Paris 10e – 127 Boulevard de la Villette. Ismaël a 15 ans et attend devant les locaux de la Permanence d’Accueil et d’Orientation des Mineurs Isolés Étrangers (Paomie) depuis plusieurs heures. Timide, un sac sur le dos et la tête dans son blouson, il est arrivé tôt le matin, dans l’espoir d’obtenir une place pour passer la nuit au chaud :
« J’ai dormi dehors. Dès que j’ai vu le jour, je suis venu ici. Hier on m’a dit que j’étais venu trop tard. »
Les places en gymnases sont chères
Dans le cadre du plan « grand froid », la mairie ouvre depuis le 4 décembre dernier les portes de certains de ses gymnases et de bâtiments publics. Mais migrants et SDF se partagent chaque soir les 1.000 places disponibles. Dans ces gymnases, chaque personne accueillie reçoit une trousse de toilette, un repas chaud pour le soir, un accès aux sanitaires, et un petit déjeuner le matin. À 9h, les portes se referment, avec la remise d’un bon pour la nuit suivante. Les places dans ces gymnases sont attribuées au préalable. Pour avoir un lit, il faut avoir été orienté par le Samu Social, des associations ou des travailleurs sociaux.
Anne Hidalgo a informé début décembre 2014 que 12 gymnases étaient mis à disposition par la ville, selon un système de roulement. Contactée par StreetPress, la mairie de Paris explique que les gymnases sont en mesures d’accueillir l’ensemble des sans-papiers dont la minorité est avérée (1). Et pourtant StreetPress a pu constater que chaque soir plusieurs jeunes passent la nuit dehors, en dépit de la loi sur la mise à l’abri des mineurs.
Trop de mineurs isolés, pas assez de place
C’est la Paomie qui est chargée d’organiser leur placement. Sauf que pour obtenir un entretien visant à trouver une solution pérenne, il faut souvent attendre plusieurs semaines. En attendant, elle tente de trouver des solutions temporaires. Mais ses moyens d’action sont maigres et seulement environ 25 jeunes sont pris en charge chaque soir. Il est presque 17h30 ce 18 janvier, et toutes les places sont prises.
Il fait déjà nuit et froid. En face des locaux de la Paomie, sous le métro, des terrains de basket et de foot. Une dizaine de jeunes jouent, d’autres sont assis contre les grilles, sacs sur le dos. Livrés à eux-mêmes, ils ne savent plus vers qui se tourner. Selon Sylvie Brod de Resf, il est difficile de donner un chiffre précis du nombre de mineurs qui restent à la rue la nuit tombée :
« On peut voir entre 80 et 120 personnes qui restent visibles le soir autour de la Paomie. Mais combien d’entre eux sont partis dans le métro ? Dans les rues ? Certains reviennent le lendemain, des nouveaux arrivent aussi. »
Les jeunes ne savent pas à qui s’adresser
Ibrahim a 17 ans. Contrairement à ses camarades, il n’a pas de sac. « J’ai tout perdu pendant le voyage ». Arrivé en France il y a deux semaines, il fait la queue devant la Paomie tous les soirs. Mais il n’a encore jamais été pris en charge. Quand StreetPress lui demande s’il a déjà été dormir dans un gymnase, il a l’air étonné :
« Un gymnase ? Pourquoi j’irai dormir dans un gymnase ? La dame qui nous accueille, elle dit juste quand il y a plus de place. Il est où le gymnase ? ».
Et si on lui demande comment est l’accueil :
« Ah…c’est difficile. Je viens parce qu’on m’a dit que c’était ici qu’il fallait venir et que je ne connais pas d’autres endroits. Mais ils ne sont pas très gentils, sauf les gens qui viennent le soir pour nous aider. »
Les assoc’ se mobilisent
À côté des terrains, une petite place. Un camion tenu par des bénévoles est installé. On peut lire sur une pancarte blanche « Jeunes de la Paomie », écrit à la main. Depuis le 26 décembre 2014, de 13h à 20h environ, les associations le 115 du Particulier et le Droit Au Logement (DAL) distribuent repas chaud, thé, café, gâteaux, couverture à des jeunes. Soit chaque jour, plus de 200 repas. Avec d’autres associations (RESF, le collectif Actions Guimard, l’Adjie…) elles ont monté le collectif 172. Elles se mobilisent depuis plusieurs semaines pour permettre aux jeunes qui ne sont pas pris en charge par la Paomie d’être dirigés vers les établissements qui peuvent leur venir en aide.
Cet élan de solidarité a commencé aux dernières vacances de la Toussaint. StreetPress vous avait raconté comment la FIDL, syndicat lycéen, avait hébergé de nombreux mineurs isolés scolarisés afin interpeller les autorités. Après les vacances de Noël, c’est le lycée Guimard dans le 19e arrondissement de Paris, qui a menacé d’ouvrir le gymnase de l’établissement pour héberger 9 lycéens sans-abri. Une action qui a fait réagir le ministère de l’Education Nationale et la préfecture de police : 5 de ces jeunes ont été logés à la Mie de Pain et en Foyer de jeunes travailleurs. Les autres ont été accueillis dans un foyer pour une courte durée. Une dizaine de jours après, c’est le lycée Louis Armand, dans le 15e arrondissement qui rejoint le mouvement.
Un lycéen sans-pap hébergé en octobre dernier dans le local de la FIDL dans le 19e / Crédits : Fiona Guitard
Pas de solution miracle
Chaque soir, les militants tentent de parer au plus pressé en trouvant une place au chaud pour chacun, sans toujours y arriver. Le soir du 13 janvier, plusieurs associations se rendent dans le 5e arrondissement de Paris, au Gymnase Poliveau, avec quelques jeunes qui n’ont pas été pris en charge par la Paomie. Ce gymnase est ouvert aux mineurs isolés. Peu avant minuit ce soir-là, les portes du gymnase se ferment, laissant neuf jeunes sur le carreau, nous raconte Sylvie :
« Nous avons rappelé aux fonctionnaires présents la responsabilité de l’institution. Ils nous ont répondu d’appeler la Brigade des Mineurs. »
Sauf que cette dernière est toute aussi impuissante. Et la militante d’insister sur la situation précaire de ces mineurs :
« Les jeunes sont aussi lycéens pour certains. Ce ne sont pas des conditions idéales pour étudier. »
Lundi 26 janvier, Dominique Versini, adjointe à la Maire en charge de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion, a présenté le dispositif parisien d’accueil et d’accompagnement des mineurs isolés étrangers. Elle promet de raccourcir le délai des évaluations menées par la Paomie et la création d’une structure de jour associée à un hébergement de 170 places.
(1) Edit le 28/01/2015 suite aux précisions apportées par la mairie.
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