« Toute la route, je me suis fait frapper. Il n’y a pas une seconde où il m’a lâché. Même quand j’étais dans les vapes, je sentais ma tête taper contre la vitre. Il croyait que je faisais exprès. Et tout ce temps-là, j’étais menotté du début à la fin ». Le 27 avril dernier, des policiers de la Bac de Villepinte (93) sont tombés sur Hamza et son ami Bilel. Ils les ont, selon les deux hommes, interpellés et cognés. Des violences policières qui ont causé huit jours d’incapacité totale de travail (ITT) à Hamza, « sous réserve de complications » selon le certificat médical que StreetPress a consulté.
Hamza nous a envoyé son témoignage dans le cadre de l’initiative Sur Écoute. Vous pouvez également l’écouter ici.
Cette plateforme a été lancée par les médias Booska-P, L’écho des banlieues, Rapelite, StreetPress et Yard face aux violences policières. Si vous avez été victime de faits similaires, vous pouvez témoigner ici.
Une interpellation très violente
Il est environ 16h. Hamza et Bilel attendent le bus 15 à l’arrêt du Parc de la Noue, à Villepinte. Leurs attestations sont sur leurs téléphones. La case pour faire des courses est cochée. Hamza, 22 ans, doit faire quelques achats pour sa mère. Le jour-même, son ami Bilel, 18 ans, s’est fait « courser » par la Bac. S’il a déguerpi le matin à l’approche des policiers, c’est parce qu’il n’avait pas le précieux sésame, reconnaît-il sans souci. Mais là, il est en règle quand une Skoda Octavia de la Bac passe devant eux, s’arrête plus loin, dépose un policier et fait demi-tour pour s’arrêter en face de l’arrêt de bus. « Un des gars de la Bac a couru vers nous avec sa matraque, en mode il va nous frapper », se souvient Hamza. Les deux hommes prennent peur et commencent à courir dans la direction opposée. Ils passent par l’endroit où a été déposé l’autre policier quelques instants plus tôt, qui fait un balayage à Hamza :
« J’ai réussi à me relever. Il m’a dit : “Arrête-toi”. Moi j’ai continué à courir et je lui ai dit que j’étais handicapé – j’ai eu un accident de moto il y a quelques mois. Il m’insultait derrière moi : “Je vais te niquer ta mère, sale fils de pute”. Plus il me traitait, plus je courrais ».
Mais le pied d’Hamza et son attelle finissent par ne plus tenir. Il trébuche. Le policier qui le suit lui saute dessus. « Il m’a menotté et il m’a mis des patates, m’a mis des patates, m’a mis des patates et il m’a étranglé », répète le vingtenaire. Devant lui, Bilel s’arrête, se retourne et commence à filmer l’intervention. Deux policiers sont maintenant sur Hamza :
« Un lui écrasait la tête et l’autre lui mettait des coups de pied et des coups de poing, comme si ce n’était pas la police. »
Rapidement, la Skoda prend en chasse le jeune villepintois. « J’ai dû courir dix minutes », rembobine Bilel, qui se retrouve au lycée Jean Rostand. Sans succès : la voiture de la bac le rattrape. « Le policier m’a dit : “Toi, aujourd’hui, t’es mort”. Il a commencé à insulter ma mère et il m’a tiré vers le parking, où il n’y avait pas de caméras », se rappelle-t-il. Une fois là-bas, ils lui demandent de sortir son téléphone et de faire son mot de passe. Une autre 308 bleue arrive, avec Hamza à son bord. « Lorsque je me suis fait frapper par terre, le policier a dit à son collègue : “On se barre d’ici, il y a des gens par les fenêtres”. Quand j’ai crié pour attirer l’attention, il m’a mis une tarte », témoigne Hamza. Une fois dans la deuxième voiture, le même policier qui l’a frappé lui « tape la tête contre la vitre et [l]’étrangle ». « Vous voyez quand vous vous levez brusquement et vous faites un malaise ? Vous voyez tout noir ? Ça m’a fait pareil », explique-t-il.
À l’extérieur, Bilel entend Hamza crier dans la voiture. « Le policier avec moi, quand il l’a entendu, il a ouvert la portière de la voiture où il était et il lui a dit d’arrêter, très violemment. Il est venu ensuite vers moi avec les poings serrés en me disant de mettre mon mot de passe », se souvient le jeune homme, qui s’exécute. Toutes les vidéos où Hamza se fait frapper sont supprimées. « Je n’ai aucune trace de la bavure », lâche Bilel.
Des coups au comico
Les deux véhicules de la Bac sont très vite rejoints par deux scooters. « Ils sont venus filmer. Sauf que la voiture où Hamza était a foncé sur eux pour qu’ils partent et un policier a filmé pour prendre leur plaque », explique ce dernier. Le groupe reprend la route, direction le commissariat. Hamza est dans la 308 et continue de se faire frapper. Bilel, lui, est dans la Skoda Octavia : « Moi j’ai rien reçu à ce moment-là. Mais un des policiers disait : “Ces deux scooters, je vais les retrouver, je vais les tuer” ».
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Arrivé au commissariat, Bilel voit que le cou de son ami est « tout rouge, il était vraiment pas bien ». Lui se fait pousser contre un mur :
« Un des policiers s’est mis du gel hydroalcoolique. Il m’a regardé et m’a dit : “T’as vu, je me suis lavé les mains”. Et il m’a mis une grande gifle, puis une deuxième, une troisième, une quatrième. »
D’après Bilel, un autre des policiers arrive après et lui demande de « baisser les yeux » avant de lui mettre un coup-de-poing. Les deux Villepintois sont ensuite installés sur un banc, avant que les policiers redemandent à Bilel le mot de passe de son téléphone. « J’ai dit non, ils m’ont refrappé. Hamza m’a demandé de leur donner, il a dit qu’on s’en foutait. Ils sont restés une heure dessus, ils ont tout supprimé. Même des vidéos du mariage de ma soeur », lance Bilel, écoeuré.
Ce n’est qu’après que les policiers leur parlent d’amende pour non-respect du confinement. Les deux amis montrent pourtant les attestations dans leurs téléphones. Les policiers ciblent alors Bilel. « Ils m’ont dit : “L’amende de ce matin, c’est pour cet après-midi”. Mais ils ne m’ont jamais contrôlé », se rappelle ce dernier. Hamza évoque l’IGPN et parle de « bavure ». « Ils m’ont répondu qu’ils allaient porter plainte contre moi », raconte le vingtenaire, qui décide de calmer le jeu :
« J’ai dit au policier : “Il n’y a rien, ça reste entre nous”. À partir de ce moment-là, il nous a dit de dégager ».
Huit jours d’ITT
Hamza et Bilel sortent du commissariat vers 18h, après plus d’une heure et demie passée là-bas. Sans amende et sans notification d’un quelconque délit. Le lendemain, Hamza va chez un médecin qui l’envoie à l’hôpital. La docteure qui l’ausculte note un « choc psychologique » et un « traumatisme crânien sans perte de connaissance ». Elle observe également des tâches dans le cou suite « à une tentative de strangulation » et une douleur dans les deux poignets « due aux menottes », ainsi que des douleurs au coude. Sans compter la cheville déjà blessée après son accident de moto, en décembre 2019.
On a diagnostiqué à Hamza un « choc psychologique » et un « traumatisme crânien ». Sans compter la cheville déjà blessée après son accident de moto, en décembre 2019. / Crédits : DR
Suite à cette blessure, Hamza se déplace temporairement en fauteuil roulant « parce que mon pied a gonflé ». Il ne va pas porter plainte car il pense que « ça ne sert à rien ». « Je suis un petit jeune de banlieue, ils vont gagner », lâche-t-il au téléphone :
« Ils m’ont exterminé. Ils ne m’ont même pas demandé l’attestation ou m’ont dit : “Ne bouge pas”, non. Ils m’ont juste frappé. Ils m’ont juste frappé. »
L’équipe de Sur Ecoute a pu recueillir les témoignages concordants et détaillés de Hamza et Bilel, consulté le certificat médical cité et vérifié plusieurs éléments factuels. Contactée, la préfecture de police n’a pas répondu à nos sollicitations.
Si vous avez été victime ou témoin de faits similaires, vous pouvez nous le raconter ici.
Edit le 11/05/2020 : Selon la préfecture, ce jour-là les policiers auraient contrôlé puis interpellé les deux hommes. Ils auraient été ensuite verbalisé. Hamza aurait proféré des menaces contre les fonctionnaires qui nient toute violence, évoquant simplement une chute du jeune homme.
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