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    06/03/2023

    « Je ne porte plus de jupes en manif’ »

    Agressions sexuelles en manifestation

    Par Elisa Verbeke , Chloé Bazin

    Un plot dans les fesses, une caresse intime non consentie, des mains aux fesses, insistances ou agressions verbales : plusieurs femmes racontent à StreetPress les agressions subies en manifestation et interrogent leur place lors des mobilisations.

    Les agressions en manif’, en ce moment « c’est le festival ! », insiste Lola (1), photographe indépendante. La jeune femme documente les luttes et fait notamment référence à la mobilisation parisienne du samedi 11 février. Icy Princess, une travailleuse du sexe, manifeste seins nus contre la réforme des retraites. Un homme s’approche d’elle et lui palpe la poitrine. Derrière, une flopée de policiers regardent la scène, mais n’interviennent pas. Le tout est filmé, diffusé sur les réseaux sociaux et devient rapidement viral. Si CNews qualifie le geste de « déplacé », il s’agit en fait d’une agression sexuelle, infraction passible de 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende.

    Dans la foulée, plusieurs femmes prennent la parole pour la première fois, sur Instagram et sur Twitter, pour témoigner des violences sexuelles ou sexistes (VSS) subies en manif. StreetPress a recueilli les témoignages d’une quinzaine de femmes concernées ou témoins, lors de mobilisations.

    « La manif est hostile aux femmes et aux minorités de genre »

    Lola a été agressée le même jour qu’Icy Princess. Entre deux reportages, la photographe de 23 ans se dirige vers la place de la République où commence un nouveau samedi de mobilisation contre la réforme des retraites. Moins d’une heure après le début de la manif, ça pète au niveau du boulevard Voltaire : « Il y a eu un petit mouvement de foule où des gens couraient à contresens du cortège. » Elle ne le voit pas venir, mais un homme vêtu de noir profite de sa course pour glisser sa main dans l’entrejambe de Lola. Il lui attrape ensuite son sexe. « Grab by the pussy, comme dirait monsieur Trump », ironise-t-elle aujourd’hui. « Je n’ai rien eu le temps de faire, il est parti aussi vite qu’il est venu. » Elle ajoute :

    « Je suis restée cinq minutes et j’ai quitté la mobilisation. Ça m’a freinée dans mon envie de documenter la manif. »

    Le même jour, dans des circonstances similaires, Anouk, 28 ans, se fait attraper par les fesses. Pas le temps de réagir, elle voit juste un homme courir : « On n’était pas si nombreux, il y avait quand même de la place. On ne m’a pas touchée par inadvertance dans la foule. Non, il a bien fait exprès. »

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    Après leurs agressions, certaines femmes comme Zoé décident de ne plus mettre de jupes en manif. / Crédits : Chloé-Bazin

    Charlotte quant à elle, a été harcelée au cours de la manif du 31 janvier. Ce mardi-là, elle se fait tirer par la main à plusieurs reprises. Un homme tente de la prendre à part : « Fais moi un bisou, allez ! » insiste-t-il avant que son collègue n’intervienne et lui dise d’arrêter. L’homme n’est pas identifiable, il ne porte pas de gilet floqué aux couleurs d’un syndicat. « Je ne sais pas s’il venait de l’extérieur. » Elle ajoute :

    « C’est terrible de se dire ça, mais j’ai l’impression que quand on est une femme, on peut s’attendre à avoir ce genre de comportements. »

    Zoé en a fait l’amère expérience. Lors d’une manifestation Gilet jaunes en 2019, elle décide de porter une jupe. « Je fais des manifs depuis que je suis petite, j’ai toujours vu ça comme un endroit sûr et cool. » Mais ce jour-là, tout ne se passe comme prévu : « Pour voir l’étendue de la foule, je me mets en hauteur sur un petit poteau sur la route. Et là, je sens un truc au niveau de mes fesses », raconte-t-elle :

    « Un manifestant a pris un plot de travaux orange. Il l’a foutu comme s’il allait l’enfoncer sur mes fesses, et il s’est mis à parler de l’autre côté du plot. »

    La jeune étudiante, alors âgée de 21 ans, se retourne, et insulte l’agresseur. Un homme de 50 ans alcoolisé. L’affaire ne semble émouvoir personne. Pour seule réaction, elle aura droit à un commentaire de la compagne de l’homme au plot :

    « Mais elle a ses règles celle-là ou quoi ? »

    À cette même période, Aude (1), 39 ans, se fait attraper les fesses par un photographe d’un grand média. Elle se retourne directement :

    « Je lui ai mis une tarte, il m’a répondu : “T’as un joli petit cul, ça donne envie.” »

    Violences sexuelles et policières

    Elin vient tout juste d’avoir 20 ans, quand elle couvre en tant que photographe une manif de Gilet jaunes au printemps 2019. Après un mouvement de foule, elle perd son groupe et se retrouve avec une seule amie quand quatre policiers remarquent leur présence et les prennent à part : « Veuillez nous suivre, on va contrôler les sacs », les enjoignent-ils. « On se retrouve contre le mur », raconte Elin. Elle leur explique ce qu’elle vient faire en manif, et présente son matériel. Juste à côté de son amie qui se fait aussi contrôler. Quand soudain :

    « Le policier qui me fouille me dit de mettre les mains contre le mur pour me palper. Il commence du niveau des épaules, descend le long du buste et au moment où il arrive vers mes fesses, il commence à essayer de me mettre un doigt. »

    Elin tente de résister, quand le policier prend la parole : « Obtempère », lui souffle-t-il discrètement. « Je prends ça pour ce que c’était : une menace de me coller un refus d’obtempérer. Je serre très très fort les fesses. » Elin est tétanisée : « On était entourés de policiers. Je ne pouvais rien faire. » Le contrôle de son amie se termine, et le policier finit par abandonner et les laisser repartir.

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    Armelle a 23 ans et essaie de rester « dans des endroits sûrs » pendant la manifestation. Elle situe le moment où elle ne s'y sent vraiment plus à l'aise vers la fin quand il n'y a « que des CRS, et beaucoup d'hommes bourrés ». / Crédits : Chloé-Bazin

    Ce jour-là, elle rentre chez elle sonnée et oublie tout ce qu’il lui est arrivé : « J’ai mis du temps à me rendre compte de ce qu’il venait de se passer. » Ca ne sera que trois ans après, qu’elle arrivera enfin à le faire. Depuis, Elin continue à se sentir mal à l’aise sexuellement avec cette partie du corps, et de redouter la présence de la police. « Je me crispe en leur présence. »

    « Elle est où ma place ?! »

    « C’est insupportable de ne pas pouvoir se sentir en sécurité dans un espace tellement fréquenté et dans lequel on lutte contre des violences ! », s’insurge Lola, la photographe, avant d’ajouter : « Finalement y’a un espèce de questionnement : “Elle est où ma place ?” » Zoé la rejoint :

    « On se dit qu’on est tous là pour une cause commune, qu’il ne va pas y avoir de discriminations. J’étais loin d’imaginer que ça pourrait m’arriver en manif. Depuis, j’évite de mettre des jupes quand j’y vais. »

    La question de l’occupation de l’espace public en tant que femme fait écho avec l’histoire d’Emma (1). Cette lycéenne a 16 ans quand elle participe à l’une de ses premières manifestations. Un jour de 2019, elle s’apprête à rejoindre ses amis « du bloc », quand « un homme de deux mètres de haut » lui fonce dessus et arrache sa capuche et son bonnet. « Et là, il me dit : “Je savais que t’étais une meuf, t’es beaucoup trop bonne pour être habillée comme ça, c’est dommage” », raconte la jeune antifa. Elle le pousse, mais l’homme lui attrape le bras. Elle finit par prendre la fuite, impuissante. Quelques minutes plus tard, elle voit l’homme dans le cortège voisin, « scander des slogans antifa’ avec ses camarades ». Alors Emma se demande :

    « Qu’est-ce que je fous là ?! »

    Retourner en manif

    Ces agressions sexistes et sexuelles ont renforcé la vigilance des femmes lors des manifestations. Elin a par exemple modifié ses habitudes de travail :

    « J’angle mes reportages sur les revendications, les banderoles et la joie du cortège. Là où la présence policière est moindre. »

    Lola, la photographe, adopte carrément des protocoles de sécurité pour des manifestations où il y a beaucoup d’hommes, comme lors des manifestations d’extrême droite : « Je me maintiens à distance, j’essaye de dissimuler mon visage et je fais en sorte de me fondre dans la masse, qu’on ne remarque pas que je suis une fille. » Pour la photographe, « dans certains cortèges, on te regarde comme si t’étais un morceau de viande ». Elle détaille :

    « Ça va avec l’atmosphère des manifs en général : il y a des slogans hyper sexistes, homophobes, putophobes. On se sent pas forcément à notre place quand on veut lutter, alors qu’on est toutes aussi légitimes qu’eux de le faire. »

    Armelle, 23 ans, étudiante en master de recherche, situe le moment où l’atmosphère se détériore : « Vers la fin des cortèges, il y a beaucoup d’hommes qui balancent des slogans sexistes et je ne m’y sens pas à l’aise. Surtout en fin de manif’, quand des mecs ont bu. À la fin, y’a que des CRS, et beaucoup d’hommes bourrés. » En général, c’est à ce moment-là qu’elle quitte les lieux. « Pendant la manif, je reste dans des endroits sûrs », finit-elle.

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    Juliette déclare : « Si je vais en manif seule, c'est avec le cortège féministe, c’est un endroit où je me sens vraiment en sécurité. » / Crédits : Chloé Bazin

    Selon beaucoup de manifestantes, le Pink bloc (comprenez le cortège féministe et LGBTQI+) fait office de « safe place » : « Ils y luttent beaucoup contre les VSS [Violences Sexistes et Sexuelles] », raconte Juliette, étudiante à Science Po Bordeaux. « Si je vais en manif seule, c’est avec le cortège féministe, c’est un endroit où je me sens vraiment en sécurité. »

    Si vous avez été victime d’une agression, vous pouvez contacter différents services compétents. Les contacts sont détaillés ici.

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

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