Ils se regroupent entre nationalistes, blancs et chrétiens. Ils revendiquent vouloir faire sécession en Europe de l’Est, dans les campagnes ou même en ville grâce à des communautés très actives. Enquête sur l’extrême droite séparatiste.
« On vit mieux entre Européens », assure au téléphone le suprémaciste blanc Daniel Conversano. Installé en Roumanie, il professe l’exil des blancs en Europe de l’Est pour fuir une France « bougnoulisée ». Son réseau des Braves en ferait, selon lui, la démonstration :
« Je ne me considère pas comme sécessionniste. Par contre, c’est une ambition oui. »
Tandis que le RN « normalisé » investit l’Assemblée nationale, à sa droite on constate les échecs successifs des projets plus radicaux. Les Gilets jaunes, les anti-mesures sanitaires, la défaite de Zemmour : à chaque fois, l’extrême droite y a crû. À chaque fois elle a été déçue. Sa révolution, par la rue ou par les urnes, a échoué. Au point qu’aujourd’hui, la mouvance se prend à douter et imagine comme nouvelle solution la “sécession”. Le séparatisme d’extrême droite, n’a jamais autant eu le vent en poupe.
Preuve en est la multiplication des initiatives, projets ou encore livres qui vont dans ce sens. Se dessine un objectif : faire sécession pour maintenir le flambeau mais surtout pour préparer cet effondrement qui leur apparaît toujours plus imminent. Ils tentent de vivre entre blancs ou avec le moins de diversité possible, qu’elle soit « ethnique », religieuse ou idéologique.
Les identitaires, sous la plume de Clément Martin, alors porte-parole de GI, théorisaient par exemple en 2020 la « reconquête » des « campagnes ». Ils voulaient « en faire [leurs] ZID : Zones Identitaires à Défendre ». C’est aussi l’initiative d’Égalité et Réconciliation, de l’antisémite multirécidiviste de la haine raciale Alain Soral : une « base autonome durable » dans la Nièvre qui tient plus du point de rendez-vous avec un seul occupant à l’année, détaille Marianne.
Syndrome de persécution
Celui qui semble le plus avancé, c’est bien Daniel Conversano. Ses adeptes ont déjà mis en application le principe et, un peu partout en France, ils s’organisent entre eux, à l’échelle locale. En région parisienne, les fidèles de Conversano regroupés sous la bannière de l’Équipe communautaire Paris (ECP), revendiquent par exemple plus d’une centaine de membres. Un effectif crédible au vu des photos de leurs événements. Les Braves ont aussi des groupes locaux implantés en Bourgogne, en Bretagne, dans le Nord, le Sud, l’Est… Une communauté qui grandit à bas bruit. Ancien grouillot de Dieudonné, Conversano a, à ses débuts, subi les moqueries au sein même de l’extrême droite. Et pourtant, Les Braves constituent à ce jour un des principaux groupuscules d’extrême droite en activité. « Un groupe constitué de centaines de “monsieur et madame Tout-le-Monde” [qui] prônent un repli identitaire extrême via le communautarisme, le natalisme, voire l’expatriation », détaillent les journalistes Delphine-Marion Boulle et Valentin Pacaud dans leur livre-enquête Au nom de la race.
L'Équipe communautaire Paris (ECP) lors d'un entrainement « communautaire » en juin 2020. / Crédits : DR
À LIRE AUSSI : Daniel Conversano, l’influenceur très très raciste qui adore Zemmour
Les Braves ne sont pas, à ce jour, organisés en communauté fermée. Ils proposent plutôt un espace de socialisation entre « droitards ». On y fait des barbecues, des soirées ou du sport, notamment de combat. On se file des coups de main, on fait circuler les offres d’emploi en interne. On encourage aussi les rencontres amoureuses. Elles sont destinées à fonder des foyers pour perpétuer la race, et les naissances au sein de la communauté sont relayées sur les réseaux sociaux. La mise en application littérale de la maxime aux « 14 mots », pilier du suprémacisme blanc, du racialiste américain David Lane :
« Nous devons préserver l’existence de notre peuple et l’avenir des enfants blancs ».
Si l’on ajoute à cela l’intense activité sur Internet de Conversano et ses troupes, c’est déjà tout un embryon de société parallèle. L’homme en convient d’ailleurs. « Si par exemple vous êtes prof et que vous assumez voter RN, vous allez être ostracisé. Ces gens militent chez les Braves ou d’autres groupes nationalistes car le week-end ils peuvent discuter autour d’une bière, dire ce qu’ils pensent sans être jugés. Et ça c’est une bulle d’air. » En clair : être tranquillement raciste entre racistes.
Les nationaux-catholiques
Si les Braves ont la cote, c’est qu’ils surfent à fond sur le séparatisme, véritable tendance de fond à l’extrême droite. Ils ne sont pas les seuls. Jean-Eudes Gannat, ancien leader du groupe angevin national-catholique l’Alvarium, dissous, vient de sortir un livre : Pourquoi l’Alvarium, d’une politique antinaturelle à la sécession. Dans une récente conférence de Civitas, il cite Anatole France : « La République gouverne mal, mais elle se défend bien ». Alors plutôt que de s’y attaquer frontalement, autant simplement la contourner. « Des jeunes qui ont voté Zemmour me disent que c’est peut-être ça la solution : la sécession », confie-t-il à StreetPress. « La sécession est avant tout mentale, il faut s’extraire de cette société et revenir à nos valeurs », ajoute-t-il. Le parallèle avec les mots de Julius Evola, « révolte contre le monde moderne », devenus un slogan nationaliste-révolutionnaire, est évident.
Jean-Eudes Gannat, ancien leader du groupe angevin national-catholique l’Alvarium vient de sortir un livre : Pourquoi l’Alvarium, d’une politique antinaturelle à la sécession. / Crédits : DR
Ces valeurs, Jean-Eudes Gannat les estime majoritaires dans les campagnes, que lui préfère aux villes « grand remplacées », allant jusqu’à prendre exemple sur les ZAD. La France est « archipellisée », fracturée, dit-il. Les Français sont « déracinés ». Charge aux militants d’avant-garde de bâtir une nouvelle communauté « nationale ». Fervent catholique et adepte d’un militantisme « d’action », Jean-Eudes Gannat a fédéré à Angers, sous la bannière de l’Alvarium, quelques dizaines de militants qui partagent sa radicalité. Un activisme qui inquiète jusqu’au sommet de l’État : en novembre dernier le conseil des ministres a même décidé de la dissolution du groupe. Ce qui n’empêche pas vraiment Gannat de poursuivre ses activités.
L’Alvarium a été dissous ce matin en conseil des ministres, conformément aux instructions du Président de la République.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 17, 2021
Comme le détaille le décret que j’ai présenté, ce groupement de fait d'ultra-droite appelait à la violence et à la discrimination. A lire : pic.twitter.com/42r3isRxi9
« La Ve République va mal et elle est donc beaucoup plus agressive. On le voit à la façon dont elle a géré la crise sanitaire, à vouloir nous dire avec qui manger ou ne pas manger, combien de kilomètres on a le droit de faire pour sortir de chez nous, comment élever nos enfants… », nous confie aussi Yann Vallerie, fondateur du site de « réinformation » Breizh Info. En janvier dernier, il a lui aussi théorisé cette rupture dans un livre auto-édité et sobrement intitulé Sécession, préfacé par le survivaliste suisse d’extrême droite Piero San Giorgio.
En janvier dernier, Yann Vallerie, fondateur du site de « réinformation » Breizh Info, a théorisé cette rupture dans un livre auto-édité intitulé Sécession. / Crédits : DR
La campagne aux français
Ce proche d’Alain Soral, avec qui il a monté l’entreprise Prenons le maquis, théorisait le concept de « base autonome durable » dès 2011. En couverture de l’ouvrage de Vallerie, le drapeau brandi par les États américains confédérés… pendant la guerre de Sécession. Un groupe d’hommes entourés d’un crucifix, d’un livre, d’un fusil et d’un masque chirurgical barré viennent finir de résumer « l’alternative » qu’il propose :
« S’il est impossible de changer les institutions de l’intérieur parce que le système est totalement verrouillé – ce qu’il a, à mon avis montré depuis deux ans – alors autant en sortir ».
Comment ? Tout d’abord en fuyant les métropoles, lieux où « les bobos » s’enferment « dans les beaux quartiers », détaille-t-il à StreetPress. Tandis que « les populations immigrées sont entassées les unes sur les autres et vivent séparément. » Bref, le spectre selon lui, de conflits inter-ethniques à venir :
« On n’a pas vocation à finir comme l’Afrique du Sud ou les Balkans à tous se foutre sur la gueule. Pour éviter ça, le mieux, je pense, c’est de vivre séparément. »
Une fois échappés de ce pseudo enfer urbain sauce Banlieue 13, les heureux élus pourront alors rejoindre une « communauté organique » qui s’appuierait « naturellement sur un héritage chrétien enraciné ».
« Intrinsèquement, des communautés nombreuses ne peuvent vivre ensemble sans que ça finisse par arriver au clash, il y a trop de différences culturelles ou religieuses. Mais il peut y avoir des micro-importations. », précise-t-il. Tout est dans le dosage.
Autre chapelle, même tendance avec Academia Christiana. Un « institut de formation politique » de la jeunesse catholique identitaire française cofondé par Julien Langella, également co-fondateur de Génération Identitaire, et Victor Aubert. Dans une vidéo publiée en 2020, ce dernier explique que « depuis l’avènement de l’immigration de masse nous assistons à une communautarisation des populations d’origines immigrées ».
En décembre dernier, Academia Christiana annonçait vouloir acquérir un bâtiment de 2000m2 dans un domaine de dix hectares dans le grand Ouest. Un lieu qui « deviendra l’un des piliers de la chrétienté à venir ». / Crédits : DR
Il faudrait donc « se passer au maximum des infrastructures et des mécanismes imposés par le système et mettre en place des structures collectives pour rendre possible un autre mode de vie ». Un projet qui correspond en tout point à la définition que le président Emmanuel Macron avait donné du « séparatisme islamiste » lors de son discours des Mureaux en octobre 2020.
Les premières pierres sont déjà en train d’être posées. En décembre dernier, Academia Christiana (qui n’a pas donné suite à nos sollicitations) annonçait vouloir acquérir un bâtiment de 2000m2 dans un domaine de dix hectares dans le grand Ouest. Un lieu qui « deviendra l’un des piliers de la chrétienté à venir ». Son achat sera évidemment financé par des dons défiscalisables, aux frais de la République (1).
L'achat de ce lieu par Academia Christiana sera financé par des dons défiscalisables, aux frais de la République (1). / Crédits : DR
Un glissement vers la violence ?
Les grands discours se font en revanche plus hésitants lorsque l’on souligne que ce divorce risque justement d’aboutir au clash tant fantasmé. Tous précisent qu’ils n’appellent pas à mettre à bas la République. Conversano esquive en évoquant simplement un « communautarisme de défense » en réponse toujours selon lui à « des communautés musulmanes ou même chinoises qui vivent leur vie entre elles à côté de la vie républicaine recommandée ». Dans ses stages, organisés avec le multi-condamné Alain Soral, Piero San Giorgio formait ses fidèles au combat. Mais lui aussi revendique une posture défensive.
Ces projets renvoient tous à leur manière au vocabulaire survivaliste, ces « preppers » – « ceux qui se préparent », en bon français – qui se replient eux aussi dans l’attente que tout se casse la figure. Une mouvance que les services de renseignement ont dans le viseur, révélait Mediapart, notamment pour les velléités de préparation à un « affrontement communautaire » inéluctable, selon certains. Une guerre civile raciale théorisée par Guillaume Faye. Ce penseur de la nouvelle droite (aujourd’hui ré-édité par Daniel Conversano !) est l’un des principaux inspirateurs de la mouvance identitaire. Islamophobe virulent, il défend la supériorité de la civilisation européenne et une forme de séparatisme.
Cette tentation sécessionniste vient de loin, rappelle pour StreetPress l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg. « Dès les années 1950, la néofasciste Phalange française ambitionnait de créer des communautés en Algérie inspirées des kibboutz, alors qu’ils étaient antisémites. Dans les années 1970, la Nouvelle droite avec Europe jeunesse veut, par exemple, son propre mouvement scout, puis développe un modèle quasi-maçonnique. En 1972, Ordre nouveau pense des villages nationalistes. La néo-nazie Fédération d’action nationale et européenne (FANE) parle dans son journal de la création de groupes locaux et d’une vie en autarcie pour maintenir le flambeau dans l’attente de jours meilleurs. » Ces projets s’exprimaient même au sein du FN il y a longtemps déjà, rappelle l’historien :
« En 2004, Jacques Bompard, alors au FN, vantait lui aussi la constitution de communautés. Un besoin qu’il théorisait via des villes nationalistes, toujours, mais aussi avec des entreprises nationalistes, des écoles, etc. Déjà le simple repli géographique était dépassé ».
Précisément, Bompard déclarait aussi à l’époque :
« L’heure des Duce est terminée… Le Führer, les Danube de la pensée, le Caudillo, le Conducator, tout cela c’est fini. Le combat a changé de nature. Mieux vaudrait demain une communauté d’un million d’hommes et de femmes avec ses écoles, ses collèges, ses réseaux d’entraide, que cinq millions d’électeurs amorphes et seulement 2.000 militants dans toute la France. »
Près de 20 ans plus tard, la sécession fait toujours sensation.
(1) Il existe également les catholiques de Fraternité Saint Pie X. Ils sont d’extrême droite et séparatistes mais moins militants. Ils ne nous semblaient pas relever de cette même dynamique et feront l’objet d’une autre enquête très prochainement.
- Enquête /
- Extrême droite /
- ExtremeDroite2022 /
- streetpress2022 /
- communauté /
- sécession /
- A la une /