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    02/03/2023

    La direction ne voit pas où est le problème

    Le Hellfest programme des artistes condamnés pour des violences sexistes et sexuelles

    Par Lucie Inland

    Tommy Lee, condamné pour avoir frappé Pamela Anderson et Tim Lambesis qui voulait faire assassiner son épouse sont à l’affiche de la prochaine édition du Hellfest. La direction joue (sans rire) la carte de la réinsertion.

    « Une fois encore je suis dégoûté de voir certains noms à l’affiche [du Hellfest], ils ne veulent toujours pas se remettre en question », soupire Toto, chroniqueur d’un webzine musical, et habitué du festival, quand il découvre la programmation de l’édition 2023. Au moins deux des têtes d’affiches ont par le passé été condamnés par un tribunal pour des faits de violences conjugales : Tommy Lee, batteur du célébrissime groupe Mötley Crüe, et Tim Lambesis, frontman du groupe As I Lay Dying.

    Pour le premier, les faits remontent à 1998. Suite à la plainte de son épouse Pamela Anderson qu’il a frappé, Tommy Lee est détenu à la prison de Los Angeles, puis condamné à six mois de prison ferme, plusieurs mesures de réparation financière et à ne plus approcher sa désormais ex-épouse. Moyennant une caution d’un demi-million de dollars, il sort de prison. Ce n’était pas la première fois qu’il se montrait violent envers Anderson – il était connu de l’équipe de la série Alerte à Malibu pour son comportement contrôlant et avoir saccagé sa loge – mais ce fut la fois de trop, comme elle l’explique dans le documentaire Pamela, a love story, sorti récemment sur Netflix.

    Tim Lambesis lui a été condamné en 2014 à six ans de prison pour avoir commandité l’assassinat de son épouse Meggan auprès d’un homme qui s’est avéré être flic. Après trois ans de détention au centre de réinsertion de Californie – spécialisé dans la prise en charge de détenus toxicomanes (Lambesis consommait notamment des stéroïdes à haute dose) – il est libéré en 2017. Il est actuellement impliqué dans un programme de réinsertion en Californie et s’est exprimé fin 2022 au sujet de ce crime :

    « Peut-être que je suis un de ces rares cas [pour qui l’incarcération l’a vraiment aidé]. Mais j’ai 20 ans pour le prouver. »

    D’autres musiciens du millésime 2023 du Hellfest sont visés par des accusations de violences sexistes et sexuelles, sans pour autant avoir fait l’objet de poursuites judiciaires. C’est le cas de David DiSanto, leader du groupe Vektor, accusé de violences conjugales en 2019 par son épouse Katy, entraînant le renvoi du groupe de leur label Century Medias. Il y a aussi Johnny Depp, œuvrant au sein du supergroupe Hollywood Vampires et accusé de violences conjugales par son ex-épouse Amber Heard. Une affaire qui a occasionné un chaos médiatique. Et Fabien « Fabulous Fab » Lahaye du groupe Rise Of The Northstar, visé par des accusations similaires en 2022, mais qui a depuis quitté la formation.

    Un autre groupe à l’affiche suscite des réactions, non pas pour le comportement de ses membres mais pour l’esthétique qu’il mobilise. C’est le français Celeste et plus précisément le clip de leur titre « Le Cœur Noir Charbon » mettant en scène de façon romantisée des violences conjugales. On peut même acheter un t-shirt illustré d’une image tirée de cette vidéo et découvrir le clip projeté lors des concerts du groupe. Johan Girardeau, leader du groupe, explique s’intéresser dans ses textes aux violences faites aux femmes et aux enfants, « le pouvoir qu’ont les femmes à pouvoir gérer ces problèmes, mais aussi comment les femmes sont parfois coupables de leur propre destruction et comment les hommes sont aussi coupables de s’auto-détruire ». Questionné par Metalorgie, Guillaume Rieth, le guitariste, dit des paroles qu’elles sont « plus une poésie qui doit provoquer des choses en toi ». Sauf que les violences domestiques n’ont rien d’une abstraction poétique.

    Une direction fuyante

    Ce n’est pas la première année que de nombreuses personnes s’indignent de la présence de musiciens accusés de violences sexistes et sexuelles. L’année dernière la venue des groupes Guerilla Poubelle, mené par Till Lemoine, visé par des accusations de violences, et Tagada Jones, en lien avec un homme accusé de violences sexuelles, comme révèle une enquête de Mediapart publiée en 2021, a été défavorablement remarquée.

    Ben Barbaud, co-fondateur et patron du Hellfest, répond lors d’une conférence de presse sur ses choix de programmation :

    « Nous gardons notre ligne depuis le début, elle est claire et limpide : nous n’avons pas à juger les gens qui n’ont pas pour l’instant eu de condamnation. À partir du moment où un artiste, une personnalité, a le droit de faire un concert, on continue de s’autoriser à le faire. »

    StreetPress les a recontacté en pointant la présence de personnes ayant été condamnées par la justice. Éric Perrin, le responsable de la communication répond par mail :

    « Nous ne souhaitons pas nous substituer à la justice. Notre mission est de programmer des artistes, qui sont attendus par nos festivaliers, et nous le faisons en respectant strictement la loi. Ce choix nous invite à faire de preuve de neutralité en cas d’accusation, en laissant la justice faire son travail. Nous faisons donc et ferons toujours confiance à la justice, dont nous respectons strictement l’indépendance et les principes. Cela commence par la présomption d’innocence et le respect de la chose jugée, mais aussi la réinsertion pour les personnes ayant purgé leur peine. »

    Le Hellfest, un festival à la fibre sociale ? « Le respect de ces principes de droit qui font notre société, nous semble à la fois essentiel et obligatoire. L’application de ces derniers nous permet de garantir un line-up riche et diversifié, essentiel à l’ADN du Hellfest. »

    Une réponse qui ne dit pas grand chose du processus détaillé de programmation des musiciens invités, si ce n’est que la « neutralité » semble être synonyme d’un refus absolu de questionner la présence d’artistes accusés de violences sexistes et sexuelles, autant sur scène qu’au contact des personnes présentes sur place.

    La scène du festival serait un espace hors de la société, qui n’aurait pas de comptes à rendre à l’extérieur hors obligations légales. C’est ce que le sociologue et auteur britannique Keith Kahn-Harris, spécialiste du metal nomme dans son essai Extreme Metal « la réflexivité anti-réflexive » un terme pointu pour désigner « la capacité de reconnaître quelque chose tout en supprimant cette reconnaissance ». Ainsi on peut simultanément admettre que le milieu metal, des musiciens à l’affiche aux membres du public, a un sérieux problème de violences sexistes et sexuelles, déclarer vouloir lutter contre celles-ci, tout en continuant d’inviter des hommes visés ou même condamnés pour ces mêmes violences par souci de « neutralité ».

    Il faut faire plus

    En 2019, une festivalière avait porté plainte pour ce qui semblait être un viol sous GHB. La réaction officielle du festival se fait immédiatement remarquer pour ses nombreux défauts : requalification des faits en « agression sexuelle », défense de la réputation du festival et de « l’image de toute une communauté reconnue pour son attitude respectueuse et exemplaire » au détriment de la parole de la plaignante.

    Depuis, une brigade de prévention des violences sexistes et sexuelles a été crée, un dispositif nommé « Hellwatch », mais cette bonne intention n’a pas l’envergure nécessaire face à l’immensité du problème. Marine Bruneau, experte égalité femme/homme et fan de metal, parle même de « femwashing » [technique publicitaire consiste à montrer davantage de femmes dans les publicités, mais en les cantonnant à des activités stéréotypées] :

    « Je n’ai pas vu une seule personne de Hellwatch pendant mes quatre jours au festival, seulement les affiches. »

    « Il est important de continuer d’exiger mieux des gens, sinon on leur donne une bonne excuse de rester médiocres sans remise en question », abonde Yuna, streameuse, créatrice de contenu et militante.

    Illustration de Une : « Entrée du Hellfest 2017 » le 16 juin 2017 par Selbymay via WikimediaCommons. Certains droits réservés.

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