En janvier dernier, StreetPress avait révélé que l’entreprise RTE, filiale d’EDF chargée du transport d’électricité, avait déversé dans la nature plusieurs dizaines de milliers de litres d’une huile toxique. À la suite de nos révélations, l’association AC Anti-Corruption a déposé, le 2 juin dernier, une plainte à l’intention du pôle environnement du parquet de Paris pour « pollution des sols, et peut-être des eaux » et « abandon de déchets ». Un document que StreetPress a pu consulter.
Pour Philippe (1), l’un des salariés de RTE, qui a été le premier à tirer la sonnette d’alarme, son employeur aurait utilisé « une méthode digne d’un écocide ». Un écocide est une atteinte grave portée à l’environnement, entraînant des dommages et pouvant aboutir à la destruction des écosystèmes. Cet agent de RTE avait souhaité rester anonyme par peur de sanctions disciplinaires de l’entreprise, car ce qu’il révélait est explosif : des dommages intervenus sur une liaison de câbles souterrains de RTE entre Romainville et Villemomble, dans le 93, avaient entraîné le rejet de centaines de litres d’huile toxique à deux reprises en 2021 et 2022.
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Une huile très polluante
Ces huiles proviennent de câbles qu’on appelle des oléostatiques. La technologie est ancienne et date du début du 20e siècle. À cette époque, la France électrifie tout son territoire à l’aide de ces fils de cuivre, isolés par du papier imbibé d’huile minérale. Avec le temps, les isolants se détériorent et l’huile minérale devient de plus en plus nocive. Selon des délégués du personnel, ce produit toxique est cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR). Ce qui veut dire que le produit présente des risques de cancers ou de maladies de la peau en cas de haute exposition. Ingéré, il est mortel. Et les fuites ont eu lieu dans « des zones urbanisées, en présence de riverains et de piétons », notent les auteurs de l’alerte.
Pire encore, pour trouver l’origine de ces fuites, RTE a réinjecté, une nouvelle fois, plusieurs dizaines de milliers de litres de cette même huile toxique en l’équipant de traceurs afin de détecter les fuites. « C’est comme si pour détecter des puits de pétrole qui fuient, vous réinjectiez du pétrole sur tout le pipeline », pestait Philippe, le salarié de RTE.
Dans sa plainte, l’association AC Anti-Corruption attire l’attention sur le fait que « sur le territoire d’une des communes [concernées par la ligne électrique où il y a eu des fuites, ndlr.], la remontée d’huile sur la chaussée a d’ailleurs contraint les services municipaux à intervenir, sans que l’on sache s’ils connaissaient la nature du produit et les risques afférents. »
Qu’a fait la préfecture ?
L’association porte plainte, car selon elle, « cette huile répandue dans les sols (et peut-être dans les eaux souterraines) dont la dangerosité ne peut être oubliée, constitue à l’évidence des déchets qui auraient dû être retirés afin de garantir le retour à un état environnemental normal. Il semble que cela n’ait pas été le cas ».
Parallèlement, AC Anti-Corruption a saisi la préfecture pour savoir « si les communes concernées ont été averties correctement des conséquences de cet incident », « ce que [le préfet a] demandé à RTE en termes de remise en état des sites concernés », et « ce [que le préfet a] diligenté comme expertise pour [s’assurer] de la réalisation de l’évacuation des déchets et de la non-contamination des eaux potentiellement polluées. »
(1) Le prénom a été modifié.
Le Parquet de Paris n’a pas donné suite à nos questions.
Contacté par StreetPress, RTE n’a pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication de l’article. L’entreprise a répondu sur le fond du dossier au moment de la publication de notre première enquête, ici
Illustration de Une de Quentin Girardon.
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