Tags racistes, jets de projectiles, insultes et menaces de mort… À Calais, les intimidations et violences xénophobes sont régulières, mais leur nombre a augmenté significativement en marge des échéances électorales.
Lundi 17 juin, il est 17h passées, un groupe d’une dizaine d’exilés est assis tranquillement sur le trottoir qui fait face aux locaux du Secours Catholique, Quai de Moscou, à Calais (62). C’est la fin de l’accueil de jour, le groupe s’apprête à repartir vers leur campement, précaire abri insalubre dans la périphérie de la ville. Une voiture arrive alors à toute vitesse, ralentit à hauteur de l’association et arrose les exilés d’eau. Le véhicule repasse une deuxième fois, raconte Rasta, un militant solidaire engagé depuis plusieurs années : « Ils ont jeté des pierres sur les gars, en criant des insultes du type “bougnoules”, “nègres” », indique l’homme aux dreadlocks. Alertés, des associatifs et d’autres réfugiés sortent de l’accueil de jour pour comprendre ce qu’il se passe. « Les occupants de la voiture comptaient revenir une troisième fois, précise Rasta, mais en nous voyant, ils ont renoncé à ralentir ». Le véhicule passe une nouvelle fois devant les locaux, à grande vitesse et fenêtres ouvertes, les passagers continuant de hurler des injures xénophobes, puis disparaissent au bout de la rue. Dans une colère froide, Rasta lâche :
« C’était du racisme pur et dur. »
De nombreuses intimidations et violences
« Ce genre d’actes, c’est nouveau ces derniers temps », note Rasta, « convaincu que ce n’est pas un acte isolé ». Le militant ne se trompe pas, les intimidations et violences visant les personnes exilées se sont multipliées ces dernières semaines à Calais et dans la région, à l’approche de l’élection européenne et encore plus depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le 8 juin, Ali (1), Soudanais d’une vingtaine d’années, cheveux bouclés et écouteurs autour du cou, raconte avoir été pris pour cible alors qu’il se baladait sur le front de mer, au niveau de l’avenue Raymond Poincaré, à Calais. « Une voiture, avec deux hommes et une femme à l’intérieur, est arrivée à ma hauteur », détaille le jeune exilé. Il poursuit :
« Ils ont baissé les vitres et m’ont visé avec des ballons remplis avec je ne sais pas quelle substance. »
Ali réussit à esquiver les projectiles puis tente, sans succès, de poursuivre le véhicule qui accélère et s’éloigne très rapidement.
Le lieu est également dans le viseur de la maire de Calais, Natacha Bouchart (LR), mais aussi de Marc de Fleurian, président du RN au conseil municipal, et qui a récolté 49,33% aux élections législatives anticipées. / Crédits : Maël Galisson
« Je ne suis pas le seul, d’autres exilés ont été victimes d’agression de ce genre », soupire Ali, désabusé. C’est le cas pour Fayçal (1), Égyptien de 20 ans, qui dit avoir subi le même type d’attaque, mardi 25 juin, alors qu’il jouait au football avec d’autres personnes sur le front de mer. « Ils étaient quatre personnes, dans une Volkswagen noire, ils sont passés plusieurs fois », ajoute le jeune exilé. Fayçal n’est même pas surpris, il explique qu’un mois plus tôt, plusieurs jeunes hommes sont venus lancer des pétards sur les tentes de la « Jungle » où il survit, située à proximité de la rue de Judée, avant de détaler également dans un véhicule noir.
Autre exemple récent d’acte visant délibérément les exilés : vendredi 14 juin, à Loon-Plage, près de Dunkerque, le contenu d’une citerne, un des rares points d’accès à l’eau pour les personnes vivant dans les campements, a été pollué par un liquide chimique bleu. « À priori, personne n’a été intoxiqué », indique Célestin Pichaud, coordinateur d’Utopia 56 à Grande-Synthe, qui précise qu’une « plainte a été déposée et qu’un prélèvement issu de la citerne a été transmis à la gendarmerie ». L’associatif n’a pas de nouvelles de l’enquête et craint que d’autres actes de malveillance similaires ne surviennent à l’avenir.
Près de Dunkerque, un liquide chimique a été mélangé à l’eau destinée aux centaines de personnes sans-abri. Cette eau, fournie quotidiennement par une organisation citoyenne, est utilisée pour boire, cuisiner et se laver.
— Utopia 56 (@Utopia_56) June 18, 2024
Une plainte va être déposée. pic.twitter.com/cdgnf7jlNu
« Partez ou brûlez »
Les habitants du squat situé rue Frédéric Sauvage, à Calais, ont également été ciblés dans les jours qui ont suivi l’annonce de la dissolution. Dans la nuit du 11 au 12 juin 2024, les inscriptions : « À bas la tyrannie migratoire ! Pour mon terroir », « Fin de l’hypocrisie gauchiste ! Pour la France anticonformiste » et « Leave or burn » – « Partez ou brûlez » en français – ont été taguées sur un mur de l’enceinte, à l’arrière du squat. Un robinet, installé à proximité des murs tagués et permettant aux exilés du squat et des environs d’avoir accès à l’eau, a également été mis hors d’usage. « Le plus choquant, c’est la menace “Leave or burn” qui s’adresse directement aux personnes qui viennent se servir en eau », déplore Camille (1), un des habitants du lieu.
Les habitants du squat situé rue Frédéric Sauvage, à Calais, ont également été ciblés dans les jours qui ont suivi l’annonce de la dissolution. Dans la nuit du 11 au 12 juin 2024, les inscriptions : « À bas la tyrannie migratoire ! Pour mon terroir », « Fin de l’hypocrisie gauchiste ! Pour la France anticonformiste », et « Leave or burn » – « Partez ou brûlez » en français – ont été taguées sur un mur de l’enceinte, à l’arrière du squat. / Crédits : Maël Galisson
De nouvelles inscriptions sont apparues dans la nuit du 12 au 13 juin. Le slogan « La France aux Français », et le nom du président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, accompagné d’un cœur ont été écrits au marqueur sur le portail d’entrée du squat. « Du mastic a également été mis sur le cadenas de notre porte d’entrée pendant la nuit », précise Camille. Cette série de tags survient alors que, le 11 juin dernier, un groupe de riverains, hostiles à l’existence du squat, a pénétré de manière illégale dans le lieu et y ont commis des dégradations. « Des vitres ont été cassées, le point d’eau du garage a été abîmé et du liquide vaisselle a été aspergé sur le sol », détaille Camille.
Depuis son ouverture en février 2022 par le collectif Calais logement pour toustes, le squat situé rue Frédéric Sauvage est contesté par des riverains du quartier. Le lieu est également dans le viseur de la maire de Calais, Natacha Bouchart (LR), mais également de Marc de Fleurian, président du groupe Rassemblement national (RN) au conseil municipal et qui a récolté 49,33% aux élections législatives anticipées. L’élu d’extrême droite s’est déplacé à plusieurs reprises devant le squat et a multiplié les interpellations publiques sur le sujet, se posant en défenseur des riverains. Dans le cadre de la campagne, Marc de Fleurian défend par ailleurs le rétablissement du délit de séjour irrégulier et réclame « la tolérance zéro envers les militants No Border d’extrême gauche complices des passeurs » accusés de « pourrir le quotidien des habitants du territoire ». Des mesures qui viendraient d’office empirer le quotidien des exilés bloqués à la frontière, déjà marqué par le harcèlement policier, les expulsions de campements régulières et des conditions de vie détestables. « Pour les habitants du squat, à court terme, c’est clair que ça serait important que le RN ne gagne pas ces élections législatives, mais ce qui nous inquiète plus, c’est l’extrême droitisation des idées, et ça ne date pas d’hier », constate Camille.
De nouvelles inscriptions sont apparues dans la nuit du 12 au 13 juin. Le slogan « La France aux Français » et le nom du président du RN, Jordan Bardella, accompagné d’un cœur ont été écrits au marqueur sur le portail d’entrée du squat. / Crédits : Maël Galisson
« La libération du discours raciste a pour conséquence la multiplication des violences contre les exilés », analyse Axel Gaudinat, coordinateur d’Utopia 56 à Calais, en faisant la liste des menaces et actes anti-migrants qu’il a observés ces dernières semaines à la frontière. « C’est inquiétant, le fascisme cherche à entraver, voire détruire, toute expression de solidarité », constate l’associatif qui ajoute :
« On craint que des choses pires ne se passent dans les semaines à venir, tant pour les personnes exilées que pour leurs soutiens. »
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