Après avoir reçu le spécialiste de l’investigation web Jean-Marc Manach, StreetPress organisait mardi 10 juin sa deuxième soirée à thème : une « plongée sous Marine » avec Abel Mestre, journaliste en charge depuis 2008 de l’extrême-droite au Monde et sur le blog Droites extrêmes. Une soirée organisée dans le cadre de la Street School, programme gratuit de formation au journalisme, dont les étudiants mais aussi tous les curieux trouvent ainsi l’occasion de rencontrer des journalistes professionnels et d’échanger avec eux.
Après avoir jeté quelques fleurs à StreetPress – « un site que je consulte régulièrement, [dont] j’aime beaucoup les angles » et sur lequel « j’apprends beaucoup de choses » – Abel Mestre est revenu sur un temps (2008) qui semble bien loin, où « le Front était au plus bas dans les sondages. Beaucoup de politologues, de journalistes et d’observateurs le donnaient pour mort ».
Depuis, le FN est arrivé à la première place des européennes – après l’abstention – et tout un tas de mouvements d’extrême-droite, comme le Bloc identitaire, ont squatté la une de l’actu, entre apéros saucisson-pinard, « manif pour tous » et « tournées anti-racaille ». Dans le même temps, le blog Droites extrêmes passait de 15.000 vues à 250.000 sur certains articles.
Huit années entre dédiabolisation – « une façade, évidemment » – et piqûres de rappel antisémites à base de « fournées » du père le Pen – « persuadé qu’un FN gentil n’intéresse personne » sur lesquelles est revenu Abel Mestre.
Un FN gentil n’intéresse personne
Abel Mestre, posey !!!
Combien de familles est-ce que tu distingues parmi les droites extrêmes ?
Je n’ai pas vraiment de typologie, ce sont des frontières mouvantes. Certains militent au FN avant de se retrouver au Bloc identitaire puis chez Serge Ayoub… Ils ne sont pas structurés politiquement et s’engagent un peu en fonction de l’air du temps.
D’autres sont beaucoup plus structurés :
> Les royalistes, qui sont encore un mouvement structurant de l’extrême-droite française comme on a pu le voir dans les manifestations contre Christiane Taubira, et qui parvient à fournir une grille de lecture du monde cohérente.
> Les identitaires, très structurés également, autour d’une philosophie très radicale mais avec une communication politique beaucoup plus moderne que les autres : ils arrivent à influencer aussi bien des cadres du FN que de l’UMP, comme on a pu le voir lorsque Lionel Luca reprend les apéros saucisson-pinard. Ils instillent des idées dans l’ensemble du spectre politique de droite ;
> Les néo-fascistes et néo-nazis.
> Et à côté, il y a le FN, qui est un cas à part. C’est un parti d’extrême-droite, au confluent de plusieurs courants : à sa fondation, il regroupait des anciens collaborationnistes, des anciens de l’OAS, et quelques anciens résistants qui étaient là par anticommunisme. Aujourd’hui, on y retrouve une tendance crypto-souveraino-patriote incarnée par Florian Philippot, la vieille garde incarnée par Jean-Marie le Pen et Bruno Gollnisch, et Marine Le Pen qui est censée faire la synthèse de tout ça.
Mais le FN a pas mal d’ennemis à l’extrême-droite, comme on peut s’en rendre compte en lisant Rivarol…
Alors Rivarol, c’est un hebdomadaire antisémite et pétainiste, qui a pris pour cible Marine et même Jean-Marie le Pen depuis que Jérôme Bourbon est arrivé à la tête du journal. Jérôme Bourbon qui, il faut le savoir, est issu de l’Œuvre Française, l’un des mouvements dissous l’année dernière par Manuel Valls. Et en plus d’être antisémite et pétainiste, il est sédévacantiste – c’est-à-dire qu’il considère que le pape actuel est un usurpateur et que le vrai a été jeté dans un cachot… Il pense que l’Eglise est infestée de francs-maçons, de juifs et de marxistes… Et il avait même reproché à Marine le Pen de porter des jeans et d’avoir un entourage digne de la Cage aux folles.
Parmi les fondateurs du FN, il y avait même quelques anciens résistants, qui étaient là par anticommunisme
Jérôme Bourbon avait même reproché à Marine le Pen de porter des jeans
Il y avait foule, à la plongée sous Marine.
Mais le Front National, lui, dit aujourd’hui qu’il n’est pas d’extrême-droite. Est-ce que pour toi c’est toujours un parti d’extrême-droite ?
Pour moi c’est évidemment un parti d’extrême-droite. Il est la preuve même qu’on peut être d’extrême-droite sans être nazi ou fasciste. Ce qui fait que c’est un parti d’extrême-droite, c’est la préférence nationale, qui est au cœur de son projet depuis les années 1990, et qui consiste à donner un accès privilégié aux aides sociales, aux logements sociaux, à l’emploi aux seuls Français. C’est une mesure qui a été considéré comme illégale par un tribunal administratif. Donc on parle là du seul parti qui présente un programme dont le point nodal est illégal.
On vient de voir tous les cadres du FN monter au créneau pour dénoncer la sortie de Jean-Marie le Pen sur la « fournée », est-ce que c’est un événement qu’il fasse l’unanimité contre lui au sein du parti ?
Oui, parce qu’habituellement c’est fait dans les couloirs, en coulisses… Mais là, la dernière fois qu’il a été aussi contesté c’était à la veille de la scission mégrétiste. On n’en est pas là, parce qu’il n’y a pas de courants au FN et que tout le monde est derrière la présidente : personne ne peut la concurrencer au niveau du leadership. Mais on est dans une crise de direction très claire.
Comment est-ce qu’on récolte des infos sur le FN ?
Comme pour n’importe quel parti, en fait : en travaillant les sources, en voyant les cadres, en multipliant les contacts, en faisant des reportages, mais aussi en lisant beaucoup : ils sont toujours dans l’understatement, dans les allusions…
La dernière fois que Jean-Marie le Pen a été aussi contesté c’était à la veille de la scission mégrétiste
La plongée sous Marine, ça se pratique aussi sur Twitter – “lien par ici”:https://twitter.com/hashtag/plong%C3%A9esousmarine?src=hash
Quel genre de relations est-ce que t’entretiens avec eux ? Tu appelles Jean-Marie le Pen tous les jours ?
Non, non… Je dois reconnaître que le FN a un avantage, c’est qu’ils ne cherchent pas à copiner avec la presse. Au Front National, personne ne te tutoie. Ils ne te diront pas : viens, on va se prendre une bière, discuter… C’est un rapport très professionnel, très distancié, que je trouve assez sain.
C’est pareil avec les autres groupes d’extrême-droite. La difficulté à traiter de l’extrême-droite, c’est d’être aussi honnête que quand on couvre l’UMP, le PS ou le centre, tout en ayant en tête que ce sont des partis qui ne sont pas tout à fait comme les autres. L’Œuvre française s’assume par exemple nostalgique de Pétain, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut être malhonnête avec eux.
Comment t’es accueilli, dans des manifestations d’extrême-droite ?
Je n’ai pas eu plus de problèmes que ça… C’est plutôt des coups de pression… Sinon, le 1er mai 2013, mon adresse personnelle a été imprimée sur des autocollants et collée en marge de la manif du FN. Pas très agréable…
Tu ne penses pas que parler du FN puisse revenir à leur accorder une tribune, à sensibiliser les gens à leurs idées ?
J’attends de voir une étude qui montre que le Monde a un tel pouvoir… Le FN a quand même fait 25% aux européennes, et un score plus que bon aux municipales. Donc ce n’est pas une création médiatique, c’est quelque chose de tangible. Chacun sur le terrain peut voir l’exaspération qui monte… Donc c’est juste rendre compte de la réalité que d’en parler. Après, si certains veulent casser le thermomètre pour ne pas voir la fièvre… Et je te rappelle que le FN fait 11% aux européennes de 1984, alors que c’est un groupuscule dont personne ne parle, à l’époque. Et d’un coup, ils font jeu égal avec le PC… Donc ce ne sont pas les médias qui vont inciter les gens à voter FN…
Vidéo – Retrouvez l’ensemble de la conférence ci-dessous – à partir de 12’50.
Au FN, personne ne te dira : viens, on va se prendre une bière, discuter…
Robin D’Angelo mène le débat.
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