Anton (1) vient d’Arménie. Il est arrivé en France avec sa famille il y a huit ans. Sans titre de séjour, il est en galère de logement. Le trentenaire vit au centre d’accueil des demandeurs d’asile d’Avignon (84), jusqu’à trouver un bon plan. Oasis d’Amour International lui propose alors un appartement en échange d’un travail bénévole dans l’association. Problème, le fameux travail bénévole aurait viré à l’exploitation. Anton serait sur le pont six jours sur sept. La présidente de l’association déciderait de ses horaires et même de ses jours de congé. Plusieurs de ses collègues confirment par écrit des cadences de travail très difficiles. « Depuis 2019, tous les matins vers 11 heures, midi, sauf un jour dans la semaine quand c’était son repos, Anton venait en camion chercher les marchandises. Même des fois avec un fils, quand c’était les vacances scolaires », explique un salarié du supermarché qui donne des provisions à l’association. Une autre bénévole à l’association raconte de son côté qu’il « travaillait presque tous les jours de 10 heures jusqu’à 21 heures ».
À trois reprises entre 2017 et 2020, l’association va lui rédiger une promesse d’embauche, mais sans y donner suite. Après huit années de bons et loyaux services, Anton décide de faire valoir ses droits. Il prend rendez-vous avec la présidente pour évoquer ses horaires de travail difficiles ainsi que sa situation de subordination. Sans succès et pas vraiment du goût de l’association, semble-t-il. Abraham (1), son fils, raconte :
« À partir de là, ils ont lancé une procédure d’expulsion du logement. Ils ont menacé mon père de le dénoncer à la police car il n’avait pas de papiers. Ils nous ont coupés le chauffage et l’électricité le jour de la rentrée des classes. »
Débat juridique
S’engage alors un véritable bras de fer. « Ils réclament 26.000 euros de loyers impayés à mon client. Je leur réclame 50.000 euros de salaires non payés pour mon client », résume Lionel Thomasson, avocat d’Anton, avant d’ajouter :
« Nous demandons que les prud’hommes reconnaissent les années de bénévolat d’Anton comme un vrai contrat de travail. »
Pour appuyer ses dires, l’avocat raconte que son client a été sanctionné, alors « qu’on ne sanctionne pas un bénévole vu qu’il donne de son temps ». En effet, le 19 décembre 2020, la direction de l’association le convoque. Elle lui reproche une attitude « grossière et irrespectueuse » et décide de sanctionner Anton en l’excluant de l’appartement mis à disposition. Il a jusqu’au 15 janvier 2021 pour faire ses valises. Finalement, Anton arrive à conserver son appartement, au moins pour un temps.
L’association ne va pas pour autant le laisser tranquille. Le 6 août 2021, Oasis d’Amour International écrit à Anton pour lui reprocher son absence « depuis deux jours » et le sanctionne de nouveau en lui demandant de quitter l’appartement, cette fois le 31 août 2021. Abraham explique :
« Il venait de se faire opérer de la main et ils l’avaient forcé à conduire le camion alors qu’il n’avait même pas de permis poids lourds. »
Le 1er septembre 2021, Anton contre-attaque. Il écrit un courrier reprochant ses excès de pouvoir à l’association et dénonce ses conditions de travail. Après ça, les relations se tendent encore un peu plus et il est régulièrement menacé d’expulsion. Ce SMS versé au dossier en témoigne :
« C’est elle [la police, ndlr] qui va vous expulser car vous n’avez plus le droit de rester dans cet appartement sans mon accord. Et comme vous avez une OQTF (obligation de quitter le territoire français), si c’est la police qui vient chercher les clefs, ils vont vous reconduire à la frontière. Vous avez le choix. »
Dans la foulée, son bail est résilié. Mais l’Arménien ne part pas. Il n’a nulle part où aller. Le 23 mai 2022, l’association saisit le juge des référés pour expulser le locataire. Ce dernier décide de ne pas ordonner l’expulsion au regard de la situation compliquée. Maître Thomasson, de son côté, saisit le conseil des prud’hommes qui n’a pas encore tranché.
La fin de l’abondance
Une autre famille aurait vécu une situation similaire. Aïda (1), la fille d’un bénévole de l’association se confie à StreetPress : sa famille, arrivée il y a cinq ans, aurait, elle aussi, bénéficié de la mise à disposition d’un appartement en échange de bénévolat. Mais du jour au lendemain, prétextant l’inflation, la présidente de l’association leur aurait demandé de payer la moitié du loyer. Aïda soupire :
« Résultat, mon père est obligé de travailler le soir et de continuer de faire du bénévolat la journée, ce n’est pas tenable. On est les esclaves de l’association. »
Contactée, la présidente de l’association n’a pas souhaité s’exprimer « en raison des procédures en cours ».
(1) Le prénom a été modifié.
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