Rue Léon Giraud, Paris 19e. « La FIDL fait le travail de la République, elle protège des lycéens sans papier ». La nouvelle déco de la façade du 9bis annonce la couleur. Depuis la mi-octobre, c’est une quinzaine de jeunes mineurs sans papiers qui vivent dans les locaux du syndicat lycéen.
Du thé et un toit
Dans un bureau, deux jeunes squattent devant les ordinateurs. Les éclats de rire fusent. Ils regardent des vidéos de chanteurs. C’est désormais leur seul lien avec leur terre natale.
(img) La salle de travail reconvertie en cuisine
Cette salle de travail s’est transformée depuis quelques jours en cuisine. Plusieurs tables ont été disposées sur la longueur de la pièce : des plaques électriques, une machine à café, une bouilloire et quelques produits alimentaires y sont disposés. Rangés sous les tables en vrac, de nombreux sacs de provisions et des matelas gonflables. Charlène, 20 ans et graphiste salariée de la FIDL, présente le lieu : « Je précise : c’est aussi mon bureau. »
La pièce d’à côté fait office de salon mais aussi de chambre. Trois jeunes discutent, un autre déroule son tapis de prière. Des sacs sont entassés dans un coin. C’est la première fois, depuis des mois pour certains, que leurs affaires sont au même endroit plusieurs jours d’affilés. Thé à la main, l’un d’eux plaisante:
« Pour les photos, je peux prendre la pose comme une star si tu veux. Je rigole hein, je veux pas qu’on voit mon visage. »
Pendant la prière de leur compagnon, aucun d’eux ne parle ou ne bouge. L’instant est sacré.
D’une galère à l’autre
Quelques minutes plus tard, les discussions en bambara – une langue du Mali – ont repris. Abdoul, qui jusque là n’avait rien dit, se lève pour partager son histoire. Mais pas devant les autres.
(img) Même pour la prière, ils n’ont pas d’intimité.
Il a 16 ans, et est en seconde dans un lycée du 15e arrondissement de Paris. Arrivé en France en juin dernier, il a décidé de partir de sa région natale du Nord du Mali, Gao, à cause de la guerre. Entre un 4×4 pour rejoindre la Libye et une embarcation de fortune, il arrive au camp de Lampedusa. Il décide alors de venir en France où il espérait trouver ce qu’il recherchait : un équilibre. Car pour les Maliens, la misère n’existe pas dans l’hexagone comme l’explique Charlène de la FIDL :
« Un jeune m’a même dit que s’il disait à ses potes du Mali qu’il dormait dehors, on le traiterait de “pire des menteurs”. »
C’est pourtant une réalité. Abdoul en a fait les frais. Ne pouvant pas payer le self, les repas du midi se font rares. Pourtant, il n’envisage pas de repartir en Afrique. Si on le renvoie au Mali, un avion le conduira à Bamako, capitale du pays. Soit à plus de 1.000 kilomètres de chez lui. De là, il assure ignorer comment retrouver les siens. Pire encore, Abdoul se demande s’il pourra traverser la région de Gao sans que les rebelles ne l’enrôlent de force.
Mais que fait la France ?
La loi française est censée protéger ces mineurs qui débarquent. Mais si en théorie tout est prévu pour leur éviter la rue, dans les faits tout n’est pas si facile. Xavier Hasendahl de la FIDL :
« Ils attendent presque un mois pour avoir un rendez-vous. »
Ensuite, ils passent par un entretien psychologique sur la base duquel le psy détermine si oui ou non le jeune est mineur, « juste avec le parcours de vie ». S’en suit un test osseux, censé confirmer l’âge du sans-papier.
Hassan est passé par là. Après avoir quitté l’Afghanistan en 2010, il est arrivé seulement l’an dernier en France. Parti de son pays avec les hommes de sa famille, ces derniers l’ont abandonné en Turquie. Livré à lui-même, il a traversé plusieurs pays par ses propres moyens, dont certains hostiles à ses origines, comme l’Irak. Jugé majeur par les médecins, l’association qui s’en occupait l’a mis à la porte. Pourtant ses papiers d’identité indiquent qu’il a 16 ans. Xavier peste contre les tests osseux :
« Ils partent du principe qu’un os c’est comme un arbre, tous les ans ça grandit d’un cercle. Sauf que ces tests ont une marge d’erreur de 5 ans. Imaginez un jeune à qui on affirme qu’il a 20 ans alors qu’il en a 15. »
FIDL au poste
Ahmed, 17 ans, militant à la FIDL, organise les tables de la cuisine improvisée. Les sacs de provisions reçus chaque jour ont besoin d’être rangés. Il ne pensait pas voir les locaux se transformer un jour en centre d’accueil pour sans-papiers. Mais pour lui, la situation était trop grave pour qu’il reste sans rien faire :
« L’hiver arrive. Et faut pas oublier que ce sont nos potes aussi. On commence les cours avec eux à 8h et on les fini à 18h avec eux. La seule différence c’est que moi je vais rentrer chez moi avec de quoi manger et un bureau pour faire mes devoirs. »
Les soutiens affluent, chaque jour plus nombreux. Xavier Hasendahl est en plein rush : il oriente les jeunes qui se présentent ou appellent pour savoir comment aider. Il passe du téléphone à son cahier de notes et a peu de temps pour souffler. D’autant qu’il faut également organiser la mobilisation politique.
Najat t’es foutue, la jeunesse est dans la rue !
Après avoir fait parvenir une lettre ouverte à Anne Hidalgo, la FIDL a été reçu par la mairie de Paris. Les 15 jeunes qui étaient hébergés par le syndicat lycéen ont pu être placés pour une nuit en foyer de jeunes travailleurs, avec la promesse d’être pris en charge pour deux semaines. Pour Xavier Hasendahl, c’est une avancée, mais on est loin de la victoire :
« Là on a trouvé une solution pour 15 jours pour 15 jeunes. C’est bien mais ça solutionne pas le problème global. Ils sont pourtant plus d’une centaine, rien qu’à Paris. »
Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, a également reçu les lycéens le 24 octobre. Mais elle n’a pris « aucun engagement concret », assurent les intéressés. Et depuis, d’autres jeunes sans-papiers sont venus frapper à la porte de la FIDL.
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