Naïma, Mia, Dounia et Sofia ont eu le courage de fuir un foyer violent, avant d’être confrontées à la précarité et à la rue dans la région lilloise.
Lille (59) – Mia est en sueur en plein centre-ville. Ce mois de juillet 2022 est un cauchemar. La chaleur est écrasante. Ses deux petites filles lui tiennent chacune une main : la plus grande a neuf ans, l’autre sept. Ont-elles compris ce qu’il se jouait ? Quels souvenirs garderont-elles de leur père ? Encore aujourd’hui, la mère de 44 ans en a la gorge serrée, les yeux mouillés. Elle l’a fui après de longues années de violences physiques et psychologiques cet été-là, sans savoir où se réfugier. Où dormir ? Au téléphone, les gens qui avaient accepté de les héberger leur demandent de venir récupérer le peu d’affaires qui leur reste. Le monde de Mia s’écroule. Les pires questions se bousculent dans sa tête : Pouvait-elle vraiment se permettre de partir ? Elle n’a plus de travail, de maigres économies. Mais son quotidien n’était plus supportable et sa survie était en jeu. Nouvel appel : son assistante sociale l’aiguille vers une association spécialisée dans l’accompagnement des femmes victimes de violences. Là voilà à traverser la capitale des Hauts-de-France à bout de souffle, bravache devant ses enfants, mais pleine d’angoisses et si fragilisée.
Même scénario pour Dounia, 28 ans, à l’été 2023. « J’ai tout quitté : mon appartement en région parisienne, ma promesse d’embauche… » Après son dépôt de plainte pour violences conjugales, une travailleuse sociale lui a assuré qu’elle pourrait retrouver un peu de stabilité ici. Mais la longueur des listes d’attente pour un hébergement d’urgence est aussi dramatique qu’à Paris (75). Selon les chiffres publiés par la Métropole Européenne de Lille (MEL), en moyenne 225.000 femmes entre 18 et 75 ans sont victimes au cours d’une année de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel partenaire intime dans la région. Alors les associations sont débordées et ne peuvent pas répondre immédiatement aux besoins de toutes. Dounia est enceinte de huit mois. Elle tombe des nues. Après quelques nuits à l’hôtel, la future maman se retrouve dehors à errer dans les rues à seulement quelques semaines de son accouchement.
Mia, Dounia, mais aussi Naïma et Sofia ont eu le courage de fuir un foyer violent, avant d’être confrontées à la précarité et ses galères dans la région lilloise. StreetPress a choisi de raconter les parcours de quatre femmes issues de quartiers populaires et pour certaines immigrées. Pour des raisons de sécurité, leurs prénoms ont été modifiés et leur anonymat minutieusement respecté.
À l’été 2023, Dounia a quitté son appartement. Après son dépôt de plainte pour violences conjugales, une travailleuse sociale lui a assuré qu’elle pourrait retrouver un peu de stabilité ici. Mais la taille des listes d’attente pour un hébergement d’urgence est longue, très longue. / Crédits : Léa Guiraud
La rue ou le bourreau
Dounia a 20 ans lorsqu’elle quitte le continent africain à la faveur d’un regroupement familial. Mariée, battue, « j’ai fini par fuir mon ex-mari », conclut-elle les dents serrées. La désormais trentenaire fait partie de celles qui essuient leurs larmes avant même qu’elles ne coulent. Après plusieurs longues semaines à la rue, son errance s’est arrêtée aux portes de l’église évangéliste de la réconciliation, qui possède un centre d’accueil rudimentaire et éponyme. Il permet aux femmes enceintes ou avec enfants d’avoir un toit sur la tête pendant trente jours consécutifs. « On doit attendre 21h pour pouvoir entrer, été comme hiver. Et à 9h du matin, il faut être parti. » Des matelas sont posés à même le sol, il fait une chaleur presque suffocante. Elles sont cinq avec leurs enfants dans une petite pièce en mezzanine, où la douche fonctionne une fois sur deux. « C’est fatigant et on n’a aucune intimité. » Dounia a depuis réussi à regagner la région parisienne et a trouvé un peu de stabilité : son petit garçon est né, elle s’en occupe dans un logement à eux, loin de la brutalité. Mais ces mois à la rue et enceinte jusqu’au cou l’ont profondément marquée.
Un an. Naïma, 43 ans, a pris son mal en patience avant d’avoir accès à une aide et un logement. Elle n’est pas passée par le statut de sans domicile fixe. Elle a enduré l’attente à l’appartement familial, au côté du conjoint qu’elle souhaitait fuir. « Il disait qu’il connaissait du monde dans la police, qu’il avait déposé des plaintes contre moi », se souvient celle dont le calvaire commence quelques mois après son arrivée en France, au printemps 2022. La Maghrébine épouse un Français qui contrôle toute sa vie : insultes, dénigrement, droit de veto sur ses fréquentations, son apparence, il ne veut pas qu’elle travaille ou qu’elle apprenne le français. Naïma n’a qu’un permis de séjour et très peu de connaissances légales. Lui la persuade qu’elle risque la prison si elle demande le divorce :
« Il m’a frappée en janvier 2023. Je suis allée à l’hôpital, le médecin a vu les bleus et a fait un signalement. Mais je n’ai pas porté plainte. »
Les violences les plus connues restent les violences physiques et sexuelles, mais elles ne sont pas les seules que vivent les femmes victimes de violences conjugales. Elles connaissent aussi des violences verbales (insultes, intimidations, menaces), économiques, leur ex ou actuel conjoint les empêche de travailler, leur prend leur portefeuille, leur carte bancaire… Des violences administratives : elles sont privées de leurs documents d’identité, médicaux, ou empêchées de s’en procurer, parfois également victimes de cyberharcèlement. Dans tous les cas, elles sont victimes de violences psychologiques (propos méprisants, humiliants, dénigrement, isolement), cette forme de violence peut conduire à des addictions, mais aussi au suicide de la victime.
Si vous êtes victime de violences vous pouvez contacter le 3919 (Violences femmes info – anonyme et et gratuit). Vous pouvez également trouver sur cette plateforme les associations près de chez vous.
Vous pouvez également signaler directement en ligne une violence conjugale, sexuelle ou sexiste en cliquant ici
En cas d’urgence appelez le 17 (police et gendarmerie), le 15 pour les urgences médicales ou le 18 pour les pompiers.