08/02/2013

« Vers mes 25 ans, comme tout le monde, j'ai commencé à me dire que j'allais acheter un bar... »

Ouvrir son bar à Paris : Les conseils de Quentin, futur proprio d'un « bar rock »

Par Elodie Font

Quentin rêvait, comme pas mal d'entre nous, d'ouvrir un bar. Sauf que lui va y parvenir. Entre le bon vouloir des banques, la nécessité de s'associer et la recherche du lieu, le parcours est loin d'être une promenade de santé.

« De toute façon, on va tous quitter nos boulots de merde, et puis on ouvrira un bar à San Francisco ! » « Ouais, et puis ce sera aussi une médiathèque et on vendra des sandwich trop cool ! » « Et une agence de détectives en même temps que le bar ? » Qui n’a pas, après un ou plusieurs verres, imaginé racheter un bar ? Un monde où les litres de bière couleraient à flots – et gratuitement, en plus. Un café/bar ultra vivant, avec de la bonne musique. Le bar comme échappatoire face à la pression du boulot.

Sauf que vous n’avez pas quitté votre job, et nous non-plus. Quentin, lui, a franchi le pas. Il nous raconte, à la première personne, comment et pourquoi il a eu envie d’ouvrir un bar dans Paris.

Fuir les horaires de bureau « Vers mes 25 ans, comme tout le monde, j’ai commencé à me dire que j’allais acheter un bar. J’aimais – j’aime toujours – beaucoup sortir, ça me semblait logique. Mais je me suis vraiment dit que j’allais le faire il y a deux ans, quand j’ai eu 32 ans. Ça faisait dix ans que je bossais au même endroit, dans une compagnie aérienne où j’ai gravi pas mal d’échelons. Mais là, j’en avais ras-le-bol. C’est plutôt « bien tombé », si on peut dire ça comme ça, mais ma boîte nous a lourdé, moi et pas mal de collègues, pile à ce moment-là, pour des raisons économiques. Ça faisait des années que je bossais énormément, avec des horaires complètement décalés, je me suis dit que quitte à faire de gros horaires, autant monter mon propre projet. Je me voyais pas dans un bureau, c’est pas pour moi, cette vie-là. Je ne suis pas quelqu’un de posé, il me faut du mouvement, des rencontres. Alors pourquoi pas réellement acheter un bar ?

J’ai commencé par faire une (bonne) formation du Pôle emploi pour mieux saisir la gestion et la création d’une entreprise. La première question, très clairement, c’est : quel va être mon apport ? Est-ce que je vais mettre assez sur la table pour que la banque me prête le reste ? Les premières semaines, tout était assez confus. Il y a ceux qui te disent que les banques sont très frileuses, d’autres qui m’assuraient qu’elles adoraient les ouvertures de bars. Un jour, je m’imaginais que ça allait être très simple, un autre, je me demandais dans quoi je m’étais embarqué.

Vers mes 25 ans, comme tout le monde, j’ai commencé à me dire que j’allais acheter un bar

Le sacro-saint apport Perso, pour pouvoir financer mon futur bar, j’ai d’abord compté sur mes indemnités de licenciement. Sauf que le souci, c’est que deux ans après, on n’a pas réussi à s’entendre avec mon ex-boîte. Nous, les anciens salariés, on a gagné notre procès aux prud’hommes, mais l’entreprise a fait appel et tu vois, je ne connais même pas encore la date de l’appel… Donc j’attends toujours mes indemnités. Du coup, j’ai vendu mon appart à Paris.

Et puis j’ai cherché des associés. Ma règle de base, c’était de ne pas inclure ma famille dans mon projet. Ni chercher un mécène ou quelqu’un qui mette des ronds dans mon projet. Pas parce que je refuse systématiquement toute aide, mais je voulais avoir les coudées franches pour faire ce que je voulais. Pour ne pas recevoir d’ordre.

Concrètement, pour que t’aies une idée, j’ai failli signer pour un bar il y a quelques semaines, tout près de la station de métro Goncourt (pas loin de République, ndlr). Le bail de commerce me coûtait 250.000 €, la banque me demandait un apport de 90.000 €. Et encore, nous, on cherche une « petite affaire ». Après, tout dépend du quartier, de la clientèle, du fonctionnement du bar que l’on reprend. Il n’y a pas de règle.

Sachant qu’en plus du bail de commerce (également appelé la licence, ndlr), il faut que tu comptes aussi que tu vas devoir payer le matériel – tu rachètes aussi, en plus, les chaises, les verres etc… Et puis tu dois ensuite un loyer mensuel à celui ou celle qui possède les murs, comme pour ton appart’. Autrement dit, tu dois payer et ceux qui tenaient le bar avant toi, et le propriétaire des murs. Il y a très peu de bars qui possèdent aussi les locaux, parce que cumuler les deux achats, c’est hors de prix.

Pareil, il n’y a pas de moyenne du prix de la licence : tout dépend de la ville, du quartier, de la clientèle. C’est très variable. Ça va de 2.000 € dans une toute petite ville à des sommes astronomiques à Paris. À Saint-Tropez, la moyenne se situe autour de 100.000€.

Tu auras de l’expérience, mon fils Première chose : avoir donc un apport conséquent. Sachant, parce que c’est important, que lorsque t’ouvres une entreprise, tu dois rembourser ton prêt en 7 ans, pas en 20 ans comme quand t’achètes une maison. Deuxième chose : avoir de l’expérience dans le domaine sinon c’est simple, c’est rédhibitoire. Ni les banques, ni le bailleur n’ont d’intérêt à ce que tu te plantes, ils veulent donc limiter les risques. Si tu as été serveur tous les étés pendant 5 ans, ça marche.

Et ensuite, seulement ensuite, tu peux commencer les visites. C’est exactement comme pour un appart’, tu vas sur les mêmes sites (seloger.com, pap…), sauf que tu cliques sur l’onglet « commerces ». Je peux te dire que ça m’occupe pas mal depuis des mois. Le truc cool, c’est que y’a pas mal de bars à vendre. J’ai vraiment commencé les visites en septembre dernier et, depuis, je suis allé jeter un coup d’œil à une centaine d’adresses et j’ai réellement visité une vingtaine de bars. Ce qui est rigolo, c’est de faire du repérage dans les bars qui potentiellement t’intéressent, tu fais comme si t’étais un client lambda, tu bois des coups – j’ai découvert plein d’endroits trop bien dans Paris comme ça ! C’est agréable à faire, mais c’est cher, le repérage !

Là, je touche du bois, mais normalement j’ai trouvé un lieu et un emplacement qui me plaisent, dans mes prix – je me suis dit : « Pas au-delà de 300.000 € ». Je ne peux pas te garantir que ça va marcher parce que là, je viens de déposer ma première offre, en face, ils ont un délai d’une semaine avant de me répondre et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on tombe d’accord – ou pas. Ça prend environ deux mois/deux mois et demi avant de signer quand tu trouves ce que tu veux.

Et une fois que c’est signé, que la banque a tout validé, il te reste encore un truc avant d’ouvrir le bar : on doit suivre une formation de 3 jours, à nos frais, pour connaître toute la réglementation (cette formation est obligatoire pour obtenir un permis d’exploitation, ndlr).

J’ai eu pas mal de phases de dépression comme j’avais jamais eu, et je sais déjà que les deux premières années vont être difficiles

Bar rock Ce que je cherche, moi ? Un bar rock. Je ne voulais pas faire le comptoir du matin, celui qui mixe les gens bourrés de leur soirée et les vieux qui sont au café calva. J’ai pas la patience. Bon, y’a aussi des cas soc’ le soir, tu me diras. C’est sûr que pour faire ce job, faut un minimum d’empathie, sinon ça sert à rien de se lancer.

Je cherche aussi un bar à proximité d’autres cafés. Et puis je fais super gaffe de ne pas chercher dans les rues, les quartiers où les habitants sont hyper organisés contre les nuisances sonores. Enfin, je sais pas si ça va te parler, mais je cherche une licence 4, ça veut dire que c’est un bar où je peux vendre de l’alcool, mais pas de bouffe – sauf des tapas et des planches à charcuterie.

Après, reste à savoir si j’ai les qualités pour ouvrir un bar. Parfois, je me pose la question. Est-ce que je ne suis pas trop vieux pour toutes ces conneries ? Même au niveau alcool, même si tu fais gaffe, tu peux vite bibiner dur quand t’es derrière le comptoir… Mais je pense que le plus important, c’est d’aimer recevoir, aimer faire la fête, faut du mental et ne pas avoir peur de sacrifier ses week-end. Mais je le répète, faut aussi du mental. Moi, là, en deux ans, j’ai eu pas mal de phases de dépression comme j’avais jamais eu, et je sais déjà que les deux premières années vont être difficiles. Le temps de faire sa clientèle.

Après, si ça marche bien, tu peux vite te faire pas mal d’argent – notamment parce que, de notoriété commune, les barmen font aussi pas mal de black. On m’a conseillé de déclarer minimum 60% de mes revenus, sinon le fisc t’aime pas trop, j’ai trouvé ça drôle comme remarque. Après, si ça marche bien, pourquoi pas un deuxième dans la foulée ? Moi, je me vois bien finir à 50 ans en tenant un hôtel près d’une place espagnole ou brésilienne.

bqhidden. Est-ce que je ne suis pas trop vieux pour toutes ces conneries ?