Paris – « Viols Femmes Informations, bonjour », articule doucement Laura (1), casque sur les oreilles. Dans les petits locaux du Collectif féministe contre le viol, elles sont quatre ce mardi à répondre aux appels de victimes de violences sexuelles. Chaque année, les écoutantes prennent en charge près de 6.000 femmes, soit seulement 10% des appels. Ce numéro national est composé 60.000 fois.
« Nous manquons de moyens », déplore Gabriela, coordinatrice administrative du CFCV. En 2018, un article de Libération revenait déjà sur les difficultés économiques de la ligne d’appels. Une vague de soutiens a suivi cette publication. « Mais ça reste ponctuel. » La petite structure aimerait pouvoir embaucher de nouvelles écoutantes et changer de locaux. « Impossible », soupire Gabriela avant de poursuivre : « Pourtant, on fait un travail essentiel ici ». En France, c’est le seul numéro gratuit dédié spécifiquement aux victimes de viols et d’agressions sexuelles (2).
Viols Femmes Informations
0 800 05 95 95
La permanence téléphonique est ouverte du lundi au vendredi, de 10h à 19h. Les appels sont anonymes et gratuits.
« Il fallait se bouger »
Sur une table, à l’écart de la salle d’appels, Gabriela étale une multitude de documents pour raconter l’histoire du CFCV. La coordinatrice allume la cafetière puis s’assoit sur une chaise avant de commencer timidement son récit. Le 8 mars 1985, des femmes médecins, profs ou encore membres d’asso constituent le CFCV pour réfléchir aux questions des violences sexuelles. Parmi elles, Marie-France Casalis, aujourd’hui responsable des formations du CFCV. Emmanuelle Piet, la présidente actuelle, rejoint le collectif plus tard. Les deux sont des figures importantes du féminisme. L’année 1985 est marquée par trois viols très médiatisés, comme le relate Gabriela :
« Il y en a eu un dans le RER, un dans le métro et un dans un logement où la fenêtre était restée ouverte. Les victimes hurlaient sans que personne ne leur vienne en aide. Là, le CFCV s’est dit qu’il fallait se bouger. »
L’idée d’assurer une permanence téléphonique nationale émerge. Le 8 mars 1986, la ligne est lancée pour le premier anniversaire du collectif. Créée avec l’appui d’Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme, et financée par les pouvoirs publics, la ligne Viols Femmes Informations apporte « écoute, aide, soutien et solidarité aux victimes de violences sexuelles […] et les informent sur leurs droits », explique un livret du CFCV. Chaque appel est confidentiel.
Le plus important : déculpabiliser la victime
Dans le bureau des écoutantes, un bip discret retentit à chaque nouvel appel. Laura est déjà en communication depuis une quinzaine de minutes avec une victime et un de ses proches. Pendant ce temps, Chloé (1) remplit un compte-rendu d’appel : « On fait un suivi pour éviter aux femmes de devoir se répéter si elles nous rappellent. Elles ont chacune un numéro de dossier, tout en étant totalement anonyme ». Nouvel appel. C’est Salomé (1) qui met fin à la sonnerie en répondant au téléphone. Au bout de quelques minutes, après avoir posé des questions sur la situation, elle rassure calmement l’appelante :
« Je vous crois. Vous n’avez rien à vous reprocher. Ce n’est pas votre faute, mais la sienne. »
« La première étape est de déconstruire ce qui s’est passé et déculpabiliser la victime », souffle Chloé entre deux appels, une tasse de café à la main. L’objectif est ensuite de guider les femmes dans leurs démarches, que ce soit sur le plan judiciaire ou médical. Chacune des écoutantes a été longuement formée avant de commencer à travailler. Gabriela, qui a elle-même répondu aux appels avant d’être coordinatrice, détaille :
« Il faut avoir un paquet de connaissances techniques, notamment en droit. Et le plus important est d’apprendre à être à l’écoute des victimes. C’est un métier difficile qui demande beaucoup d’investissement. »
60.000 appels par an, mais pas assez d’argent
Au départ, les écoutantes étaient toutes bénévoles. Au fil des années, l’asso a embauché et compte à ce jour huit écoutantes salariées et une bénévole. Elles se relaient du lundi au vendredi, de 10h à 19h, sans jamais être plus de quatre à la fois, « faute de place… », précise Gabriela, la voix pleine de déception :
« C’est trop petit pour rajouter un bureau. Et c’est mal insonorisé… Tout est ancien et inadapté. Cet été, on a même été infestées de cafards pendant deux mois. On n’a pas assez d’argent pour déménager, les loyers sont trop chers ! »
Le Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE) est la plus importante source de financement de l’association, avec une subvention annuelle de 372.500€. Cette somme sert intégralement à couvrir les salaires et les charges téléphoniques. La Mairie de Paris contribue en finançant à hauteur de 50% le loyer, et a versé une subvention exceptionnelle à l’asso en 2018, tout comme la Région Île-de-France. Autre soutien important : la Fondation des femmes, qui verse 60.000€ sur trois ans. Mais tout cela reste insuffisant. D’autant plus que la situation est instable : « Avant 2018, la subvention du SDFE était triennale. Maintenant que c’est annuel, c’est impossible de se projeter sur le long terme », souligne Gabriela.
« La société avance, mais trop lentement »
Malgré les difficultés, le CFCV ne cesse de se mobiliser, en organisant régulièrement des campagnes de prévention des violences sexuelles. Depuis plusieurs années, l’asso propose aussi des formations gratuites pour les professionnels et les étudiants, afin d’informer sur les violences sexuelles et d’apprendre à accompagner les victimes. Elle réalise aussi des missions d’expertise, par exemple sur l’accueil des victimes en commissariat. En décembre 2019, le collectif prévoit même d’ouvrir un groupe de parole, pour les personnes ayant été victimes de violences sexuelles dans le cadre extra-familial.
Des dispositifs qui pallient la prise en charge publique des victimes, trop souvent défaillante, pour Chloé, écoutante :
« Tous les jours, on entend des femmes dont les plaintes sont refusées, ou qui galèrent face à des démarches longues et compliquées… Parfois, certaines parlent même de suicide. Et on ne nous donne pas les moyens de les aider ! »
Pour avancer dans le bon sens, le CFCV défend l’idée qu’il faut créer des centres uniques pour prendre en charge les victimes, sur le modèle des CPVS (Centres de prise en charge des violences sexuelles) belges). Dans un seul et même endroit, les femmes peuvent recevoir des soins psychologiques et médicaux, et faire une constatation médico-légale. « Elles peuvent se doucher là-bas. On leur donne des vêtements de rechange… Des détails qui changent tout pour une victime », précise Gabriela, avant d’ajouter :
« On se dit qu’il y a plein de choses simples à mettre en place pour aider les victimes, mais rien n’est fait. La société avance, mais trop lentement, alors que les vies de nombreuses femmes sont détruites chaque jour. »
(1) Ces prénoms ont été modifiés.
(2) Le numéro national 3919, « Violences Femmes Info », est une permanence téléphonique dédiée aux femmes victimes de « violences physiques, verbales ou psychologiques, à la maison ou au travail »
Si le 3919 reçoit un appel à propos de violences sexuelles, l’écoutante réoriente l’appelante vers la ligne « Viols Femmes Informations », en raison d’une convention avec le CFCV.
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