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    27/10/2022

    La faute à la mauvaise gestion économique, aux salariées voilées ou aux désaccords politiques ?

    La mairie de Tourcoing ferme un centre social qui embauche des femmes voilées

    Par Inès Belgacem

    La mairie de Tourcoing a coupé les vivres à la MJC-centre social du Virolois (59) et ses 40 salariés. Est-ce à cause de problèmes financiers ou parce que la majorité LREM ne veut pas voir d’animatrices voilées ?

    Tourcoing, Nord (59) – « Ici, c’est comme notre maison. Ne fermez pas le centre ! » implore la maman de Jenna, qui a pris le micro pour sauver la MJC-centre social du Virolois baptisée La Maison. Ce vendredi 21 octobre au soir, ils sont plus d’une centaine, salariés et riverains, à s’entasser dans la grande salle pour une assemblée générale de crise. Quelques jours plus tôt, la mairie, la Caisse d’allocations familiales (Caf) et la préfecture ont pris la décision brutale de couper les subventions, soit plus de 80 % des ressources de la MJC. Ce qui met en péril imminent l’existence de La Maison.

    Un « électrochoc nécessaire », explique un élu municipal, qui constate des problèmes de gestion économique alarmants. « Quand le bateau coule, vous vous dites qu’il faut un électrochoc ? C’est pas comme ça que ça marche ! » fustige une autre maman, qui insiste sur le travail nécessaire du lieu pour les familles du quartier du Virolois. Surtout qu’en coulisses certains usagers se questionnent : et s’il n’était pas question des comptes ? Et si les valeurs du centre n’étaient pas en adéquation avec celles de la mairie ?

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    La mairie, la Caf et la préfecture ont pris la décision de couper les subventions de la MJC du Virolois. Une centaine de salariés et riverains assistent à l'assemblée générale de crise. / Crédits : Ines Belgacem

    Un problème de « laïcité » ?

    « Comment va-t-on faire pour les vacances de la Toussaint ? Qui va garder nos enfants ? » Les parents et riverains prennent le micro les uns après les autres pour interpeller les élus et les responsables territoriaux présents. Les autres centres de la ville prendront le relais, promettent-ils. Des aides financières leur ont même été versées.

    « Pourquoi ne pas les aider ici, pour qu’ils remontent la pente ? Pourquoi couper les vivres si brutalement ici ? » Les nerfs lâchent parfois dans les prises de parole. « On ne comprend pas pourquoi la mairie en veut tant à ce centre », explique à son voisin un riverain, assis dans l’assemblée.

    Dans un courrier envoyé il y a quelques jours à la MJC, la mairie note un problème « d’impartialité du service public ». Dans une réunion à la préfecture le 3 octobre dernier, la maire de Tourcoing, Doriane Bécue, aurait insisté sur les salariées voilées employées par la structure, pointant un souci de laïcité. « Elle voudrait qu’elles enlèvent leur voile », clarifie Éric Mouveaux, le directeur de La Maison, présent à cette réunion. « Étant subventionnés en énorme majorité par des institutions publiques, nous devrions appliquer les principes de laïcité du service public, selon la mairie. » Après une petite moue, il poursuit :

    « Mais nous sommes une association régie par le droit privé. Ça serait même discriminatoire de demander à une femme voilée de retirer son voile. »

    Il insiste sur la jurisprudence Baby-Loup, selon laquelle les « restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses », doivent être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». « J’ai déjà demandé à nos animatrices de changer de tenue si ça n’était pas adapté à l’animation », explique Aïcha Benaziez, la vice-présidente de la MJC :

    « Mais je ne vois pas en quoi un voile n’est pas adapté. »

    La mère de cinq enfants est elle-même voilée. Elle n’est pas salariée et fait partie des nombreux bénévoles à multiplier les heures à la MJC pour faire vivre l’endroit. « À partir du moment où l’on est visible, on pose un problème », regrette la vice-présidente.

    Interrogé sur cette question, Maxime Cabaye, adjoint au maire, en charge, notamment, de la coordination des adjoints de quartiers, explique :

    « La présence de salariées voilées pose des questions de laïcité et de radicalisme. Les centres sociaux sont en première ligne. Il n’y a pas eu de faits graves pour le moment, tant mieux ! Mais il est nécessaire de faire communauté et société. »

    Zina Dahmani, conseillère municipale déléguée, en charge des relations avec les centres sociaux et MJC, présente au moment de l’interview, abonde : « C’est un vrai sujet ».

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    Aïcha Benaziez, la vice-présidente de la MJC est elle-même voilée. Elle fait partie des nombreux bénévoles à multiplier les heures à la MJC pour faire vivre l’endroit. / Crédits : Ines Belgacem

    Une gestion économique déplorable

    Durant cette assemblée générale, ce vendredi soir, seules les finances « catastrophiques » – selon les termes de Zina Dahmani – sont abordées. Depuis sa création il y a 40 ans, La Maison fait partie des centres les plus subventionnés de la ville. Des ressources uniformisées il y a un an, pour plus d’égalité entre les structures. « Ça représente 100.000 euros de moins pour l’année », explique en aparté le directeur, qui comprend cette décision. « S’est ajoutée une crise conjoncturelle, liée au Covid et une très mauvaise gestion interne », complète Aïcha Benaziez. Le mea-culpa n’est pas suffisant pour la mairie, qui s’exprime ce soir par la voix de la conseillère municipale Zina Dahmani :

    « Je suis tombée du grenier à la cave [en apprenant les soucis de la structure] ! La confiance est brisée. »

    Depuis trois ans, la santé financière du lieu poserait question. À StreetPress, l’élue explique que la structure n’a ni tenu au courant du péril financier ni fourni des papiers réclamés lors d’un contrôle de la Caf. « Nous avions prévenu qu’on aurait besoin de plus de temps pour fournir ces papiers », explique Éric Mouveaux, mails à l’appui. « Nous avons alerté sur nos soucis économiques en mai. Nous nous sommes organisés pour redresser nos finances. Cet arrêt brutal des subventions nous coupe dans cet élan. »

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    La mairie de Tourcoing a coupé les vivres à la MJC-centre social du Virolois et ses 40 salariés. / Crédits : Ines Belgacem

    Une annonce brutale

    « Je suis une mère célibataire, j’ai du mal à prendre en charge tous les soins de ma fille. » La maman de la petite Baya s’est levée pour prendre la parole. Sa fille est porteuse de handicap. Malheureuse dans les précédents centres qu’elle a fréquenté – « qui ont pratiquement été maltraitants », insiste sa mère – elle a fait de grands progrès à La Maison. La maman de Jenna, autiste, abonde :

    « Ma fille ne souriait pas, ne parlait pas, ne s’asseyait pas. Aujourd’hui, tout a changé grâce aux gens d’ici : elle est heureuse. »

    La MJC fait partie des rares centres à accueillir des enfants porteurs de handicap. La Maison organise aussi un centre de loisirs, des clubs de sport et d’art, des festivals culturels, des ateliers d’aide aux riverains de tout âge et un centre de trocs. Difficile de résumer en quelques mots toutes les activités du lieu, qui crée du lien social depuis 40 ans, dans le quartier historiquement ouvrier et emploie 40 salariés. « On a toujours fait en sorte d’aider les jeunes du coin. Avec la gentrification, on a fait le choix d’accueillir tout le monde. On a une mixité incroyable ! », assure Adam, chargé des missions culturelles du centre. Il énumère les valeurs de La Maison :

    « Contre les extrêmes, pour le vivre-ensemble, l’inclusion des minorités, l’égalité de genre, lutter contre la précarité, contre le réchauffement climatique, etc. »

    Il y a quelques mois, le centre a également décidé d’accueillir la Cimade. Orpheline de locaux, l’association qui défend les droits des sans-papiers y tient une permanence tous les samedis matin. Adam termine :

    « Notre projet n’est peut-être pas le même que celui des élus. Je vois bien qu’on ne veut pas nous aider à nous relever. »

    L’équipe de La Maison s’interroge sur la « brutalité » des annonces. « C’est une politique du choc », accuse Éric Mouveaux, avant de retracer les événements des derniers jours. Le contrôle de la Caf s’est déroulé entre le 19 et le 30 septembre 2022. Le 3 octobre, le président est convoqué à la préfecture. On lui annonce « sans introduction » la fin des subventions – c’est lors de cette réunion que la maire aurait pointé la présence de salariées voilées. Le soir même, lors d’une assemblée générale, un représentant de la mairie réclame la dissolution du conseil d’administration. Demande refusée. Le lendemain, les salariés de la MJC sont convoqués à la mairie, où il leur est proposé d’être reclassés. Pendant cette réunion, la municipalité distribue dans tout le quartier un papier d’information pour annoncer la fermeture du centre. Éric Mouveaux commente :

    « On a voulu éviter la position de blocage et rétablir le dialogue, mais tout a été si vite, en trois jours ! Il a fallu encaisser. »

    Et si la décision de fermer le centre était prévue depuis plusieurs mois, s’interroge le directeur ? « Sachant que les municipales sont dans deux ans, c’est un bon timing politique. » Lui, milite avec le PCF dans la ville d’à côté, à Roubaix. « Lorsque j’ai pris mes fonctions de directeur, un élu m’a dit : “On ne voit pas votre arrivée sur le territoire d’un très bon œil monsieur Mouveaux”. » La mairie de Tourcoing est dirigée par La République En Marche. Sur son site, apparaît encore Gérald Darmanin, l’ancien maire, qui a pourtant cédé sa place à son héritière politique Doriane Bécue, pour assumer ses fonctions de ministre de l’Intérieur.

    Rendez-vous au tribunal

    Aujourd’hui, La Maison n’est pas sûre de pouvoir payer les salaires du mois d’octobre et s’est déclarée en cessation de paiements. Le 4 novembre, la MJC joue son avenir devant les tribunaux. Éric Mouveaux et son équipe, qui ont fait amende honorable tout au long de l’assemblée générale, ont réitéré leur volonté de renouer le dialogue avec la mairie, la préfecture et la Caf. Une pétition lancée en ligne pour les soutenir réunit près de 900 signatures. L’équipe peut également compter sur le soutien de la coordination des MJC des Hauts-de-France et des MJC de France. Le directeur termine :

    « Sans le renouvellement des engagements des financeurs, l’audience va être compliquée. On a la sensation que la ville et l’État nous ont laissés tomber. »

    [La MJC a mis en ligne une cagnotte solidaire pour payer les salaires d’octobre des salariés.]

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