Une lourde croix de bois de près de 3 mètres entre dans Paris sous le regard médusé des passants. Elle tourne devant la tour Eiffel. Trois hommes en costume breton la portent. Ils grimacent d’efforts. Des haut-parleurs diffusent de la musique religieuse à toute berzingue. Deux statues, l’une de Marie et l’autre de Jésus, accompagnent la tête du cortège. Un immense drapeau français tendu par des scouts suit. Derrière, 5.000 personnes sont en procession. Ils occupent toute la chaussée. C’est une démonstration de force.
La traversée de Paris / Crédits : Yann Castanier
Jeune scout / Crédits : Yann Castanier
Les lefebvristes en démonstration de force / Crédits : Yann Castanier
Le pèlerinage de la Pentecôte de la Fraternité Saint-Pie X, une branche du catholicisme traditionaliste et nationaliste, se déroule entre Chartres et Paris chaque année. En 3 jours, les fidèles marchent 107 kilomètres pour faire pénitence. Au programme : courbatures, cloques aux pieds et gorge sèche. Leur symbole du Sacré Cœur de Jésus, un cœur surmonté d’une croix et entouré d’épines, est dessiné sur d’immenses drapeaux bleu-blanc-rouge. Leur devise : « Espoir et salut de la France ».
Trop intégristes pour participer à la marche officielle
La Fraternité Saint-Pie X n’est pas en odeur de sainteté avec le Vatican : elle réalise son pèlerinage en sens inverse de la marche officielle, organisée par Notre-Dame de la Chrétienté. Les papistes, eux, vont dans le sens Paris-Chartres, entrant dans les églises pour les cérémonies religieuses, alors que la Fraternité St Pie X n’est pas autorisée à y pénétrer pour prier. A Chartres, les fidèles restent donc à l’extérieur derrière la cathédrale. A Paris, ils restent sur le parvis des Invalides, genoux au sol.
Les lefebvristes prient dans la rue car les églises leurs sont interdites / Crédits : Yann Castanier
div(border). Saint-Pie X en chiffres
La fraternité revendique rassembler près de 600 prêtres et 100.000 fidèles en France. Elle possède une cinquantaine d’écoles hors contrat, un lycée technique et deux instituts universitaires. 38 prieurés sont disséminés en France dont 2 à Paris avec l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet et Notre-Dame de Consolation. Plusieurs sites web décrivent leurs activités et leurs orientations traditionalistes. C’est aussi un réseau international qui comprend des émanations dans 37 pays. Leur siège international est d’ailleurs à Ecône, en Suisse.
La brouille date de 1970. Monseigneur Lefebvre, le fondateur de la fraternité, ne reconnait pas Vatican II et le tournant moderniste pris par Rome. Il continue de dire la messe en latin, ce qui devient le symbole de leur opposition au Pape. Puis il annexe l’église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris qui devient leur QG. La marche en sens inverse démarre au début des années 80. En 1988, Lefebvre et des prêtres ordonnés sans l’aval du Saint-Siège sont excommuniés. Ils devront attendre le pontificat de Benoît XVI pour être réintégrés.
Une organisation digne d’un festival de rock
Dimanche soir, veille du lundi de la Pentecôte, la procession fait escale à Villepreux, à 27 kilomètres de Paris. Elle investit le champ de la ferme du Val Joyeux. Des croyants agenouillés dans l’herbe confessent leurs pêchés à un des cinquante prêtres. L’organisation du bivouac est digne d’un show à l’américaine : 4 semi-remorques, des douches et des toilettes mobiles, plusieurs dizaines de tentes militaires pour faire dormir les pèlerins. 10.000 baguettes de pain et 40.000 litres d’eau sont distribués en 3 jours. 800 personnes organisent l’événement.
Rock en Seine ? / Crédits : Yann Castanier
Les femmes voilées de Saint-Nicolas-du-Chardonnet / Crédits : Yann Castanier
Des confessionnaux ont été installés / Crédits : Yann Castanier
4 semi-remorque ont transporté le campement / Crédits : Yann Castanier
La messe dure 2 heures, prononcée dos aux pèlerins dans la tradition tridentine. La foule est parsemée de croix de bois tenues en l’air. Toutes les femmes sont en jupes longues et certaines portent un voile. Après la messe, Isabelle, une belge gouailleuse aux longs cheveux bruns bouclés, mange des pâtes à la sauce tomate avec son chapitre – comprendre son groupe. Étudiante en sciences politique et en communication, elle réalise le pèlerinage pour au moins la dixième fois. Elle a démarré quand elle avait 12 ans, elle en a aujourd’hui 23. Ici, elle vient « faire pénitence et souffrir pour s’offrir à Dieu ». Chaque année, elle aime « être coupée du monde et loin du matérialisme. » Elle refuse l’avortement, l’euthanasie et le mariage pour tous. Pour la jeune femme, la Bible a été écrite il y a 2 000 ans mais « elle n’est pas limitée dans le temps ».
En route vers Paris
Lundi, 6H30, une croisade moderne démarre. A travers champs, les pèlerins portent haut les fanions où sont dessinées des fleurs de Lys et les armoiries de leurs régions. Des Suisses, des Belges, des Américains ou encore des Allemands participent. Beaucoup d’enfants et d’adolescents scouts marchent avec quelques jeunes adultes. Des chants résonnent : « C’est nous les pèlerins qui arrivons de loin, venant de tout pays prier pour la Patrie ». Ou « comme un para, je vais mourir (…) Pour un ordre catholique et royaliste. »
A travers champs / Crédits : Yann Castanier
Malgré la pluie et le vent / Crédits : Yann Castanier
Il y a de la casse / Crédits : Yann Castanier
Dès que le cortège arrive en ville, des scouts distribuent des médailles miraculeuses de Marie aux passants accompagnées d’un petit texte. La marche bloque une rue à l’approche de Paris. Un homme énervé sort de sa voiture et invective un louveteau de l’organisation : « Tu ne m’interdis pas de rentrer chez moi ! » Si le pèlerinage n’est pas politique, la Fraternité Saint-Pie X vise bien à une inclusion de la société sous l’ordre de Dieu. L’abbé Champroux, 36 ans, de la paroisse de Nantes, nous explique :
« L’Homme n’est pas un petit Dieu qui fait ce qu’il veut sans mode d’emploi. Si on enlève Dieu à l’espace public, on enlève la clé de voute. »
L'abbé Champroux / Crédits : Yann Castanier
Soeurs / Crédits : Yann Castanier
L'abbé des champs ? / Crédits : Yann Castanier
Sur le bivouac, des hommes du Renouveau Français, un groupe nationaliste radical, arborent un drapeau et un fanion de Saint Michel. A l’arrivée devant les Invalides, le chef du mouvement, Thibaud de Chassey, assiste à la messe. Il refuse photo et commentaires.
D’autres fidèles sont, eux, venus pour voir Alain Escada, le boss de Civitas, un groupuscule intégriste qui n’hésite pas à détruire des œuvres d’art ou à asperger d’huile de vidange les spectateurs d’une pièce de théâtre jugée « blasphématoire ». La fraternité a aussi été proche du FN par l’intermédiaire de Bruno Gollnisch. Un abbé confie : « On croise le FN sur certaines thématiques. On partage cette idée de primauté de l’ordre et de la sagesse sur la liberté. »
Le renouvellement des générations est en marche. Bermuda, chemisette et cheveux bien coupés : les scouts sont omniprésents. Un adolescent souffle et traîne la patte. Il « aime être là pour retrouver ses amis » et puis un peu parce qu’il est « obligé aussi. » Un chant composé de voix adolescentes résonne :
« Nous voulons porter haut et fier les bannières de notre France entière. Et si quelqu’un venait à y toucher, nous serions là pour mourir à leurs pieds.»
Castors juniors / Crédits : Yann Castanier
Un jeune scout marin / Crédits : Yann Castanier
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