestation dans un mois risque d’être décisive pour Julien Rader, de la CGT :
« Si FO ne vient pas, leur position sur l’extrême droite sera claire pour tout le monde. »
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Contactés à de multiples reprises, la mairie de Béziers, son service communication et Robert Ménard n’ont donné aucune suite à nos sollicitations, bien qu’ils aient pris connaissance de nos messages.
Contactés, le secrétaire confédéral, ainsi que le secrétaire général de l’union départementale Hérault de Force Ouvrière n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
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