En décembre 2021, des militants d’extrême droite lynchent des membres de SOS Racisme au meeting d’Eric Zemmour à Villepinte. Trois ans après, seuls deux violents Zouaves Paris sont au tribunal. L’un a même été identifié sur un énorme hasard.
Noyé sous une marée de drapeaux français en plastique, le Parc des expositions de Villepinte (93) bruisse d’excitation lorsqu’Eric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle, monte sur scène pour son meeting ce 5 décembre 2021. Quelques minutes après le début du discours du candidat, une douzaine de militants de SOS Racisme se lèvent au fond de la salle et grimpent sur leurs chaises, révélant des t-shirts ornés de lettres qui forment le slogan qu’ils se mettent à scander : « Non au racisme. » Immédiatement, des chaises volent et des coups pleuvent, assénés par des militants d’extrême droite.
Marc de Cacqueray-Valmenier, leader du groupuscule néonazi Zouaves Paris, est immédiatement reconnu parmi les cogneurs. Les images font le tour de la presse et mènent à la dissolution par le gouvernement de la bande violente. À la sortie, le service d’ordre d’Eric Zemmour est filmé en train de remercier les militants d’extrême droite qui ont fait le coup de poing : « Sans vous ça aurait été compliqué », « Vous avez fait le job ».
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Trois ans plus tard, au terme d’une procédure assez maigre, ce sont seulement deux des Zouaves Paris qui seront jugés ce 6 décembre pour violences volontaires aggravées : le chef Marc de Cacqueray-Valmenier et Gwendal Cohin-Pourajaud, un autre membre du groupe. Pourtant, plusieurs autres ont été identifiés dans des articles dès le lendemain du meeting. StreetPress récapitule l’affaire.
Marc de Cacqueray-Valmenier et Gwendal Cohin-Pourajaud en garde à vue. / Crédits : DR
Un dossier relativement vide
Après les violences, les militants de SOS Racisme ont porté plainte pour violences volontaires aggravées. La majorité d’entre eux a bénéficié de cinq à sept jours d’ITT. Durant leurs auditions par la police, ils rapportent des coups venant de toutes parts, des insultes, des menaces… « J’ai franchement eu peur de mourir », déclare une des militantes. « J’avais déjà participé à ce type d’événement […] je n’ai jamais connu une telle violence. » Emmenée dans une pièce fermée en compagnie de deux de ses camarades, la jeune femme se rappelle en avoir vu un « inconsient au sol, allongé. Il avait des traces de coups. Il était violet au niveau de son crâne. Il avait des hématomes au niveau du bras et du dos ». Un autre, qui était sur la chaise juste à sa droite était « complètement sonné. Il lui manquait une chaussure et ses lunettes ». Il avait été « frappé très violemment » :
« Il s’est fait traîner au sol et lynché par plusieurs individus alors qu’il était au sol. »
Pourtant, malgré la sévérité des coups portés et le nombre important de vidéos du passage à tabac postées sur les réseaux sociaux, le dossier d’instruction, que StreetPress a pu consulter, est relativement vide. « On a un peu l’impression que l’enquête a été bâclée », soupire Dominique Sopo, le président de SOS Racisme. « On avait par exemple demandé à ce que soient interrogés les journalistes présents, ça n’a pas été fait. »
Gwendal Cohin-Pourajaud, connu sous le pseudonyme de Tidom, a poursuivi son militantisme au sein du GUD après la dissolution des Zouaves. / Crédits : DR
Différents articles de presse, dont une enquête de StreetPress versée au dossier d’instruction, ont bien identifié lors du pugilat le leader des Zouaves Paris Marc de Cacqueray-Valmenier comme l’un des auteurs des coups. Mais d’autres figures connues de groupuscules d’extrême droite violents ont également été repérées : Politis a par exemple identifié les cadres parisiens de Génération identitaire (GI) Edouard Michaud et Antoine Oziol de Pignol dans la bande violente. Les Décodeurs du Monde ont eux retracé le meeting et ont notamment retrouvé les Zouaves Paris proches de l’agression des journalistes de l’émission Quotidien.
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À part les victimes et les deux prévenus – Marc de Cacqueray-Valmenier et Gwendal Cohin-Pourajaud –, une seule personne a été entendue par les enquêteurs, Cassandre Fristot, militante condamnée à de la prison avec sursis pour une pancarte antisémite. Cette ancienne du FN a été convoquée en raison d’un courrier laudateur envoyé au leader des Zouaves quand il était en détention à la prison de la Santé de janvier à mars 2022, non pas pour ses multiples violences mais pour avoir rompu son contrôle judiciaire en allant brûler un drapeau européen à une manif anti-pass sanitaire. Une audition où lui ont été posées quelques questions sur l’affaire de Villepinte… dont elle ne savait rien, n’étant pas présente au meeting et n’ayant jamais rencontré le multi-condamné. Un hors-sujet qui laisse les victimes du dossier déconcertées.
Des militants pas inquiétés
Certains militants ont pourtant été clairement identifiés dans les rapports d’enquêtes. Bastien Merger, cadre des Zouaves et impliqué entre autres dans l’attaque du bar antifasciste le Saint-Sauveur en 2020, est par exemple cité mais n’a jamais été auditionné dans cette affaire. Il a été filmé sortant du RER en compagnie de Marc de Cacqueray-Valmenier. Une contradiction avec ses propres déclarations, lui qui soutenait mordicus n’avoir effectué ni le trajet jusqu’au Parc des expositions ni assisté au meeting en compagnie de son chef.
D’autres militants d’extrême droite ont également été identifiés par les forces de l’ordre au meeting. Dans un procès-verbal d’ambiance, des agents relatent l’arrivée successive de plusieurs groupes cagoulés autour du Parc des expositions : « 100 individus ayant un profil à risque » à 12h07, « vêtus de noir, visages recouverts, certains étant casqués. Il s’agit d’un groupe de l’Action française ». Celui-ci n’a pas été inquiété et a vendu son journal à la criée. À 18h11, après l’agression des militants de SOS Racisme, les forces de l’ordre sont avisées de « la présence de 50 militants du groupuscule Zouaves ». Dix minutes plus tard, l’organisation indique vouloir « évincer » ces militants « malgré leur sympathie pour le candidat ». À 18h38, ceux-ci quittent la salle, « sans intervention du service de sécurité d’ordre ou des forces de police ». Aucune interpellation n’a eu lieu sur le moment alors que les Zouaves prennent la pose devant l’entrée du Parc des expositions. Par contre, les forces de l’ordre ont interpellé 67 militants antifascistes et dressé 104 verbalisations de contre-manifestants.
Les Zouaves posent devant le Parc des expositions. / Crédits : DR
La deuxième interpellation grâce à un heureux hasard
Quant à l’interpellation et les poursuites du deuxième prévenu, Gwendal Cohin-Pourajaud, celles-ci ne sont pas tant dues au travail d’identification des enquêteurs qu’à un coup de malchance… Parmi les militants de SOS Racisme à qui il a porté des coups et jeté des chaises se trouvent deux frères jumeaux, mineurs au moment des faits et originaires de la même ville de grande banlieue que lui. L’un d’entre eux s’est même déjà rendu chez lui lorsqu’ils étaient enfants. Gwendal Cohin-Pourajaud, âgé de 18 ans en décembre 2021, aurait notamment asséné des coups de matraque téléscopique aux deux frères.
Au cours de la perquisition au domicile de Gwendal Cohin-Pourajaud, les policiers ont découvert une chambre d’ado recouverte d’affiches du Front national et des pétainistes des Nationalistes. / Crédits : DR
Dans la chambre de Gwendal Cohin-Pourajaud, les murs étaient également recouverts d'un « drapeau de la deuxième division SS Das Reich », selon les enquêteurs, d'un drapeau français orné d’une croix celtique, d'un drapeau de GI et d'un drapeau confédéré. / Crédits : DR
Lors de son audition, Marc de Cacqueray-Valmenier a soutenu l’avoir rencontré lors de sa garde à vue. Gwendal Cohin-Pourajaud est pourtant bien un militant des Zouaves Paris, connu sous le pseudonyme de Tidom, qui a poursuivi son militantisme au sein du groupe union-défense (GUD) après la dissolution du groupe en 2022. Au cours de la perquisition à son domicile, les policiers ont découvert une chambre d’ado recouverte d’affiches du Front national et des pétainistes des Nationalistes. Aux murs étaient également accrochés un « drapeau de la deuxième division SS Das Reich », selon les enquêteurs – mais qui est plutôt, selon nos observations, un drapeau utilisé par certains groupes d’extrême droite ukrainiens –, un drapeau français orné d’une croix celtique, un drapeau de GI et un drapeau confédéré. Dans ses tiroirs, quelques répliques d’airsoft et un glaive d’environ 50 centimètres. Sa tête de lit et son ordinateur portable sont couverts de stickers de divers groupuscules allant du GUD à la Cocarde étudiante, en passant par les Nationalistes, Auctorum, GI, Luminis, l’Alvarium, ou encore le Kop of Boulogne… Des « cadeaux », selon l’intéressé.
Sur ses réseaux sociaux personnels auxquels StreetPress a eu accès, des photos le montrent faire des saluts nazis ou poser avec un Active club de Normandie – un fight club néonazi. Logique après tout, il s’était déjà bien fait la main sur les militants de SOS Racisme.
Contactés, Marc de Cacqueray-Valmenier et Gwendal Cohin-Pourajaud n’ont pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
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