« J'ai écrit une lettre à Nicolas Sarkozy »

Adeline a six ans d’études derrière elle, la maîtrise du chinois, des expériences à l’étranger, un goût pour la recherche. Mais depuis qu’elle est entrée sur le marché du travail, il y a un an et demi, elle n’a travaillé qu’un petit mois. Rien que de le raconter, Adeline a les yeux qui s’embuent. Elle plonge son regard dans son coca light, a du mal à masquer ses colères et ses déceptions, a tout à coup envie de crier son dégoût de sa situation et de la société en général. Sixième de notre série, Adeline a accepté, lors d’un après-midi pluvieux, de raconter son quotidien à StreetPress.

ASV (Age, sexe, ville, remember Caramail) 28 ans, femme, Bagnolet (93). Mon parcours scolaire est assez linéaire : j’ai une licence d’anglais, six mois d’expérience en Chine, une autre licence 3 en relations internationales et un master sur le même thème en alternance (au ministère de la défense). J’ai pas mal travaillé sur les relations sino-africaines, c’est passionnant.

J’ai eu mon diplôme en 2010 et depuis… depuis, ça s’est gâté : j’ai seulement décroché un CDD d’un mois, je devais faire une étude pour France expertise international. C’est simple, j’ai eu 3 entretiens en 1 an pour exactement 156 candidatures (je tiens un tableau Excel pour ne pas m’y perdre). Le ratio qui donne envie…

Ton activité la plus récurrente ? Regarder mon portable en espérant très fort que quelqu’un m’appelle ! Bon, ça n’arrive pas très souvent… Je me souviens m’être demandé si ce n’était pas mon portable qui avait un souci. Je me disais, c’est pas possible il y a bien quelqu’un qui a dû m’appeler !

Sinon, généralement, je me lève vers 9h30/10h – avant, je me levais plus tôt, au cas où justement quelqu’un m’appellerait, mais j’ai un peu lâché l’affaire, je check les annonces le matin, j’y réponds et l’aprem’, ça dépend : soit je bosse mon chinois pour ne pas trop perdre mon niveau, soit je travaille bénévolement pour une asso en lien avec Madagascar, l’Inde et le Sri Lanka, soit j’aide une dame qui parle mal le français.

Le reste du temps, je bosse des concours, celui du ministère des affaires étrangères et celui du Sénat… j’attends les réponses ! Je croise les doigts !

[La carte des Street chomeurs]

Pour résumer, je crois être plus forte aujourd’hui et, en même temps, je suis dégoûtée

A quoi t’as renoncé ? À la viande ! Au shopping, au ciné, aux vacances, aux restos… Quand je le dis comme ça, je me rends compte que la liste est longue… Sympa, hein ?

Mais comment faire ? J’ai droit aux Assedic jusqu’à la fin de l’année, mais 800 €, ça suffit pas pour vivre. Surtout que j’ai un prêt étudiant sur le dos et 300 € à rembourser chaque mois. Ajoute le prix de l’appart et les factures obligatoires, il me reste une centaine d’euros. Heureusement que mes parents sont là. Mais c’est pas une vie : j’ai 28 ans, j’ai envie d’être autonome financièrement, de rendre la pareille à mes parents, qu’ils soient fiers de moi.

Ah, j’allais oublier : j’ai aussi renoncé à ma vie sentimentale parce que si j’ai un job, même si c’est au bout du monde, je dis oui tout de suite alors je ne veux pas trop m’attacher. Je ne demande que ça, travailler. Je ne demande que ça.

Ton petit plaisir grâce au chômage ? Euh… Plus de grasses mat‘ ? Moins de comptes à rendre ? Je vois que ça !

Le job le plus débile proposé par Pôle Emploi ? Aucun. Moins je vois ma conseillère, mieux je me porte : quand j’ai un entretien, elle passe les trois quarts du temps à me raconter sa vie. Et elle en oublie la mienne : la dernière fois, elle devait m’inscrire à une formation sur le commerce, et elle a zappé, du coup je n’ai pas pu être inscrite…

Je suis aussi suivi par l’Apec (l’agence des cadres qui cherchent un travail) et par « Nos quartiers ont du talent », avec le succès que tu peux constater ! Mais, en réalité, le plus fou, c’est que ce n’est pas rentable pour moi de bosser sur des missions d’une semaine ou de quelques jours parce que ça me réduit plus mes allocs que ça ne me fait gagner de l’argent. Je trouve ce système incroyable.