La présidente du tribunal est revenue de sa délibération depuis à peine quelques minutes quand elle résume l’ensemble de sa tirade :
« Les charges sont levées. »
Ce vendredi 8 septembre, sept prévenus devaient comparaître pour une « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre des personnes ». Le 14 décembre 2022, le soir du match de la coupe du monde de football France-Maroc, ils auraient planifié d’agresser des supporters marocains dans les rues de Paris. À l’époque, 38 personnes sont placées en garde à vue, la stratégie policière étant d’intervenir avant toute attaque. Devant la justice, il ne reste finalement que Léo R., Adrien D., Samuel D. – tous de Rouen (76) – et les gudards parisiens Antoine L., Antonin C., Paul-Alexis Husak et Marc de Cacqueray-Valmenier.
Après dix mois de procédure, en un instant, leur procès est annulé en raison d’irrégularités et les charges abandonnées. Malgré le message Telegram appelant à la « mobilisation générale, pour défendre notre drapeau face aux hordes de Marocains », les gants coqués et les protège-tibias trouvés avec eux, ou les « livres de chevet de la jeunesse hitlérienne » perquisitionnés chez certains, les sept prévenus ressortent libres.
Des plaidoiries pour annuler
Marc de Cacqueray-Valmenier est bien connu de StreetPress : il est le leader du Gud à Paris et l’ancien boss des Zouaves. Avant l’audience, l’imposant militant tout habillé de noir et Paul-Alexis Husak – un de ses seconds au Gud, qui a aussi milité à Angers – sont venus mettre un coup de pression à une femme qui faisait des caricatures sur un carnet dans le public. Dès le début du procès, leurs avocats plaident pour une annulation de la procédure. « Je n’ai jamais vu pareil torchon dans une procédure », lance le conseil d’Adrien D. et Samuel D., dans une salle où sont présents quelques sympathisants d’extrême droite, dont un ancien responsable de la Cocarde étudiante (1), un syndicat universitaire national du même bord politique.
La principale irrégularité – qui va faire pencher la balance – réside dans l’intervention des forces de l’ordre. Il est 19h51 quand une caméra de surveillance du métro repère « un groupe d’une trentaine d’individus répartis sur deux wagons en milieu de train », selon les enquêteurs. La bande s’arrête à la station Pont Cardinet et se rend à une brasserie à la devanture rouge : A Jean Bart. Divisés en plusieurs groupes, ils investissent l’endroit. Ces hommes viennent notamment de Rennes (35), Rouen ou Paris. À 21h50, des effectifs de police de la Bac parisienne et des CSI 75 et 92 quittent leurs locaux après une « information de [leur] état-major », qui semble redouter une expédition violente de groupes d’extrême droite contre des supporters marocains.
Quelques minutes après leur arrivée discrète autour du bar, les policiers voient une trentaine d’hommes qui se préparent à sortir. « Bon nombre d’entre eux dissimulent partiellement ou totalement leur visage », notent-ils. Les forces de l’ordre interviennent et engagent un contrôle d’identité. 38 personnes sont interpellées et placées en garde à vue.
Un contrôle illégal
Sauf que voilà, la réquisition donnée par le parquet pour effectuer des contrôles en amont du match de football donnait des zones précises. La localisation du Jean Bart n’en fait pas partie. Le contrôle est donc illégal. De fait, les nombreuses auditions des divers mis en cause et les perquisitions qui ont fait suite à cette arrestation sont tout autant illégales.
La volonté d’une expédition punitive fait pourtant peu de doutes. Deux jours plus tôt, le 12 décembre, sur un groupe privé Telegram composé de 49 personnes, Marc de Cacqueray-Valmenier a publié le message suivant :
« Salut à tous, mercredi 20h France-Maroc. RDV dès 20h au métro Pont Cardinet. On sera nombreux, donc on s’étalera dans plusieurs bars autour de la place. Mobilisation générale, pour défendre notre drapeau face aux hordes de Marocains. »
Il semble avoir été écouté, puisque certains militants s’étaient équipés d’un sacré attirail. Samuel D., 21 ans, était porteur « d’une bombe lacrymogène, une matraque télescopique, des protège-tibias ainsi que des bandes de protection pour sport de combat ». L’intérimaire Adrien D., 22 ans, avait lui « deux genouillères, deux coudières, deux protège-tibias et une coquille », ainsi que des gants coqués et des bombes lacrymogènes. Mais dans les auditions, ils jurent tous la main sur le cœur que c’était « au cas où » il fallait se défendre. « Il y avait la possibilité que plein de personnes nous sautent dessus gratuitement », argue Adrien D., engoncé dans sa chemise bleue au procès. Quant aux nombreux gants coqués retrouvés, les prévenus assurent :
« C’était pour le froid ! »
Fan du nazisme
Les perquisitions dans les appartements des sept mis en cause permettent, comme Mediapart l’a déjà noté, de constater une bonne représentation du nazisme dans leur bibliothèque. Les enquêteurs n’hésitent par exemple pas à noter que, chez Léo R. à Rouen, ils trouvent « les livres de chevet de la jeunesse hitlérienne ».
Dans une penderie, ils tombent également sur une série de drapeaux dans un sac plastique. À l’intérieur, trois drapeaux rouges « avec croix gammée », ceux du Troisième Reich, un drapeau noir avec le signe des SS et un autre avec une Totenkopf, une insigne d’une division nazie. Ils découvrent aussi trois brassards avec une croix gammée. Questionné sur ses possessions, Léo R. assure aux policiers :
« C’était pour faire de la revente sur Leboncoin. »
Il n’aura pas le loisir de s’en expliquer outre mesure devant le tribunal. Une fois que la présidente a annoncé la levée des charges, Léo R. s’enlace de joie avec Samuel D., Adrien D. et Marc de Cacqueray.
(1) Édit le 10/09/23 : Nous avons ajouté la mention « ancien responsable » de la Cocarde car la personne a quitté ses fonctions en juin dernier selon l’organisation.
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