Dans une zone interdite des catacombes de Paris, des militants d’extrême droite organisent des fight clubs souterrains et peignent des fresques à la gloire de Jésus.
On trouve de tout dans les catacombes parisiennes. Objet de nombreux fantasmes, le réseau de galeries souterraines abrite une véritable vie six pieds sous terre. Aujourd’hui, les kilomètres de tunnels et les quelques grandes salles sont fréquentés aussi bien par des amateurs de frissons que des communautés proches des milieux punks ou antifascistes. Et depuis au moins 6 mois, au détour d’un couloir, vous pouvez tomber sur un fight club souterrain, organisé par des militants d’extrême droite. Surnommé le « Kata fight club », celui-ci n’a évidemment rien d’officiel. Il regroupe, selon nos informations, une petite dizaine de personnes qui descendent quasiment toutes les semaines. Ce groupe, comme le reste des cataphiles, se promène, écoute de la musique, discute… et s’entraîne à la boxe en short et pieds nus, parfois au milieu d’ossements humains.
Dans une zone interdite des catacombes de Paris, des militants d’extrême droite organisent des fight clubs souterrains. / Crédits : DR
Les membres de ce ring six pieds sous terre ont des profils plutôt similaires. Étudiants en joaillerie ou en droit, tous s’affichent sur les réseaux sociaux comme des « soldats du Christ ». On y trouve notamment un proche du Gud ou un ancien de Génération identitaire. Ils posent coiffés de casques de templiers dans des supermarchés ou dans les rues de Paris, et multiplient les descentes dans les catacombes du GRS, le Grand réseau sud, le principal tunnel de carrières accessible. Ils vont aussi dans un autre labyrinthe de galeries situées sous le 13e arrondissement, vers la place d’Italie. La majorité des salles qu’ils fréquentent sont situées sous Montparnasse ou le quartier de Sèvres-Babylone.
Ce fight club souterrain, organisé par des militants d’extrême droite est surnommé le « Kata fight club ». / Crédits : DR
« Les fafs préfèrent ne pas prendre le risque de s’afficher »
Aucun de la dizaine de cataphiles chevronnés contactés par StreetPress n’a croisé ce groupe ces derniers mois, mais plusieurs ont vu des traces de leur passage. « Ce type de cataphile d’extrême droite a tendance à vouloir éviter de croiser d’autres gens », analyse Samuel (1), qui organise parfois des événements dans les plus grandes salles du GRS. « Sous terre, une mauvaise rencontre peut être fatale, et à part quelques tentatives d’incursions des Zouaves [groupuscule néonazi dissous en 2022 et dont le Gud est l’héritier] il y a quelques années, les fafs préfèrent ne pas prendre le risque de s’afficher. » Les images du fight club l’inquiètent toutefois :
« Si un petit groupe tombe sur eux par hasard, et qu’ils se font attaquer, ça peut être très dangereux. Sous terre, il n’y a pas de réseau, pas de moyens d’appeler les secours, et pour sortir, si on est blessé, ça peut s’avérer très compliqué. »
Le GRS où ce « Kata fight club » organise ses tapes, est surtout un réseau d’anciennes carrières de pierre, d’une centaine de kilomètres de long. Leur accès est illégal et le GRS a d’ailleurs été muré dans les années 1980 pour mettre un frein à la cataphilie, sans que la mesure ne soit efficace. Les cataphiles ont installé des « chatières » autour des blocs de béton, et entretiennent et améliorent même la maçonnerie des galeries qu’ils parcourent. La cataphilie n’est pas réservée à un bord politique, même si un groupe terroriste fasciste y a préparé des attentats dans les années 30. « On y croise quand même surtout des gens de gauche, ou avec des valeurs concordantes », avance Marine, qui fréquente le GRS depuis plusieurs années. Elle fait partie d’un groupe qui rénove les entrées, les facilite, et les cartographie. « Il y a beaucoup de rumeurs sur des cataphiles “à éviter”, des mecs violents, qui seraient d’extrême droite, mais jusque-là, je n’en ai jamais croisé », explique la jeune femme. Elle renchérit :
« Par contre, depuis quelque temps, on voit de plus en plus de tags qui parlent d’antéchrist, des runes qui sont associées à un ésotérisme nazi, et même une fresque avec un Jésus qui a l’air presque menaçant. On ne voyait pas autant ce type de messages avant. »
Le « loutron » violent
La fresque en question a été réalisée par Rémi G. Ce vingtenaire semble être un des principaux protagonistes du fight club d’extrême droite cataphile. Cet étudiant en vitrail dans le 16ème arrondissement est un hyperactif des catacombes parisiennes. Au cours de sa presque centaine de descentes sous terre, avec ses camarades, il arbore parfois un casque de templier, quand il n’est pas occupé à peindre, ou à se battre. Contacté, il a nié l’ensemble des faits, bien qu’il ait lui-même tout documenté sur son compte Instagram.
Les militants d’extrême droite peignent aussi des fresques à la gloire de Jésus. / Crédits : DR
Ancien élève d’un très prestigieux lycée militaire, il a participé à des actions du Gud. Il fait notamment partie des 38 militants d’extrême droite interpellés en décembre 2022 alors qu’ils préparaient une ratonnade suite à la demi-finale de Coupe du monde de football opposant la France au Maroc (1). Rémi G. n’a pas été poursuivi dans cette affaire mais doit quand-même comparaître devant la justice le 13 décembre prochain. Suite à certains de ses dessins et écrits, il va être jugé pour « apologie, injure publique en raison de l’orientation sexuelle, contestation de crime contre l’humanité et provocation à la discrimination en raison de l’orientation sexuelle ».
Cet apprenti vitrailliste tient un compte Instagram et une chaîne YouTube dédiés à ses dessins. Tous sont très marqués d’un catholicisme empreint de violence, comme un Christ cosmique vengeur ou un Saint Michel armé d’un fusil-mitrailleur Famas. Il y fait également des analyses de « démonologie », et diffuse des conférences de prêtres exorcistes américains ultra-traditionnalistes, ou encore des documentaires de l’antisémite et complotiste français Hervé Ryssen.
Pour payer ses frais d’avocat pour son futur procès, Rémi G. a créé une cagnotte. Parmi les donateurs, on retrouve de nombreux militants d’extrême droite, dont des noms plutôt connus. Il y a par exemple une sœur de Marc de Cacqueray, le leader du Gud et d’une bonne partie de l’extrême droite violente. Le boss des néonazis parisiens s’est fendu d’une story Instagram appelant à soutenir financièrement son « loutron ». Une référence aux « Loutres Gang », surnom donné à l’équipe de cogneurs issue des groupuscules versaillais et parisiens Auctorum et Luminis que le Gud mobilise parfois, et dont Rémi G. fait partie.
Le boss des néonazis parisiens s’est fendu d’une story Instagram appelant à soutenir financièrement son « loutron ». / Crédits : DR
Le militant semble avoir fait de sa foi le principal moteur de son militantisme. Il participe au projet « À Fleur de Mur » d’Academia Christiana, mouvement catholique identitaire qui « inquiète les renseignements », entre messes traditionalistes et sports de combats. Le projet, né aux universités d’été du mouvement d’extrême droite, veut installer des statues de la Vierge Marie dans les niches murales qu’on trouve sur un certain nombre de bâtiments. Une volonté de « re-christianiser » Paris qui s’accorde avec les fresques que Rémi G. peint dans les catacombes.
Contactée, la mairie de Paris a répondu que cette histoire relevait de la préfecture de police. Cette dernière n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
(1) En raison d’irrégularités, la justice a annulé en septembre la procédure qui visait sept militants d’extrême droite
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