Marine Le Pen s’est rendue à la manifestation contre l’antisémitisme, protégée par les militants de la Ligue de défense juive (LDJ). Des membres de ce groupuscule juif d’extrême droite ont agressé et menacé plusieurs manifestants.
Boulevard Saint-Germain, Paris (75) – Plus de 100.000 personnes manifestent ce dimanche 12 novembre contre l’antisémitisme. Marine Le Pen et ses fidèles sont de la partie et défilent en toute fin de cortège. Devant eux, quelques dizaines de militants de Ligue de défense juive (LDJ), un groupuscule d’extrême droite juif, jouent les tampons. À quelques encablures du métro Assemblée nationale, un manifestant qui pousse un vélo alpague la foule. Il crie : « Dégage Marine Le Pen, vous êtes une bande de fachos », raconte le journaliste de Libération Tristan Berteloot, qui a pu échanger avec lui quelques instants plus tard. Les gros bras de la LDJ se précipitent sur le cycliste. « Il a été tabassé au sol aux cris de : “Défoncez le, ce fils de pute” », rapporte toujours le journaliste. La police va finalement intervenir pour protéger la victime. L’homme est amené sous un porche voisin, rembobine le photojournaliste indépendant Arnaud Charlie Vilette, qui a filmé la fin de l’agression. Aux policiers, la victime raconte avoir été rouée « de coups de pied, de manches de drapeau et de coups de poing » alors qu’elle était au sol, explique à StreetPress Tristan Berteloot qui a assisté à la scène. Le cycliste annonce aussi son intention de porter plainte.
Les différentes séquences filmées enflamment les réseaux sociaux. La Ligue de défense juive, groupuscule violent dont les membres collectionnaient les condamnations au milieu des années 2000, est de retour à Paris. Elle n’a en fait jamais totalement disparu.
Un jeune homme passant en vélo boulevard St-Germain à côté du cortège a crié «dégage Marine Le Pen, vous êtes une bande de fachos». Une foule de militants de la LDJ s’est jetée sur lui immédiatement. Il a été lynché au sol aux cris de “défoncez le ce fils de pute”.
— Tristan Berteloot (@Tristan_Brtloot) November 12, 2023
Ils attaquent le collectif Golem
Ce dimanche, le groupuscule a repris de la vigueur. Plus tôt dans l’après-midi, la LDJ s’est aussi accrochée avec des manifestants antiracistes quand, un peu avant 15h, Marine Le Pen entourée de parlementaires du Rassemblement national débarquent sur l’esplanade des Invalides, point de départ du défilé. La présence du parti d’extrême droite à une manifestation contre l’antisémitisme fait débat et une centaine de militants anti-racistes tentent de l’empêcher de rejoindre le cortège. Les membres du collectif Golem, un groupe de juifs et juives de gauche ont pris la tête de la troupe. Ils scandent :
« Le Pen casse-toi. Les Juifs ne veulent pas de toi. »
« On était là contre l’antisémitisme d’où qu’il vienne », détaille au téléphone Jonas Pardo, formateur sur l’antisémitisme et membre du collectif Golem. La voix éraillée après avoir chanté tout le dimanche, il poursuit : « L’antisémitisme ne vient pas que de l’extrême droite mais il nous semble insupportable que l’extrême droite, qui a été, qui est et qui sera toujours antisémite, puisse marcher aux côtés des juifs ». Rapidement, les militants sont victimes de violences :
« On s’est fait insulter. Une copine a été plaquée au sol par un type. »
Pour l’avocat et membre de la Ligue des droits de l’homme Arié Alimi, également présent lors de l’action, c’est la LDJ qui est à la manœuvre. Les policiers nassent les militants du collectif Golem. Des membres de la LDJ tentent de se faufiler entre les CRS pour les frapper, retrace Arié Alimi. « Ils nous ont menacés et insultés », se souvient aussi Manu, un autre membre du collectif Golem. Un cadre âgé de la LDJ, qu’il a déjà croisé en 2021, lors d’un rassemblement pour Ilan Halimi (un jeune juif séquestré, torturé et tué en 2006 par le gang des barbares), lui a mimé un égorgement.
Des membres de la LDJ (Ligue de Défense Juive) tentent de disperser le Collectif Golem après leur action#marchecontrelantisemistisme #marche12Novembre pic.twitter.com/lnsy8pri1U
— CLPRESS / Agence de presse (@CLPRESSFR) November 12, 2023
Une organisation presque disparue
Même si elle ne faisait plus parler d’elle, la LDJ n’avait pas totalement disparu. À un certain nombre de manifestations organisées par la communauté juive, les membres du groupuscule ressortent drapeaux, brassards et foulards. Déjà, le 16 octobre dernier, des militants de SOS Racisme repèrent à la sortie d’une réunion une quinzaine de personnes sur la place de la République, masquées par des casques de moto. Ils arborent le drapeau jaune au poing noir de la LDJ. Les membres de SOS voient le groupe agresser un homme. La petite bande intimide les antiracistes présents avant de repartir vers Châtelet. Dans les jours qui suivent, le compte Facebook LDJ-Paris revendique l’altercation. Depuis l’attaque du 7 octobre, le groupuscule a également mené quelques actions symboliques, comme des collages d’affiches ou des tags contre une vitrine ou la boîte aux lettres d’une militante anti-Israël.
Le soir du 16 octobre 2023, des militants de SOS Racisme assistent à une altercation entre la LDJ et un passant place de la République à Paris. / Crédits : Facebook
Après l’altercation, la vice-présidente de SOS Racisme Saphia Aït Ouarabi fait un tweet pour alerter sur la situation. Elle est accusée de diffuser une fausse information et supprime son tweet après un cyberharcèlement. L'action a pourtant été revendiquée par le compte Facebook parisien de la LDJ. / Crédits : Facebook
Une résurgence qui nourrit les fantasmes. Car dans les années 2000, la LDJ multiplie les tabassages de militants pro-palestiniens, de figures antisémites ou de militants de la gauche juive en France. Violemment anti-arabes, ils scandent en manifestations des slogans racistes comme : « Pas d’arabes, pas d’attentats ». Proche de l’extrême droite israélienne, ils défendent la colonisation. Mais la LDJ semblait en décrépitude depuis une dizaine d’années. Plus nébuleuse que groupe organisé, elle a perdu de sa superbe. Ses militants ont désormais les tempes grisonnantes et ne mènent guère plus d’actions, en dehors de ces apparitions épisodiques dans les rassemblements communautaires. Une partie du noyau d’activistes multicondamnés pour des faits de violence dans les années 2000 a quitté la France, souvent pour Israël. L’autre a fait profil bas, en disparaissant des réseaux sociaux. Le Betar, le mouvement de jeunesse rattaché au parti israélien Likoud, où la Ligue trouvait certaines de ses recrues, a fermé ses portes en 2006, faute de moyens et de membres.
Des liens avec l’extrême droite
Dans la manifestation de ce dimanche 12 novembre, le noyau dur semble composé de militants historiques sortis de leur retraite pour l’occasion. Des jeunes sont venus gonfler leurs rangs. Quelques dizaines de militants au total, qui vont se placer en queue de manifestation, entre les troupes de Marine Le Pen et le reste du cortège, tout au long de l’après-midi. « C’est des kapos en fait », rigole un militant d’un mouvement de jeunesse juif sioniste de gauche qui assiste à la scène. Une allusion à ces détenus recrutés pour encadrer les prisonniers dans les camps de concentrations nazis. La LDJ semble de fait jouer les services d’ordre du RN.
Pas si étonnant : l’idylle entre le parti d’extrême droite et le groupuscule juif démarre en 2006, avec la manifestation en hommage à Ilan Halimi. Ce jeune juif est tué puis séquestré cette année-là. Les gros bras de la LDJ incrustent deux élus frontistes dans le défilé, parmi lesquels une proche de Marine le Pen, Marie-Christine Arnautu. À l’époque, les contacts vont bon train, comme StreetPress le racontait dans le troisième volet de l’enquête sur la Ligue de défense juive, parue en 2014. Marine le Pen avait obtenu d’un coup de fil au boss de la Ligue qu’ils arrêtent de taper sur son ami Alain Soral, qui était dans le collimateur du groupe pour ses sorties antisémites.
Avec l’arrivée à la tête de la Ligue d’un ancien skinhead (ça ne s’invente pas) en 2010, les choses s’accélèrent. Le mouvement participe, par exemple, au service d’ordre des « assises contre l’islamisation », organisées par les islamophobes du Bloc Identitaire et de Riposte Laïque, en décembre de cette année.
Une enquête en 3 parties.
En 2014, StreetPress avait écrit un dossier en trois parties sur la LDJ :
> Partie 1 : Milice ou bullshit ?
> Partie 3 : La guerre parallèle, les liens avec l’extrême droite et le racisme