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    21/02/2020

    « Ivry, c'est chez moi »

    À Ivry-sur-Seine, la mairie aide les Roms sans totalement éradiquer la misère

    Par Imen Mellaz

    C’est bien pire ailleurs. À Ivry-sur-Seine la mairie a mis en place une politique d’accompagnement social des Roms. Mais la bonne volonté des pouvoirs publics ne suffit pas à éradiquer la misère et certains vivent toujours en bidonvilles.

    Dix années d’errance et d’insalubrité, de tentes en squats, de squats en bidonvilles, de bidonvilles en hôtels de fortune, ont pris fin pour Cocoi, son épouse et leurs deux enfants. Depuis trois semaines, ils ont enfin été relogés en plein centre-ville d’Ivry-sur-Seine. « Ivry, c’est chez moi. Sans la mairie, et sans le collectif [de soutien aux Roumains d’Ivry], je ne serais pas à l’abri. Je serais sûrement mort », confie le jeune Roumain de 26 ans, la mine grave. Ils sont des centaines à avoir arpenté le même chemin tortueux, avant de bénéficier de l’accompagnement social de la mairie. Si elle a permis de réduire significativement le nombre de campements, cette politique, humaine et volontariste, est loin d’avoir éradiqué l’habitat indigne à Ivry.

    Communiste depuis 1925, la ville tente tant bien que mal de gérer et d’intégrer sa communauté rom, roumaine ou non, au reste des quelque 62.000 habitants. Alors que les services municipaux recensaient presque 1.000 personnes sur les campements entre 2014 et 2016, ils comptent aujourd’hui 150 à 300 Roms en grande précarité. Beaucoup moins donc mais trop encore. « On a mis en place des dispositifs d’habitats transitoires, pour leur permettre d’accéder au droit commun. Environ deux cents personnes sont logées dans des bâtiments de la municipalité ou des bâtis temporaires », détaille Mehdi Mokrani, le maire-adjoint. Les quatre sites sont gérés par le bailleur social Alteralia, qui assure le suivi de 32 familles, soit 187 personnes. Aide médicale, accès au relogement durable, à la scolarisation et à l’emploi. L’adjoint se félicite :

    « Chez nous, les différentes forces en présence ont mutualisé leurs compétences et honnêtement, il est rare que l’Etat, la mairie, le Conseil départemental et les militants du droit au logement jouent la même partition.. Ce “faire ensemble” a permis de trouver des solutions. »

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    La Villa des Sorbiers, un petit village à Ivry, accueille une cinquantaine de personnes qui vivent dans des conditions déplorables. / Crédits : Imen Mellaz

    Les limites

    Grâce à ce maillage institutionnel et associatif en place depuis 2013, le campement Truillot a été démantelé en juin 2015. Et le « Mirabeau », à deux pas du périphérique, a disparu en octobre dernier. Cocoi est passé par ces deux camps avec toute sa famille. Au volant de sa camionnette aubergine impeccable, dans laquelle il a dormi pendant près de trois mois, il s’agace : « S’il y a bien une chose que j’ai comprise, c’est qu’en France, tout prend du temps. Après l’expulsion de Mirabeau, la mairie m’a mis dans un hôtel à Charenton, avec ma femme et mes enfants. Il n’y avait même pas un frigo. Je suis hémophile, j’ai un traitement lourd et cher. Et je ne pouvais même pas le conserver. » Il quitte alors l’hôtel pour son camion, son épouse et ses enfants logeant chez des amis, jusqu’à ce que la ville lui propose cet appartement.

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    Quand la pluie s'invite dans la Villa des Sorbiers, les pieds se retrouvent dans l'eau, à l'extérieur de chez Larissa comme à l'intérieur. / Crédits : Imen Mellaz

    La bonne volonté de la ville a pourtant ses limites. La Villa des Sorbiers, où une cinquantaine de personnes vivent dans des conditions déplorables, les illustre violemment. Habitations de plastiques et de tôle, installations électriques dangereuses, lino récupéré pour tapisser un sol boueux, la Villa des Sorbiers fait peine à voir. Un petit village dans la ville. Ici, on oscille entre reconnaissance et colère : « La mairie n’a pas rien fait. On a eu beaucoup d’autorisations, ils ont accepté qu’on reste là depuis neuf ans. Mais il faut qu’ils fassent plus, beaucoup plus. On ne peut pas rester dans ces conditions là », déplore Larissa, sur le bidonville avec son époux et ses enfants en bas âge, depuis quatre ans.

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    « On a le sentiment d’être délaissés par la mairie »

    Ongles parfaitement soignés, sourire engageant, Larissa sert le café dans sa cuisine où de grands panneaux publicitaires tiennent lieu d’isolants de fortune. Des fils électriques dénudés courent au-dessus des têtes. « Dès qu’on sort, on a peur de laisser les enfants à la maison à cause des risques d’incendie. On a le sentiment d’être délaissés par la mairie », enrage-t-elle. Larissa caresse machinalement son petit caniche noir puis développe : « Toutes les démarches, on les fait seuls. Les assistantes sociales ne veulent pas nous aider. On nous dit toujours qu’il n’y a pas de places, qu’il faut revenir. Et encore, moi je parle et comprends un peu le français ! » Madalina, habitante de la Villa depuis plus de cinq ans, renchérit :

    « On a des attestations de domicile, les enfants sont scolarisés, on est acceptés ici. Par rapport à d’autres villes, Ivry fait des choses. Mais sur le terrain, on n’a pas de suivi social. »

    Sanitaires dysfonctionnels, manque d’eau chaude, les familles se douchent à la bassine. Quand la pluie s’invite, les pieds se retrouvent dans l’eau, à l’extérieur comme à l’intérieur. Et c’est au seau qu’on écluse.

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    L'intérieur de chez Larissa, où les fils apparents et les publicités tapissent les murs. / Crédits : Imen Mellaz

    À la mairie, le sort des Sorbiers dérange :

    « Le lieu est identifié comme un spot de misère. On est en discussion avec le bailleur social Toit et Joie pour mettre en place un accompagnement comme celui d’Alteralia. Mais c’est vrai, on n’est pas opérationnels sur le site où le seul suivi est associatif. »

    Créer des ponts

    À la Villa, Bernard est chez lui : « Ça va, Bernard ? », « Ça va, il est là Emile ? Ah, il travaille le samedi maintenant ?! ». Les noms, les métiers, les parcours, Bernard sait tout des habitants : pilier du Collectif de soutien aux Roumains d’Ivry, crée en 2011 au lendemain d’un incendie mortel sur un campement, il milite activement pour l’accès au droit commun des Roms. En sirotant un café avec Larissa, il martèle :

    « Les familles roms subissent un racisme systémique, tout est fait pour qu’elles ne puissent pas s’implanter. Ces gens pourtant sont Européens, il n’y a même pas la barrière des papiers normalement ! »

    « La mairie a soutenu les démarches du Collectif mais je comprends aussi la frustration et la colère des Sorbiers », avance-t-il. Ces derniers mois, Ivry table sur l’intégration culturelle et sociale des Roms au travers un projet de jumelage avec Dorohoi, une ville au Nord-Est de la Roumanie. « Presque tous les Roumains d’Ivry viennent de là ! », s’amuse Cocoi, lui-même originaire de cette commune. Il l’a quittée faute de traitement pour soigner son hémophilie :

    « La Roumanie, c’est que pour les vacances maintenant. Je suis content d’avoir sauvé ma vie et surtout celles de mes enfants. Ils auront peut-être un bel avenir ici. »

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    Madalina et sa fille. / Crédits : Imen Mellaz

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