29/06/2022

Il a porté plainte

Des proches du député RN Philippe Schreck menacent un journaliste

Par Philippe Mauriaucourt

Le site lecorrespondant.net a, à la veille des élections, publié une enquête sur le futur député RN du Var, l’ancien bâtonnier Philippe Schreck. Des proches de ce dernier vont ensuite menacer le directeur de publication du média.

C’est une enquête journalistique fouillée et au ton corrosif qui a valu au journaliste et producteur télé Djaffar Ait Aoudia, des menaces de mort implicites. Il est le directeur de publication du média en ligne lecorrespondant.net. Le 18 juin, à la veille du second tour des législatives, ce média généraliste, fondé en juillet 2020 et plutôt porté sur l’investigation, publie une enquête sur Philippe Schreck, candidat RN dans la circonscription de Draguignan, et élu député le lendemain. En cause : la gestion par Schreck du fonds de l’ordre des avocats – plusieurs centaines de milliers d’euros, après qu’il ait été élu bâtonnier de la ville en 2017. Selon Jeff Martin, l’auteur de l’enquête, Schreck aurait « joué au casino » avec la caisse en se lançant dans des investissements hasardeux, notamment 200.000 euros dans Bourbon, une entreprise spécialisée dans les activités maritimes et surendettée.

L’article – court mais incisif – est publié à 11h30. Quatre heures plus tard, Djaffar Ait Aoudia reçoit un appel d’un avocat avec qui il avait eu jusqu’alors des rapports cordiaux, Me Lionel Ferlaud : « Je l’ignorais, mais Ferlaud est un très proche de Schreck et l’a soutenu pendant la campagne », explique Ait Aoudia. Furieux de l’enquête qui écorche l’image du candidat, Ferlaud s’emporte et perd ses nerfs, selon le journaliste :

« Il m’a dit : “Philippe est un ami de longue date, ça ne se passera pas comme ça, j’espère qu’il gagnera demain (second tour des législatives, NDLR), sinon on vous enverra nos amis corses pour vous régler votre compte”. »

La conversation n’a pas été enregistrée, et les dires du directeur de publication sont invérifiables. Mais celui-ci nous montre les deux textos qu’il a envoyés immédiatement après, à son interlocuteur : « Des menaces de la part d’un avocat, je trouve ça ridicule », écrit-il d’emblée. Aucune réponse de l’avocat. Puis, trois heures plus tard, nouveau SMS au ton cordial : « Et à propos Lionel, je suis très solidaire de mon journaliste, qui est très professionnel. Le reste … envie de dire… Faites ce que vous voulez ! Un juge décidera de ce qu’il veut ! Bonne soirée ». Toujours aucune réponse.

Les Corses

Djaffar Ait Aoudia laisse courir : « Je me disais que c’était un coup de sang et que ça s’apaiserait », nous explique-t-il. Contacté par StreetPress une semaine plus tard, le soutien du candidat RN ne s’est pas franchement calmé, traitant le journaliste de « menteur et de pauvre type ». Nous affirmant qu’il s’en « fout de cette histoire », il refuse d’abord de nous répondre au téléphone, nous demandant de passer le voir à son cabinet : « Je crois que vous ne savez pas qui je suis, j’ai 25 ans d’assises », nous toise maître Ferlaud, guère étouffé par la modestie, je ne vais sûrement pas vous répondre au téléphone, passez à mon cabinet, je reçois des journalistes du monde entier ». La question est pourtant simple, et nous la répétons : « Avez-vous oui ou non dit à M. Ait Aoudia “on va t’envoyer nos amis corses” ? ». « Mes amis corses ? Je suis à Draguignan, je vous signale ».

Dénégations molles et peu convaincantes, d’autant qu’il a eu à plusieurs reprises des dossiers corses. « Une fois, nous déjeunions ensemble, se rappelle Djaffar Ait Aoudia, et il s’était vanté auprès de moi d’être proche d’Alain Orsoni », un vétéran des luttes indépendantistes corses, par ailleurs ancien militant d’extrême droite, qui a déjà eu maille à partir avec la justice. Il a notamment été inculpé pour tentative d’homicide volontaire pour son implication dans un attentat qui a blessé quatre gendarmes dont un grièvement en mai 1980, et passé quelques mois en prison, avant d’être amnistié par François Mitterrand. « Ferlaud m’avait montré qu’il avait bien Orsoni dans ses contacts », se souvient le journaliste.

Mais qu’a donc dit le soutien du candidat d’extrême droite aujourd’hui député au journaliste ? « Je lui ai dit : “Tu n’es qu’un sale menteur, et t’inquiète pas on se recroisera” ». Plus question de Corses selon lui, mais menaçant quand même… Au fur et à mesure de la conversation, Lionel Ferlaud dérape franchement : « Ce type vit à Draguignan, il est en couple avec une de nos consœurs qui a violé plusieurs règles professionnelles, et elle en paiera un jour les conséquences », s’énerve-t-il. « Les infos de l’article ne peuvent venir que du conseil de l’ordre », surenchérit l’avocat d’extrême droite, insinuant sans aucune preuve que la compagne de Ait Aoudia, maître Virginie Feuz, est la source qui a nourri l’article.

Une plainte pour menaces de mort

Cette avocate inscrite au barreau de Draguignan depuis 16 ans va elle aussi être la cible de soutiens de Me Schreck, le nouveau député RN. « Le 22 juin », relate ce journaliste expérimenté de 47 ans, « Virginie me raconte avoir été prise à partie au sein même des locaux du conseil de l’ordre par Sandrine Ducrocq-Schreck, ex-épouse du député d’extrême droite, et l’un de ses soutiens politiques. Elle lui dit textuellement, en parlant des menaces de Me Ferlaud : “Dit à ton mari que ce n’est pas une menace, mais une promesse“ ». Virginie Feuz, qui ne tient pas à s’exprimer pour ne pas mettre de l’huile sur le feu, nous a cependant confirmé les faits. Ait Aoudia explique :

« Autant la première fois j’ai laissé passer, autant là, s’en prendre ainsi à ma compagne, ça a été la goutte d’eau. »

Contactée par StreetPress pour donner sa version des faits, Sandrine Ducrocq-Schreck n’a pas donné suite. Dans la foulée, Djaffar Ait Aoudia va déposer plainte contre Mes Ferlaud et Ducrocq-Schreck pour menaces de mort.

L’affaire agite le barreau de l’ancienne préfecture du Var. Philippe Schreck, une sommité locale – son père était déjà avocat et lui l’est depuis 26 ans –, a de nombreux soutiens parmi les avocats. Selon nos informations, dès le 19 juin, lendemain de la publication de l’article en question et le jour même du deuxième tour de l’élection, plusieurs ténors du barreau local, soutiens de Philippe Schreck, se sont réunis pour discuter du cas de Me Feuz. Ils se sont concertés sur la stratégie à adopter pour obtenir des sanctions disciplinaires contre cette dernière. Un avocat sous le sceau de l’anonymat confie :

« C’est clair, elle doit faire gaffe, ils veulent se la faire. Tout ça pour une banale affaire de presse, c’est ridicule. Ils n’ont qu’à porter plainte pour diffamation contre le journaliste et un juge tranchera point barre. Je crois savoir que c’est aussi l’avis du bâtonnier. »

Contacté, ce dernier, maître Laurent Le Glaunec, ne nous a pas répondu. Mais selon nos informations, malgré les pressions des proches du député d’extrême droite, aucune sanction disciplinaire n’est envisagée contre l’avocate. « Mais c’est clair que Schreck et ses réseaux influents vont bien la pourrir », raconte un journaliste varois, fin connaisseur de la vie politique et judiciaire locale. Pour Djaffar Ait Aoudia, les pressions contre sa compagne « ont pour seul but de m’inciter à révéler les sources qui ont alimenté l’enquête pour la protéger. C’est peine perdue. Je peux juste dire que Virginie n’a joué aucun rôle dans cette enquête ».

L’administratrice du compte Facebook de campagne du candidat, Sarah Bouzereau, avait affirmé qu’une plainte pour diffamation allait être déposée contre lecorrespondant.net et son directeur de publication. « Nous leur avons pourtant proposé un droit de réponse. Peine perdue » affirme le fondateur du correspondant.net.

Malgré nos demandes insistantes, Philippe Schreck, le notable local devenu député d’extrême droite n’a pas souhaité nous parler, ni même nous dire s’il allait ou non effectivement déposer plainte pour diffamation.