Astoria Sécurité, entreprise d’Axel Loustau, militant néofasciste et ami de Marine Le Pen bénéficie de juteux contrats avec la RATP et la Cité des sciences, encaissant plus de 25 millions d’euros d’argent public.
Porte de la Villette, Paris 19e – Un mardi matin à la Cité des Sciences et de l’Industrie, on ne croise guère que des groupes scolaires agités et des agents de sécurité. Des fouilles à l’entrée au contrôle des billets, jusqu’au cœur des expositions, impossible d’échapper à ses hommes et femmes en costume au revers brodé d’un triangle rouge vert et bleu, le logo d’Astoria Sécurité. L’entreprise est, sous différents noms, depuis plus de dix ans, le principal prestataire sur les sujets de sécurité d’Universcience, le gérant de la Cité des Sciences et du Palais de la Découverte. Une activité des plus lucratives : depuis la signature du premier contrat en 2011, la société a encaissé, selon nos calculs, près de 25 millions d’euros d’argent public.
Sur site, les questions de StreetPress aux agents en cravates rouges dérangent. Et quelques minutes à peine après notre arrivée, la responsable sécurité vient nous éconduire. L’homme derrière Astoria Sécurité, le sulfureux Axel Loustau, n’aime pas qu’on s’intéresse de trop près à ses activités. Il sait que ses clients, la Cité des sciences, mais aussi selon nos informations la RATP, pour ne citer que les acteurs publics, n’apprécieront pas de voir leur nom associé à cet intime de Marine Le Pen, qui depuis près de 30 ans baigne au sein de l’extrême droite antisémite la plus radicale. Sur ces images tournées en 1992, on l’aperçoit alors qu’il demande une dédicace au Waffen-SS Léon Degrelle.
Depuis les années 1990 et ses premiers engagements politiques au sein du Groupe Union Défense (Gud), organisation néofasciste étudiante adepte du coup de poing, Axel Loustau n’a jamais tourné le dos à ses idées les plus virulentes (1). Le 6 mai 2023, il est photographié par Mediapart à Paris en marge du C9M, un défilé néofasciste. Vert de rage contre Yann Castanier, l’auteur du cliché, il l’insulte et le menace. Loustau est aussi un fidèle de Marine Le Pen, qu’il a rencontré sur les bancs d’Assas où tous deux ont fait leur droit. Il a été trésorier de son micro-parti, Jeanne, ce qui lui a valu une mise en examen dans l’affaire des kits de campagne (il a bénéficié d’un non lieu). Et de 2015 à 2021, il est conseiller régional RN, élu dans les Hauts-de-Seine. Mais sa radicalité encombre le parti qui tente de se dédiaboliser et il ne se représente pas. Il ne rompt pas pour autant avec Marine Le Pen. Mais en politique comme en affaires, il tente désormais de cacher sa présence.
Axel Loustau n’a jamais tourné le dos à ses idées les plus virulentes. Le 6 mai 2023, il est photographié par Mediapart à Paris en marge du C9M, un défilé néofasciste. Vert de rage contre Yann Castanier, l’auteur du cliché, il l’insulte et le menace. / Crédits : Yann Castanier
Car Axel Loustau est aussi un entrepreneur prospère. Il a, avec ses amis, construit une galaxie d’entreprises dont les activités ont été régulièrement documentées par nos confrères de Mediapart et du Monde, connue sous le sobriquet de « Gud connection ». Elles évoluent dans des secteurs aussi divers que la communication électorale au service de partis d’extrême droite, l’impression, la formation ou – plus insolite – l’eau minérale. Mais son cœur de métier, celui qui l’a rendu multimillionnaire, c’est la sécurité privée.
Cité des sciences et RATP
Sans surprise, il a dans les années 2010, travaillé pour le FN en lieu et place du Département Protection Sécurité, le service d’ordre interne du parti. Il a aussi assuré la sécurité d’Europe 1 ou du théâtre du Rond-Point, comme l’avait révélé Rue89 en 2015. Mais son mini-empire repose surtout sur un certain nombre de marchés publics, pour lesquels les sociétés de Loustau ont engrangé des dizaines de millions d’euros d’argent public. Rue89 listait à l’époque parmi ses clients publics le centre culturel Le 104, le musée du Quai Branly et la Cité de l’architecture et du patrimoine. S’y ajoutent également selon notre enquête, le cinéma de plein air de la Villette en 2009, la Réunion des musées nationaux en 2010 puis à nouveau en 2017, et la Grande Halle de la Villette en 2011. Et surtout la Cité des sciences et de l’industrie, aux abords du parc de la Villette, en continu depuis 2011.
Ce contrat avec la Cité des sciences, conservé depuis 13 ans par Astoria Sécurité malgré ses changements réguliers de dénomination, représente, depuis le premier accord, près de 25 millions d’euros d’argent public versés à la société du clan Loustau. Dont près de 17 millions d’euros pour sa dernière itération seulement. Conclu en 2020, ce dernier contrat court sur 48 mois. Il expire cette année. Un nouvel appel d’offres doit être publié le 15 février et Astoria Sécurité devrait, selon toute vraisemblance, postuler à sa propre succession.
La Cité des Sciences n’est pas le seul établissement public à faire appel aux services d’Astoria Sécurité. Un lecteur de StreetPress a repéré sur le réseau social professionnel en ligne Linkedin des agents de la société propriété du militant néofasciste, se déclarant en mission au sein de la RATP en charge de la sécurité incendie, que ce soit au siège ou à Châtelet-les-Halles, ou de la gestion du gardiennage des ateliers de maintenance du réseau. Des personnels d’un autre sous-traitant confirment également la présence de ces agents d’Astoria au siège de la RATP.
Questionnée à ce sujet, l’entreprise de transport a d’abord botté en touche, reconnaissant le recours à des sociétés de sécurité privée pour épauler ses agents de sûreté. Après plusieurs relances, le service communication de la RATP finit par confirmer à StreetPress qu’Astoria Sécurité a obtenu, à l’été 2021, un marché public pour des services de sécurité incendie et d’assistance à personne et pour une durée de quatre ans. Si le montant n’a pas été communiqué, un bon connaisseur de ce secteur estime que « ce type de contrat peut très rapidement se chiffrer à plusieurs millions d’euros ».
Loustau est un fidèle de Marine Le Pen, qu’il a rencontré sur les bancs d’Assas où tous deux ont fait leur droit. Il a été trésorier de son micro-parti, Jeanne. Ce tweet, publié en 2021 et archivé par BFMTV, a depuis été supprimé. / Crédits : BFMTV
Des montages complexes
La curiosité de StreetPress semble inquiéter Axel Loustau. Une semaine avant publication, nous le sollicitons pour un entretien, puis nous lui transmettons une série de questions. La réponse viendra concomitamment par mail et lettre recommandée, signés par son acolyte et accessoirement cousin (2), le président d’Astoria Sécurité, Nicolas Chazot. Ce dernier précise n’avoir jamais eu le moindre engagement politique et n’avoir « jamais été mis en cause et donc poursuivi dans aucune affaire judiciaire, pas même un excès de vitesse ». Il ajoute surtout être « le seul et unique propriétaire » de l’entreprise de sécurité. Et précise :
« Quiconque écrirait le contraire serait poursuivi en justice ».
Qu’en est-il vraiment ? StreetPress a, à partir des documents officiels disponibles, décrypté les montages, complexes, d’Axel Loustau et de son clan. Aujourd’hui Axel Loustau n’apparaît plus ni comme dirigeant d’Astoria Sécurité, ni comme actionnaire direct de l’entreprise. L’ensemble du capital de celle-ci est la propriété de Financière des Lices, elle-même propriété de la Financière Wagram. Et 99,89% des parts de Wagram sont possédées par Axel Loustau (3). Il est donc bien le bénéficiaire effectif final d’Astoria Sécurité, ou plutôt était le propriétaire réel, jusqu’à très récemment.
En effet, quelques jours avant la publication de cet article, le président d’Astoria Sécurité, Nicolas Chazot, a fait parvenir à StreetPress un document censé démontrer que l’entreprise de sécurité n’a plus de lien avec Axel Loustau. En effet, le 6 décembre 2023, ce dernier (4) aurait cédé l’entreprise à… son cousin, Nicolas Chazot.
En politique comme en affaires, Axel Loustau tente de cacher sa présence. Pourtant, la bannière de son compte Twitter-X représente son militantisme au FN lors d'une ancienne campagne. / Crédits : Twitter-X
Ce n’est pas la première fois que le clan Loustau tente de brouiller les pistes pour protéger son image. Entre 2003 et 2016, la société Astoria Sécurité change trois fois de nom. Les actionnaires et les gérants jouent eux aussi aux chaises musicales. Au fil des années, on retrouve notamment les deux frères Loustau, Axel et Philippe, mais aussi leurs femmes, Sophie Bancarel et Catherine Soldatenkoff, ou le cousin Nicolas Chazot. Chez les Loustau, le business de la sécurité privée est une affaire de famille. Et Axel qui aujourd’hui dirige le clan, marche dans les traces de son père, Fernand.
Une affaire de famille
Le patriarche, aujourd’hui décédé, a lui aussi milité à l’extrême droite. Ancien parachutiste, il est membre de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) – une organisation terroriste d’extrême droite qui a commis plusieurs attentats à la bombe pour tenter de maintenir l’Algérie française. Il est lui aussi un grand ami d’un Le Pen : Jean-Marie. Et enfin, Fernand Loustau est également à la tête d’une entreprise de sécurité privée qui, en 1982, va faire les gros titres de la presse.
À Isigny dans le Calvados, des grévistes occupent l’usine de Camembert. Ils retiennent en otage 750.000 clacos. Normandy Sécurité monte un commando pour libérer les fromages. En pleine nuit, à la demande du patron de l’usine – un ancien camarade rencontré pendant la guerre d’Algérie – Fernand Loustau et deux cent gros bras, dont trente-sept « anciens paras », séquestrent la trentaine de grévistes, les gazent à la bombe lacrymogène, les menacent avec des revolvers. Tout ça pour évacuer les fromages en cours de maturation. Le Monde décrit à l’époque Loustau père comme un nervi au « langage militaire », « pas homme à fuir ses responsabilités ».
Entre 1997 et 2002, les trois enfants de Fernand Loustau, Axel, Philippe et Anne entrent progressivement au capital de Normandy Sécurité. En 2003, les deux frères créent, sous le nom de leurs épouses de l’époque, Vendôme Sécurité Services SARL qui aujourd’hui s’appelle Astoria Sécurité. Axel Loustau prépare à son tour sa succession. En 2019, pour les 18 ans de son fils, il lui fait un beau cadeau : Gabriel est nommé directeur général de la financière Wagram. Étudiant à Assas comme papa, membre du GUD comme papa, au défilé néofasciste du Comité du 9 mai comme papa, amateur d’iconographie nazie comme papa… Gabriel Loustau marche dans les pas de son père, jusqu’à Rome où il s’est affiché à la commémoration fasciste de l’Acca Larentia au début du mois, en compagnie d’une des filles de « Tonton Fred » Chatillon, le meilleur ami de son père, et la deuxième tête de la Gud Connection. Comme quoi, le népotisme est aussi possible chez les fascistes.
Gabriel Loustau est l'héritier financier de son père Axel mais aussi son héritier politique. En mai 2023, c'est lui – en fond – qui mène la manifestation du C9M avec un lieutenant de Marc de Cacqueray au Gud, Paul-Alexis Husak – ici masqué. / Crédits : FafLeaks
Contacté, Axel Loustau a accusé réception de nos questions mais n’a pas répondu directement. Il a transféré le message à Nicolas Chazot. Gabriel Loustau n’a pas répondu à nos sollicitations.
Interrogée sur son contrat avec Astoria Sécurité, la RATP a répondu, que « les opinions et engagements politiques d’un dirigeant d’entreprise n’entrent pas en compte dans les critères d’attribution des marchés » rappelant que « la RATP est soumise au principe de neutralité politique et religieuse, qu’elle applique strictement. »
Contacté, le service communication d’Universcience nous a indiqué appliquer le code des marchés publics, et ne pas pouvoir prendre en compte ce type d’affiliation politique lors des procédures d’attribution.
(1) En témoigne ses multiplies relations personnelles, activités sur les réseaux sociaux, et soutiens aux militants néofascistes mis en causes par la justice.
(2) Axel Loustau et Nicolas Chazot sont cousins, sans que nous connaissions avec exactitude le degré. Questionné à ce sujet, Nicolas Chazot n’a pas répondu.
(3) D’un point de vue purement comptable, c’est la Financière Wagram qui aurait cédé ses parts à une société crée par Nicolas Chazot.
(4) Toutes ces entreprises sont domiciliées à la même adresse dans le XVIème arrondissement à Paris.
Illustration de Une par Caroline Varon.
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