« On a risqué toute notre vie pour finir ici ? », lâche Moussa (1) la voix nouée par la colère. Du doigt, il pointe le gymnase Gallieni, le toit qui l’abrite depuis maintenant plus de trois semaines. Le bâtiment situé au-dessus du marché couvert de la ville de Nogent-sur-Marne (94) a les murs délabrés. C’est une soixantaine d’exilés issus de plusieurs pays différents qui cohabitent depuis quelques semaines dans le bâtiment, géré par l’association Coallia à la demande de la préfecture du Val-de-Marne. Avant septembre, ils n’étaient que 30 migrants majeurs pour certains présents depuis huit mois. Depuis le 4 septembre, 35 mineurs isolés étrangers sont arrivés dans les murs suite à l’évacuation du parc André-Citroën dans le 15e arrondissement de Paris. Là-bas, 200 mineurs vivaient sous des tentes avec le soutien d’association comme Utopia 56, Team mineurs isolés (Timmy) et le collectif les Midis du Mie. Certains venaient de la Côte d’Ivoire, la Guinée, l’Erythrée ou d’autres pays, mais tous étaient sans logement et sans droits.
Sauf que tout s’est fait très vite et sans réelle préparation en amont. « On nous a prévenus vendredi soir pour le lendemain. On a dû aller à Picard pour acheter des plats pour les 35 personnes qui allaient venir samedi », se rappelle Khalid Benmessaoud, dirigeant du gymnase et membre de Coallia.
Des conditions difficiles
Dès lors, un nouveau chapitre de la vie des jeunes migrants commence, où rien ne se passe à part l’attente de pouvoir quitter enfin cet endroit. La place ne manque pas dans ce grand gymnase que les écoliers de Nogent-sur-Marne fréquentaient avant qu’il n’accueille des migrants. Sur les buts, de part et d’autre du terrain on trouve aujourd’hui des vêtements accrochés. Dans les vestiaires, les habitants de l’enceinte profitent des porte-manteaux pour faire sécher leur vêtement car seul un sèche-linge est disponible.
L’ensemble des migrants hébergés dans le gymnase n’utilise que quatre cabines de toilette et des douches communes, ce qui ne manque pas de susciter des tensions pour la soixantaine de résidents, parfois regroupés entre majeurs et mineurs. « Ici je vis comme dans une prison », n’hésite pas à lancer Icham (1), jeune guinéen de 14 ans aux cheveux hérissés et aux yeux ronds. Il est en France depuis deux mois. « Il n’y a qu’une machine à laver, je ne veux pas aller dans les douches devant tout le monde donc je ne me lave plus. On dort sur des lits de camp sur lesquels on a mal » conclut-il en pointant, avec l’index, son dos qui le fait souffrir. Face à ces critiques, Khalid Benmessaoud est dépité :
« On nous reproche les douches, mais nous sommes dans un gymnase. On fait ce qu’on peut avec ce que l’on a. »
Pour ne rien arranger, la fatigue physique s’accumule pour tous. Avec une soixantaine de personnes réunies dans la pièce, les nuits sont difficiles et parfois bruyantes. « La nuit dernière, je n’ai dormi que quatre heures, car il y avait de la musique forte », raconte Ibrahim (1), lui aussi originaire de Guinée, la mine épuisée. Cinq mineurs ont même quitté le gymnase de manière définitive et n’ont pas donné de nouvelles aux associations qui accompagnent les enfants.
Un refus de leur minorité
Assis sur des marches devant l’enceinte nogentaise, une dizaine de migrants viennent profiter du soleil et des glaces que leur apporte Léa Moussalli, bénévole pour l’association Utopia 56. Certains ne s’expriment qu’en anglais mais la plupart d’entre eux parlent un français riche en vocabulaire. « En Côte d’Ivoire, les vieux du village nous parlent avec des grands mots qu’on doit apprendre par cœur » explique Bagui (1). Le jeune ivoirien aux pommettes sculptées et au regard vif aime mener la conversation dans le groupe. À seulement 14 ans, il a entrepris le voyage jusqu’en France, traversant le Mali, la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie puis la Libye avant de prendre la mer pour rejoindre l’Italie avec sa sœur. « Elle est restée dans l’eau », lâche Bagui avec pudeur lorsqu’on lui demande ce qu’elle est devenue. Avec d’autres migrants mineurs, il attend une régularisation de leur situation.
Lors de leur arrivée à Paris, les jeunes ont dû passer la traditionnelle évaluation avec le dispositif d’évaluation des mineurs étrangers (Demie), gérée par la Croix-Rouge afin de prouver leur minorité. L’enjeu est de taille, car une fois reconnus mineurs, les jeunes peuvent être scolarisés et intégrer l’aide sociale à l’enfance (ASE). Pourtant, malgré la pièce d’identité que Bagui montre à l’examinateur et qui prouve qu’il a 14 ans, il est déclaré majeur à la suite de l’entretien. « Tout le monde pense que ces jeunes migrants ont été déclarés majeurs parce que leur document est faux, mais ce n’est pas le cas. C’est juste sur la base d’un entretien oral qui dure entre 15 minutes et une heure que leur futur est décidé », soutient Espérance Minart de l’association Timmy.
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Une situation qu’a vécue Fodé (1), originaire de Côte d’Ivoire. « On m’a posé des questions sur mon âge, mon père, ma famille et sur toute ma vie. J’ai répondu la vérité, j’ai aussi présenté mes papiers d’identité. Mais celui qui posait les questions à refuser de me croire, disait que je ne parlais pas comme un enfant de 15 ans et que mes papiers étaient faux. » Une issue que tous les migrants mineurs hébergés actuellement dans le gymnase ont connue.
Selon la direction de l’établissement, 13 jeunes sont en procédure de recours pour contester le résultat de l’évaluation. « C’est aussi cette longue procédure qui ajoute du stress et de la fatigue. Cela peut durer de trois à six mois pour passer devant le juge pour enfants et prouver sa minorité mais durant ce laps de temps, l’Etat ne fournit aucun accompagnement », s’indigne Espérance Minart. L’épuisement physique et moral pèse sur le mental des personnes selon Léa Moussalli d’Utopia 56 : « Les mineurs sont très vulnérables. Beaucoup d’entre eux sont suivis par des psychologues, c’est aussi pour cela qu’on souhaite qu’ils soient relogés. Et ils sont loin de Paris, ce qui apporte de la difficulté pour faire les démarches car ils ne savent pas utiliser les transports en commun. » Posé sur les marches devant l’enceinte sportive, Bagui ne « sait pas ce qu’il va faire demain ». « J’attends toujours le juge. Mais je suis découragé car je n’ai aucune nouvelle de l’avancement du recours », lâche-t-il durement. Un sentiment que beaucoup partagent dans le gymnase.
(1) Les prénoms ont été changés.
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