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    19/01/2024

    « Leur allégeance à une idéologie nauséabonde » n’a fait aucun doute

    Radicalisation néonazie : comment des ados sont passés à l’acte

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Quatre mineurs ont été jugés après le tabassage de collégiens aux cris de « sales bougnoules ». Les enquêteurs ont constaté un processus de radicalisation vers une idéologie d’extrême droite très violente, devant leurs parents désarmés.

    Paris, Tribunal pour enfants – Maxim W. est « fasciné par le danger » selon sa mère. Il confectionne des pistolets chez lui et voudrait intégrer une école d’armurerie une fois son Bac passé. Noé H., lui, est déscolarisé depuis quelques mois et voudrait entrer dans la marine nationale. Il y a aussi Alexandre E. et Alexandre H. : les deux Franco-Russes se connaissent depuis la primaire. Le premier est un scout qui s’est mis au MMA en début d’année. Le second estime que, s’il était président, il « changerait les lois pour qu’il n’y ait plus de mineurs non accompagnés en France », ni de gens issus « de l’immigration sauf pour les personnes qui en ont besoin ».

    En septembre 2023, ces quatre ados ont été entendus par les magistrates de la 25e chambre, devant leurs parents désarmés. Ils ont entre 16 et 17 ans. « Je suis profondément de gauche […]. Ça a été la sidération lors de la garde à vue quand on a notifié les motifs », dit un des pères. Maxim, Noé et les deux Alexandre ont participé à une expédition punitive préméditée devant le lycée Victor Hugo, dans le 3ème arrondissement de Paris. Le 20 avril 2023, une vingtaine de jeunes militants néonazis ont tabassé des collégiens et des lycéens aux cris de « sales bougnoules ». Devant le tribunal pour mineurs, les quatre ados ont expliqué que l’agression n’avait rien de politique. Les assaillants néonazis se seraient même greffés à leur rixe. L’exploitation de leurs téléphones n’a cependant laissé « aucun doute » sur leur « orientation politique » aux enquêteurs, qui constatent « leur allégeance à une idéologie nauséabonde et leurs liens avec les milieux identitaires ».

    StreetPress a pu consulter des éléments du dossier d’instruction. La police, comme leurs parents, constatent une radicalisation inquiétante des quatre adolescents. Si le terme a été jusqu’à présent assigné à l’islamisme radical, cette affaire illustre le glissement de jeunes vers une mouvance d’extrême droite extrêmement violente. Ces mineurs se sont progressivement repliés sur eux-mêmes, pour certains ont rejeté leurs parents, et se sont rapprochés de groupes rencontrés sur internet. Leurs nouvelles connaissances font partie de la division Martel, formation de très jeunes néonazis sur laquelle StreetPress a enquêté. Elle est d’ailleurs à l’origine de plusieurs attaques racistes. Après des semaines à évoluer dans cet environnement, les mineurs sont mûrs quand se prépare l’attaque raciste devant le lycée Victor Hugo.

    À LIRE AUSSI : La division Martel, les bébés néonazis parisiens

    Des familles démunies

    Le 13 juin 2023, à 6h33 du matin, les agents entrent au domicile d’Alexandre E. pour une perquisition. Spontanément, sa mère déclare aux fonctionnaires qu’elle est « très inquiète pour son fils ». « Il a tendance depuis quelque temps à vouloir sortir tard le soir », dit-elle, avant d’évoquer ses résultats scolaires en berne. Lorsque les policiers signifient au gamin qu’il est placé en garde à vue, elle l’interroge :

    « C’est pour cela que tu parlais des homosexuels l’autre jour et que tu disais les détester ? »

    L’ado se contente de baisser la tête et de répondre « non », penaud.

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    Dans les téléphones de certains des mineurs interpellés pour l'attaque raciste du lycée, de l'imagerie néonazie est retrouvée. / Crédits : DR

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    Dans un téléphone d'un des mineurs, une photo d'un salut nazi. / Crédits : DR

    Le père de Noé a lui aussi remarqué que son garçon était plus renfermé « depuis un mois ou deux », dit-il lorsque sa famille et lui passent devant la juge des mineurs de la 25e chambre du tribunal pour enfants de Paris. Son fils a pu tenir des propos « extrémistes ». « Mais il dit qu’il rigole. On ne sait jamais si c’est pour rigoler parce qu’il en parlait souvent. On sentait l’influence extérieure. » Face à la juge, Noé indique que ses parents lui ont déjà fait « la réflexion que [ses] propos allaient trop loin ». « Il y a des trucs que je disais qui ne leur plaisaient pas », glisse-t-il. Sans détailler davantage, sa mère lâche qu’il la « provoquait en tant que femme » :

    « On s’est dit : “C’est pas possible ce genre de discours”. »

    Le mineur, la docteure et les armes

    Dans l’enceinte du tribunal, aux côtés de la famille de Noé, se trouvent aussi Maxim W. et ses parents. Les deux pères se connaissent « très bien du karaté » et les couples s’estiment amis. « Depuis quelques mois, notre fils s’intéresse à la politique. Il nous tient des discours qui nous surprennent. Nous ne sommes pas très engagés politiquement mais nous avons nos opinions », entame la mère de Maxim devant la magistrate pour mineurs. Cette maître de conférences à l’université, dont le père était juif, s’inquiète énormément :

    « Ma peur, c’est que je ne sais pas jusqu’à quel point il est embarqué là-dedans. Il nous dit qu’on a aucun argument. Je ne sais plus quoi dire, je suis perdue. »

    Dans le cadre de l’affaire, un service éducatif a analysé Maxim et explique qu’il s’est « radicalisé il y a quatre mois sur les réseaux sociaux ». « On est tous d’extrême droite », penserait l’ado selon ce rapport, qui estimerait également que « c’est toujours les mêmes qui foutent le bordel ». L’éducatrice dresse le portrait d’un garçon « un peu perdu », qui « n’exprime aucun désir » et semblerait être « animé uniquement par une pulsion de mort ». Pour Maxim, cette fois, la figure de « l’autre » serait vue comme dangereuse : il y verrait une sorte de « rival néfaste dont il y a lieu de se débarrasser. »

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    Chez Maxim W., les enquêteurs découvrent dans sa chambre un véritable atelier. Outre un couteau à cran d’arrêt ou une machette de 45 cm qu’il a acheté, les enquêteurs trouvent de nombreuses « armes de poing en 3D en état de fonctionnement ». Ainsi qu’un « lance-roquettes en carton » équipé d’un dispositif électronique, que le mineur a confectionné lui-même. / Crédits : DR

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    Chez certains mineurs interpellés, les policiers retrouvent lors des perquisitions des répliques d'armes, souvent liés au airsoft. Mais aussi des couteaux. / Crédits : DR

    « Je ne suis pas surprise », commente la mère de Maxim W. face à ce rapport. La docteure en chimie décrit un fils qui a longtemps eu des difficultés à l’école, parfois suivi par une psychomotricienne, avec une passion pour les armes « difficile à accepter ». Il a dans sa chambre un véritable atelier. Outre un couteau à cran d’arrêt ou une machette de 45 cm qu’il a acheté, les enquêteurs trouvent de nombreuses « armes de poing en 3D en état de fonctionnement ». Ainsi qu’un « lance-roquettes en carton » équipé d’un dispositif électronique, que le mineur a confectionné lui-même.

    À LIRE AUSSI : La division Martel dissoute par le gouvernement

    FrDeter et Telegram

    Dans la procédure, les policiers semblent interloqués par le militantisme d’extrême droite de ces gamins qui sortent à peine du collège. « À votre âge, comment peut-on devenir raciste ? » demande-t-on à Maxim lors de sa garde à vue. « Quand on regarde des vidéos sur les réseaux », répond le jeune de 17 ans. « C’est le portable, ça c’est le gros problème », assène la mère de Noé. « On sent bien que ça vient des réseaux », ajoute son père. Selon leur fils, le groupe s’est rejoint via la discussion FrDeter sur Telegram. « Un groupe de droite qui est parti en couilles », minimise Noé. En avril 2023, plusieurs plaintes ont été déposées contre ce canal où s’échangeaient des propos racistes et des appels à la violence.

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    Dans un téléphone, les policiers trouvent une photo des deux Alexandre qui tiennent un drapeau identitaire « Defend Europe ». Alexandre E. y fait un salut de Kühnen, ersatz de salut nazi, tandis que Alexandre H. fait un signe islamiste repris par le Gud. / Crédits : DR

    Noé y aurait été invité via TikTok. « Je partage certaines de leurs opinions mais il y a des nazis sur ce groupe et je ne suis pas d’accord avec eux », se justifie-t-il aux enquêteurs. Certains de ces mineurs ont pourtant rejoint une discussion intitulée « camps d’entraînement SA », une référence aux sections d’assaut du parti nazi. « Je me suis dit que ça allait être une sorte de famille qui pouvait m’aider », rapporte Maxim à propos de ce que les enquêteurs qualifient de « communauté d’extrême droite ». Via ce groupe, les quatre participent à des entraînements de boxe avec des majeurs de la « DM ». La division Martel est un groupe de très jeunes néonazis parisiens, fans de combats, du Gud et d’Hitler. Les ados participent aux canaux Telegram de ce groupe radical. Dans un téléphone, les policiers trouvent une photo des deux Alexandre qui tiennent un drapeau identitaire « Defend Europe ». Alexandre E. y fait un salut de Kühnen, ersatz de salut nazi. Les pseudonymes d’Alexandre H. deviennent « Kov » ou « Kolchove », en référence à sa mère russe. Maxim opte lui pour Milan. Un agent l’interroge :

    « Quelque chose à voir avec le Troisième Reich qui devait durer mille ans ? »

    « Quand faut taper, vous le faites tous sans excuses »

    Quand Alexandre H. est victime d’un canular téléphonique par d’anciennes connaissances d’un autre lycée le 18 avril dernier, il rameute Alexandre E., Maxim W., Noé H. mais aussi les néonazis de la division Martel rencontrés en ligne. Une discussion spéciale est créée pour l’attaque du lycée Victor Hugo. Elle rassemble une quinzaine de personnes. Avant l’expédition punitive, un cadre de la DM y fait le point :

    « Zéro couteau, matos léger (gants coqués, petite gazeuse, ceinture, matraque) […] Surtout, on ne les tue pas (1 pénalty max par arabe). »

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    Une discussion spéciale est créée pour l’attaque du lycée Victor Hugo. Elle rassemble une quinzaine de personnes dont une dizaine d'ados mineurs. Avant l’expédition punitive, un cadre de la division Martel y fait le point : « Zéro couteau, matos léger (gants coqués, petite gazeuse, ceinture, matraque). » Et précise : « Surtout, on ne les tue pas (1 pénalty max par arabe). » / Crédits : DR

    Si certains estiment qu’il ne faut pas « laisser des handicaps à vie », le reste de la conversation oscille entre le trolling nazi et les armes à utiliser. « Pour Hitler et pour JMLP [Jean-Marie Le Pen] », pianote l’un. Un autre fait marrer tout le monde quand il poste la pancarte qu’il a confectionnée avec écrit : « Jambon Hooligan ». L’organisateur du canal prévient les troupes :

    « On trolle mais quand faut taper, vous le faites tous sans excuses. »

    L’attaque raciste de Victor Hugo sert de rite de passage au sein de ce groupe d’extrême droite. « Si y’en a qui veulent pas rentrer dans le milieu faf, dites-le maintenant. C’est ici où tout va commencer pour vous », les prévient Pierre C., un cadre de la division Martel de seulement 18 ans, sur un des canaux Telegram. Quelques mois plus tard, devant le tribunal pour enfants, Maxim, Noé et les Alexandre ont tous renvoyé la faute sur les majeurs, comme Pierre.

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    Le reste de la conversation entre les ados radicalisés et la division Martel oscille entre le trolling nazi et les armes à utiliser. / Crédits : DR

    Le 9 janvier 2024, les quatre ados ont tous été reconnus coupables des faits, dont le caractère racial de l’attaque. Ils écopent de mesures judiciaires en attendant une audience de sanctions en octobre prochain et doivent dédommager les parties civiles pour préjudice moral. « Justice a été faite », a estimé une mère de victime à StreetPress.

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