Sur la devanture, le nom du troquet a disparu. Après avoir chanté tous les étés pendant plus de cinquante ans, la Cigale a fermé ses portes en 2019. Mais cet ancien hôtel-restaurant n’en finit plus de susciter la cacophonie à Perpignan (66). Cela fait deux ans et demi que le rade est au cœur d’un imbroglio juridique entre le conseil départemental socialiste et les municipalités de droite et d’extrême droite. L’histoire commence en juin 2019. À l’époque, l’accueil des mineurs non-accompagnés (MNA), des jeunes migrants sans parents, « explose » dans la ville catalane, se souvient Anne-Marie Delcamp, membre des réseaux éducation sans-frontières (RESF) :
« Il y avait 240 jeunes pour huit éducateurs ! Ils étaient logés à l’hôtel sans suivi. Le RESF avait été saisi par une quarantaine d’entre eux. Ils dénonçaient leur condition d’accueil et l’isolement. »
La tâche de les accueillir incombe au département mené par la socialiste Hermeline Malherbe, qui occupe le poste depuis 2010. La Cigale et ses 550 mètres carrés à la périphérie du quartier Saint-Jacques semble l’endroit parfait : les 12 chambres à l’étage peuvent loger les MNA. Quant à l’ancienne salle restaurant, elle peut devenir une salle de vie commune et un lieu associatif « pour accueillir les mineurs dans le cadre de leurs cours et des formations », explique Frédéric Monteil, directeur de cabinet d’Hermeline Malherbe. Une offre de 420.000 euros est transmise et acceptée par les proprios.
Un message politique
Sauf que trois mois plus tard, le maire LR Jean-Marc Pujol exerce son droit de préemption et prend possession des murs. Pour la municipalité de droite, le secteur de la Cigale est « inadéquat » pour l’accueil de migrants mineurs. À la place, le maire annonce son intention de transformer le bistrot spécialisé dans les brochettes en un hôtel de police municipale. Un véritable coup de Trafalgar pour le conseil départemental, qui juge l’argumentaire « fallacieux ». Frédéric Monteil détaille :
« La ville nous a dit de mettre ces mineurs dans des villages en périphérie alors qu’il y a un vrai enjeu à ce qu’ils soient là où les services publics sont et qu’ils puissent avoir une vie sociale. »
« Quand on a vu apparaître l’installation de l’hôtel de police, ça a choqué beaucoup de monde », narre Anne-Marie Delcamp, qui se rappelle des manifestations devant l’endroit, organisées par le comité de soutien local aux sans-papiers.
La préemption du troquet par la mairie LR se fait surtout à quelques mois des élections municipales. L’édile Jean-Marc Pujol est alors concurrencé sur sa droite par Louis Aliot, qui s’est opposé le premier au projet du conseil départemental. D’autant qu’à Perpignan, l’hôtel-restaurant est un lieu « fortement symbolique pour les pieds-noirs, où beaucoup de leurs réunions ont eu lieu », décrypte un observateur catalan. Selon lui, la préemption était un moyen d’envoyer un message « auprès de la communauté pieds-noirs qui pèse lourd à Perpignan, pour empêcher le département de mettre des “migrants délinquants” dans cet immeuble ». La manœuvre ne permet pas à LR d’éviter la défaite face au Rassemblement national. Et n’empêche pas plus Louis Aliot de suivre avec « enthousiasme » la politique de son prédécesseur, selon Frédéric Monteil.
À LIRE AUSSI : Louis Aliot, le clientélisme et le quartier populaire de Saint-Jacques
Une bataille juridique
Depuis la préemption, le département et la municipalité se sont engagés dans une grosse bataille juridique. Le 31 décembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la préemption et a enjoint la ville à rétrocéder la Cigale. Au lieu de ça, la mairie de Perpignan (encore LR) a déposé un recours contre ce jugement, qui a été rejeté en avril 2021 par la justice. Quant à la nouvelle majorité RN, elle a déposé un pourvoi en septembre dernier auprès du Conseil d’État. Le 21 décembre 2021, celui-ci a considéré la requête de la team Aliot irrecevable. Et comme la mairie RN a poursuivi le projet de transformer l’hôtel-restaurant en poste de police municipale, elle a fait passer la Cigale dans le domaine public. Une décision attaquée devant le tribunal administratif par le conseil départemental. Le verdict n’est pas encore tombé mais si le département gagne, ce n’est pas encore la victoire finale. En clair selon Frédéric Monteil : la mairie est propriétaire irrégulière de la Cigale mais le département ne l’est pas encore au sens du droit civil. Une procédure a été lancée depuis juillet 2021 auprès du tribunal judiciaire de Perpignan pour récupérer la propriété de l’ancien hôtel-restaurant. Le dircab d’Hermeline Malherbe promet :
« Le tribunal attendait la décision du Conseil d’État pour statuer donc nous allons être fixés prochainement. »
En attendant, les mineurs isolés n’ont pas pu bénéficier de ce logement. « On ne les a pas laissés à la rue, ils sont dans des hôtels ou des appart’hôtels et le département a continué de vouloir acquérir des immeubles dans Perpignan pour pouvoir les loger », souffle Frédéric Monteil. « Ce sont des mois, voire des années de perdues pour les jeunes », se désespère quant à elle Anne-Marie Delcamp. Entre-temps, les associations et les habitants se sont bougés et ont lancé une association pour parrainer les MNA et les accueillir chez eux. « Mais on s’est lancé 15 jours avant le confinement, ça a été un peu compliqué. Désormais, c’est en place, il y a deux parrains agréés par l’aide sociale à l’enfance qui ont pris leur poste », détaille la membre du RESF.
À LIRE AUSSI : Des dizaines d’étrangers mineurs envoyés en prison pour une simple histoire d’âge
Un poste de police fantôme
Après deux ans et demi d’attente, le département comme les associations dénoncent la politique de la ville, avec un poste de police « fantôme », selon Frédéric Monteil :
« Il est ouvert deux heures par jour et il n’y a même pas de policiers à l’intérieur ! »
« Il y a juste une plaque », surenchérit Anne-Marie Delcamp. En mai 2021, la mairie RN a annoncé que les 12 logements à l’étage serviraient à l’accueil des femmes victimes de violences conjugales. « Ils l’ont fait quand ils ont vu que ça tournait mal. Mais personne n’est installé un an plus tard », critique l’associative. Pour Frédéric Monteil, « il faut que les deux aient des hébergements mais là, c’est une instrumentalisation par la mairie ». Le dircab glisse d’ailleurs qu’il n’est « pas forcément opportun » de donner publiquement les adresses des femmes qui fuient leurs conjoints violents. Frédéric Monteil lance :
« On voit bien la politique du RN, qui vise à opposer différentes populations qui ont besoin d’aide publique dans les moments de détresse. »
Contactée, la mairie n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.
Image d’illustration de l’hôtel-restaurant La Cigale via Google Streets.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER