Le 6 juillet 2019, des militants d’extrême droite attaquent violemment le Hopopop, un bar nantais. Ils frappent sans discernement des clients à coups de matraque sur le crâne, gaz lacrymogène et gants coqués. Ils comparaissent ce 18 décembre 2024.
« D’un coup, il y a eu un gros mouvement de foule, ça faisait penser à un attentat. Dans mon souvenir, des coups sont partis direct. C’était très flippant, on s’attend pas du tout à vivre un truc pareil sur cette place. » Le 6 juillet 2019, Max, un Nantais de 32 ans, descend une pinte avec un ami en terrasse du bar le Hopopop, cours Franklin Roosevelt à Nantes (44). Vers 0h30, un vent de panique souffle sur la terrasse, qui accueille ce soir-là une bonne cinquantaine de personnes. Vêtus de vêtements sombres et gantés, le visage dissimulé, deux portant un casque intégral, munis de matraques, de battes de baseball et de bombes lacrymogènes, douze hommes surgissent et scandent :
« Breizh Firm Hooligans ! Ils sont où les antifas ? »
Cinq ans plus tard, neuf prévenus sont désormais attendus au tribunal bordant la Loire pour le procès qui s’ouvre ce mercredi 18 décembre, afin de répondre de l’attaque. À l’époque, un client assis devant l’entrée a le crâne ouvert par une matraque. Quatre membres du commando pénètrent à l’intérieur du bar. Ils jettent des tabourets derrière le comptoir, gazent, et frappent le gérant du bar, qui les repousse avec un balai. Son frère, présent ce soir-là, prend des coups en repoussant les intrus. Dehors, un homme assis sur la pelouse en face du bar subit aussi des violences.
Avant de repartir, l’un d’eux fait exploser une cartouche de gaz lacrymogène dans le bar et un autre donne un coup de matraque sur le nez d’un client. Le groupe s’éparpille ensuite en direction du château des ducs de Bretagne. L’un des plus jeunes est coursé et rattrapé par les employés d’un kebab. Vincent, un noctambule de 33 ans qui descend la rue de Strasbourg, intervient. « Sous la cagoule je découvre un gamin terrorisé qui va se faire démonter par des mecs en tablier », rembobine-t-il auprès de StreetPress. Cette nuit-là, Vincent engueule le fuyard et le laisse repartir, délesté de ses gants coqués. « Il était perdu », poursuit-il :
« On voyait que les mecs n’avaient pas préparé la sortie, ils se sont dispersés de façon pathétique. »
Ça bave au commissariat
Le soir-même, six participants sont interpellés et un septième se présente de lui-même au commissariat. Parmi les six figurent Bryan Guitton, 24 ans. En garde à vue, ce fils d’un ex des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR, des skinheads néonazis) passe à table. L’expédition serait une vengeance à une précédente bagarre, une semaine plus tôt, au Hopopop. Rixe au cours de laquelle un serveur a été gravement blessé à un pouce en recevant une chaise lancée, selon lui, par Bryan Guitton. Coursé, le militant d’extrême droite avait dû trouver refuge auprès des videurs de la discothèque Le Colors. La veille de l’attaque, après des échanges sur Signal les jours précédents, il avait retrouvé en banlieue nantaise les autres membres de l’expédition, réunis dans le groupe Breizh Firm, qu’il a fondé en janvier 2019.
Bryan Guitton livre aux policiers les prénoms de ses onze camarades, dont Karel Cherel, un serveur de 24 ans. Lui aussi se montre bavard en audition. Il justifie sa participation par une dette envers un ancien membre du GUD, qui l’a hébergé à Lyon. Sa déposition, où il exprime sa peur, se termine par ces mots :
« Ça fait trois ans que j’essaie de couper les ponts. Il faut que vous sachiez que ce que vous avez là c’est une simple partie de l’iceberg et que ce ne sont pas que des branleurs. »
Deux mois plus tard, il écrit à un ami : « Le plus dur, c’est de savoir avoir été trahi par l’un des nôtres, il y a un ver dans la pomme. »
Le militaire, le mercenaire et le candidat RN
Déférés à l’issue de leur garde à vue, Bryan Guitton et Karel Cherel sont placés en détention provisoire, comme Corentin A. Les policiers attribuent à ce militaire de 24 ans un rôle de « leader opérationnel ». Lui reconnaît uniquement le port d’une matraque et d’une bombe lacrymogène. Son casier judiciaire est vierge, à l’inverse de celui de Karel Cherel, condamné à trois reprises notamment pour transport et détention d’armes de catégorie B et C. Le casier de Bryan Guitton compte, lui, six mentions, dont des affaires de violences et dégradations. Ils ont tous été libérés début mars 2020.
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La présence de Karel Cherel à l’audience devant la sixième chambre est néanmoins très incertaine. Son avocat, Jean-Yves Rouxel, est « sans nouvelles ». Et pour cause, le néonazi est parti combattre en Ukraine dans l’armée locale depuis au moins avril 2022. Un choix pour le moins cocasse pour un homme qui avait sur un de ses comptes Facebook un drapeau de la Nouvelle Russie, courant qui rassemble des nationalistes nostalgiques de… l’empire russe.
Sur les autres membres du commando, le cas de Lazar A., 17 ans en juillet 2019, relève du tribunal pour enfants. Jan F., 18 ans à l’époque, s’est lui donné la mort en juillet 2024. Lors de la perquisition chez ses parents avaient été retrouvés plusieurs armes, dont un fusil à pompe, ainsi qu’un livre qui reprenait la doctrine raciale des SS et leurs « directives pour la sélection d’une compagne ».
Parmi les autres hommes poursuivis, quatre étaient sans profession ni antécédents judiciaires au stade de l’ordonnance de renvoi – Guillaume M., 25 ans, Aubin D., 27 ans, Lewis S., 24 ans et Dylan M., 24 ans. Kevin P., un employé de 32 ans, a cinq condamnations au casier, dont des faits de violences aggravées et dégradations. Le plus âgé, Brice B., 43 ans, est intérimaire. Outre les violences en réunion, le transport d’armes et les dégradations, le tribunal a retenu contre chacun la participation à une association de malfaiteurs. Zinedine C., un auto-entrepreneur de 24 ans se revendiquant de l’Action française, et qui apparaissait sur la liste du RN à Clermont-Ferrand aux municipales de 2020, sera aussi jugé pour sa participation aux violences le week-end précédent l’attaque, aux côtés de Bryan Guitton.
Aurélien Collin, gérant du Hopopop, glisse :
« Je suis curieux de voir le profil de certains pour savoir ce qu’ils ont pu faire depuis et pourquoi pas les confronter. »
Deux femmes et cinq hommes seront à ses côtés sur le banc des parties civiles. Le procès, qui se tient sur deux jours, s’ouvre quinze mois pile après celui en appel de l’agression de deux jeunes Nantais, à l’arrêt de tram Du Chaffault, par quatre militants d’extrême droite. Là aussi, un des prévenus était mort en cours d’instruction.
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