Lundi, 10 heures, devant le Palais de Justice de Paris, une cinquantaine de lycéens scandent « Libérez Khatchit, libérez Khatchit ! » Un peu tard sans-doute : leur camarade de classe sans titre de séjour a été expulsé samedi. A peine sortis du métro que ces élèves du lycée professionnel Jenatzy, du 18e, sont encadrés par les CRS. Ils sont une quinzaine de policiers, équipés de boucliers et de matraques, à entourer la bande d’adolescents en colère, accompagnée de professeurs et de militants pour les droits des sans-papiers.
C’est vendredi après-midi, « en AG » qu’ils ont décidé de cette journée de « protestation ». 

« On est là parce qu’un mec de notre école s’est fait arrêter il y a quelques semaines, le jour de son anniversaire. Il avait pas de papiers alors ils l’ont mis en taule et ils l’ont renvoyé dans son pays », explique entre deux slogans un de ses camarades, dont on peine à distinguer les yeux sous la casquette.
Réfugié politique Le « mec de l’école » en question s’appelle Khatchit Khachatryan. Un jeune homme de 19 ans, plutôt discret selon ses camarades, débarqué en France il y a un an, parce qu’il serait « menacé en Arménie à cause des activités politiques de son père » affirment les militants de RESF. Mais tout le monde ne connait pas parfaitement les détails de son histoire. « Je ne savais pas que c’était un réfugié politique », confesse Célia, étudiante à la Sorbonne et militante à RESF, également « engagée aux côtés des antifas ».
Scolarisé depuis son arrivée, il était en section d’accueil dans le lycée Dorian, dans le 11e arrondissement de Paris, avant de rejoindre le lycée Camille Jenatzy en septembre dernier pour commencer un CAP mécanique. Bon élève et discret au point même que Madame Dumas, proviseure du lycée, explique à la sortie de l’établissement qu’il vaudrait mieux « interroger son ancien lycée » pour en savoir un peu plus. Même son de cloche du côté des lycéens. Aucun des interrogés ne le connaissait personnellement.
Embarquement immédiat Pourtant, tout le monde connaît l’histoire de son interpellation. 

Le 19 septembre dernier, le jeune Arménien a été arrêté pour un vol dans un magasin « n’ayant pas occasionné de poursuite judiciaire », toujours selon les militants RESF. L’incident aurait pu être classé sans suite. Seulement, le contrôle d’identité, révélant qu’il ne possède pas de papiers, sera sa carte d’embarquement direction l’Arménie.
Il était retenu au centre de rétention administratif de Vincennes en attendant son expulsion. Tout était prévu pour le 10 octobre dernier. « On nous avait dit que son avion partait jeudi à midi, donc on s’est mobilisé avec les élèves de lycée pour aller directement à l’aéroport à Roissy. » raconte Célia. « C’est la première fois qu’ils expulsent un lycéen depuis des années. » affirme la jeune femme.
Je ne savais pas que c’était un réfugié politique
On nous a dit que son avion partait jeudi à midi, donc on s’est mobilisé pour aller directement à Roissy
Turbulences A l’enregistrement, ils sont une dizaine de militants et une vingtaine de lycéens à aller voir les passagers pour les avertir de l’expulsion de leur camarade. « C’est relativement simple car s’il y a ne serait-ce qu’un peu de contestation, le pilote peut décider que les conditions de vol ne sont pas correctes pour la sécurité » explique Pascal, professeur de maths et militant CNT. Pour convaincre les passagers, ils ont un argument de taille : Khatchit risquerait trois à cinq ans de prison en Arménie pour n’avoir pas fait son service militaire.


Et ça marche. Les passagers protestent et l’expulsion est retardée. Khatchit est finalement débarqué et reconduit au centre de rétention en attendant son passage devant le juge des libertés, prévu pour le mardi suivant. Mais cette petite victoire n’est que de courte durée. Pascal raconte : « Vendredi on se réunissait en assemblée générale avec les lycéens pour décider d’une journée d’action lundi. Et samedi matin, on apprend que Khatchit est conduit à l’aéroport » s’indigne le prof. En ce début de week-end, ils ne sont qu’une dizaine de militants à tenter d’empêcher son expulsion, en vain. « Ils ont fait ça avant qu’il repasse au tribunal, où on aurait sûrement décidé de sa libération. La police a accéléré la procédure. », affirme le syndicaliste.


Impro Vers 10 heures, une militante de RESF s’extirpe du « cordon » de CRS plutôt détendu pour aller « demander des explications au préfet » qui, sans surprise, ne la recevra pas. Comme le cortège, l’organisation est assez brouillon. Personne ne sait réellement quelle sera la prochaine étape de la journée. Pourtant vers 10h40, les jeunes se remettent en route, sans qu’on sache vraiment pourquoi. En quelques secondes, les 50 lycéens qui hurlaient face au Palais s’engouffrent précipitamment dans le métro.
Le pilote peut décider que les conditions ne sont pas correctes
La police a accéléré la procédure
Ils courent et sautent dans tous les sens. Les militants et les profs, pas du tout au courant de ce qu’ont décidé les lycéens, peinent à suivre la troupe. « Libérez Khatchit ! » continuent de scander les lycéens à la face de quelques passagers vaguement effrayés. Deux d’entre eux se lancent dans un concours de traction sur les barres du métro. « C’est une première expérience politique pour la plupart d’entre eux » explique Solen. « Les gars calmez-vous, vous n’allez pas jouer le jeu des flics », tente le jeune militant NPA, mégaphone à la main. L’argument fait son petit effet et arrivé devant le lycée les élèves se calment.
Lunch Time L’administration est surprise de ce retour anticipé. « Allez donc manger », leur lance l’un des surveillants. Affamés, les ados y songent sérieusement, tandis que que les militants organisent la suite. « On va se rendre dans quelques lycées pour faire passer le mot. Rédiger un communiqué de presse pour avertir les médias et on reviendra demain » explique le jeune anticapitaliste aux élèves du lycée désormais un peu éparpillés et visiblement pressés d’aller à la cantine.
Du côté de l’administration on laisse la mobilisation se faire. « La priorité est la tranquillité de l’établissement », explique la proviseur. Aucune sanction donc pour les lycéens qui ont séché pour des raisons politiques. Pas sûr que la mobilisation ne tienne très longtemps : « demain je vais rester chez moi, c’est l’Aïd » lâche un ado.
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