Ce 1er juin, cinq militants d’extrême droite, dont Loïk Le Priol et Romain Bouvier, mis en examen pour le meurtre de Federico Aramburú, étaient jugés à Paris pour avoir torturé et humilié leur ancien leader en 2015 pendant plus de 20 minutes.
Le 29 juin, le tribunal judiciaire de Paris a condamné les auteurs de cette violente agression. Romain Bouvier a eu la peine la plus lourde. Voyant la préméditation être retenue contre lui, il a écopé de cinq ans de prison dont trois ferme. Loïk Le Priol, lui, a été condamné à quatre ans de prison dont deux ferme.
L’ancien chef du Gud, Logan Djian, a lui été condamné à cinq ans de prison, dont deux ferme. Parmi les deux autres co-prévenus, Kleber Vidal prend trois ans de prison : deux sous bracelet électronique et un avec sursis. Geoffrey Le Noir est lui condamné à deux ans de prison avec sursis.
Un procès en cache parfois un autre. En octobre dernier, Loïk Le Priol et Romain Bouvier comparaissaient libres avec leurs comparses Logan Djian, Geoffrey Le Noir et Kleber Vidal pour les violences qu’ils ont commises lors d’une soirée d’octobre 2015. Ils avaient frappé et torturé Edouard Klein, ancien dirigeant du Gud. Un groupuscule violent d’extrême droite dont ils sont tous membres. La scène a été filmée. Mediapart avait révélé des extraits de la vidéo en mars 2016. Quelques mois après cette audience renvoyée pour cause de Covid, c’est une tout autre situation. Bouvier et Le Priol ont été mis en examen pour l’assassinat du rugbyman Federico Martín Aramburú fin mars 2022. Dans la salle du tribunal, ils sont désormais dans le box vitré des prisonniers, entourés de six policiers cagoulés pendant les presque dix heures d’audience.
« La salle avant n’était pas aussi pleine qu’aujourd’hui, elle l’est pour des raisons extérieures. Je ne rentrerais pas dans les détails de l’autre affaire », prévient maître Xavier Nogueras, avocat de Loïk Le Priol devant l’assemblée et la trentaine de journalistes, lorsqu’il tente sans succès d’avoir un huis clos de l’audience. L’ombre du rugbyman plane sur les débats alors que les prévenus sont jugés pour « violences volontaires aggravées » en réunion, avec préméditation et sous la menace d’une arme. Des faits pour lesquels Edouard Klein écopera de 21 jours d’ITT. Devant le tribunal, les prévenus ont reconnu la violence mais ont tenté de nier la préméditation. « Rien de tout ça n’était prévu, ça a complètement dérapé », dit debout d’une petite voix Loik Le Priol.
« Une vingtaine de minutes de violences extrêmes »
La soirée se passe en octobre 2015. Loïk Le Priol a passé la fin d’après-midi avec Edouard Klein. Le soir, il se présente à son domicile accompagné de Romain Bouvier, Logan Djian, Kleber Vidal et Geoffrey Le Noir. Les quatre premiers connaissent bien l’ancien président du Gud, car tous se sont fréquentés dans le groupuscule étudiant d’extrême droite. Ils font partie de la même bande, côtoient les ex-petites amies de Klein et ont des griefs contre lui. À la barre, tous annoncent que la soirée est l’occasion de mettre à plat leurs différends. Édouard Klein, lui, est absent et représenté par maître Léon Lef Forster.
Sauf que la mise à plat se transforme surtout en une « vingtaine de minutes de violences extrêmes », note la procureure de la République. Elles ont été immortalisées dans neuf vidéos de huit minutes au total. À part Geoffrey Le Noir, tous donnent des coups. À la barre, tous s’en excusent aussi, désormais. « Je regrette ce qui s’est passé. C’est des faits graves qui choquent et sont durs », reconnaît Le Priol. Lui et Romain Bouvier sont décrits comme les plus violents. Dans son salon, Klein est frappé au visage par de nombreux coups de poing, jeté au sol, roué de coups de pied au corps et dans le visage. L’ex-chef du Gud est aussi déshabillé et traîné dans sa chambre où il reçoit de nouveaux coups par Le Priol, Bouvier et Kléber Vidal. Selon les éléments de procédure qu’a pu consulter StreetPress, c’est Le Priol et Bouvier qui ordonnent à Klein de se désaper avec un décompte de neuf à un « à l’issue duquel plusieurs bruits de coups se [font] entendre ».
En plus de lui donner un violent coup de pied au visage, « le plus lourd » selon Edouard Klein, Romain Bouvier le menace aussi de le pendre avec son foulard et l’ordonne de danser la macarena dénudé. Loik Le Priol, lui, l’intimide plusieurs fois avec un couteau à lame crantée :
« Tu sais que j’en ai buté plus d’un des mecs là-bas, tu le sais ou pas ? Tu sais que le coupe-gorge, ça va très vite ? »
Là-bas, c’est en Afrique et au Moyen-Orient, à l’occasion d’opérations extérieures. Comme StreetPress le racontait en mars dernier, Loïk Le Priol est un ancien commando marine, une unité d’élite de l’armée française qu’il a intégré dès ses 18 ans, « le plus jeune de France ».
À quelques reprises dans la vingtaine de minutes de passage à tabac, Édouard Klein demande à ses anciens camarades pourquoi ils sont violents avec lui.
Des chevaliers
Devant la barre et dans le box vitré, seul Geoffrey Le Noir n’a pas vraiment d’explication à donner sur le pourquoi de sa venue. Il est là « un peu par hasard », selon les prévenus, même s’il est alors au Gud depuis un an et demi. Les autres assurent que Klein les aurait invités à son domicile, une version que la victime a niée, parlant plutôt d’un guet-apens en bas de chez lui où on l’aurait fait remonter avec un de ses amis.
Les motifs de discorde sont nombreux et parfois confus. Logan Djian reproche à Edouard Klein de le traiter de balance pour l’avoir mis en cause lors d’une attaque du lycée autogéré de Paris en 2011 (une affaire où Klein a été relaxé). Celui qui est surnommé « le Duce », pour son admiration du fasciste Mussolini, lui a envoyé des SMS à ce sujet en avril 2015 : « Me traiter de balance c’est de trop. Maintenant, crois-moi, tu vas assumer », « Maintenant, stop SMS. T’inquiète pas, on se verra à une de tes soirées. » Questionné par la présidente, le golgoth à la polaire sombre s’explique :
« Quand je disais “faut assumer”, je pensais qu’Edouard parlait sur moi – mais il devait parler sur tout le monde – et il se cachait. Il parlait mal des gens, c’était contraire à nos valeurs, il faut assumer. »
Pour Bouvier et Le Priol, il y a aussi une histoire de vengeance suite à des mots. Les deux hommes ont connu un accident de voiture moins d’un mois plus tôt, le 18 septembre 2015. Le Priol est au volant et se crashe dans un tunnel parisien. Bouvier en ressort avec une minerve et une « grosse » commotion pulmonaire. Surtout, une de ses « plus proches » amies est dans le coma. Selon les deux hommes, Klein se « réjouissait » de l’accident. « Il aurait dit qu’il était content que ça nous pose des problèmes judiciaires [Le Priol sera jugé et condamné pour cet accident en 2017], et pour la jeune fille, il a dit qu’il aurait aimé la baiser avant. Il a aussi dit qu’il voulait qu’elle meure pour qu’on ait des problèmes », lâche Romain Bouvier.
Le groupe serait aussi là pour rendre justice à deux de leurs amies : M., fille d’un ancien cadre du Gud, et D. qui serait la petite-fille de l’un des cofondateurs du groupe néofasciste Occident. Les deux auraient été violentées par Edouard Klein (lui-même fils d’un ancien militant du GUD) quand elles étaient ses compagnes. L’absent du procès aurait giflé D. devant Le Priol et aurait tapé la tête de M. contre un poteau. Présente à l’audience, un peu mal à l’aise sur ses stilettos beiges, la première confirme les violences « malheureusement ». « J’ai très longtemps été dans le déni », indique-t-elle à ce sujet. « En tout état de cause, ça ne justifierait en rien ce qui lui a été fait », note l’avocat de la victime, maître Léon Lef Forster, les lunettes posées sur le bout du nez.
Selon la bande, Edouard Klein leur aurait ouvert la porte et les aurait accueillis « froidement ». Il aurait alors assumé ces violences puis les aurait menacés de mort. C’est ce qui aurait fait vriller les militants d’extrême droite, assurent-ils. Notamment Le Priol, qui l’aurait défendu dans les conversations chaque fois qu’il revenait de mission. « Je suis allé loin pour lui, j’ai mis mon intégrité en jeu. J’ai défendu un homme qui est le pire au monde : il frappe les faibles, frappe mes amies qui sont des crèmes. Tout de suite, ça se tend. » Cette situation permettrait devant le tribunal de gommer la préméditation, mais elle n’a pas empêché les gudards de se mettre à au moins quatre contre un sur Klein. Eux clament lui avoir pourtant proposé avant un duel « contre l’adversaire de son choix » – une version démentie par les vidéos, où Logan Djian se désigne lui-même. Sur ce règlement de comptes façon OK Corral, Le Priol explique :
« À l’époque, dès qu’il y avait un grief, une atteinte à l’honneur, il y avait une sorte de duel un peu à l’ancienne. C’est ça qui est proposé pour passer à autre chose. »
Un « effet tunnel »
Comment l’affaire est passée du un contre un au lynchage montré par les vidéos ? Le Priol évoque « un effet de groupe, un effet tunnel », parle d’une « surenchère » à partir du moment où Klein aurait refusé le combat. Lui a des souvenirs parsemés, invoque sa « forte alcoolémie » au moment des faits et se reconnaît « hystérique » :
« Je lui dis des phrases qui n’ont aucun sens, je suis vraiment dans un état second. Je bascule dans un stimuli qui me replonge immédiatement des semaines en arrière, je suis seul, je respire fort alors qu’il ne se passe rien. À ce moment-là, ce n’est pas moi. »
Face au tribunal, Le Priol confie son traumatisme dans les commandos, une « blessure de guerre » qu’il n’admettait pas et un handicap que l’armée ne lui a jamais reconnu. Lors de sa plaidoirie, son avocat maître Nogueras appuie :
« Je vois cette vidéo, je vois Full Metal Jacket. Je vois un militaire qui disjoncte suite à son stress post-traumatique. »
Bouvier, lui, concède une « forme de sadisme, peut-être une forme de plaisir dans l’effet de groupe quand on a une forme de haine à l’endroit de quelqu’un ». Il reconnaît avoir « totalement perdu le contrôle de la situation ». « Encore aujourd’hui, j’ai du mal à me dire que j’ai eu autant de violence contre quelqu’un sans défense. » Il enlève parfois ses lunettes noires carrées pour se frotter les yeux au fur et à mesure que le procès avance. En plus de ses problèmes d’alcool du moment lié à l’accident, il cherchait « à faire du mal » à Edouard Klein, « à l’humilier, à transférer tout le mal qu’il m’avait fait » :
« Je ressentais de la haine, de la rage, de la colère. C’était très confus, je vivais une grande période de désordre intérieur. »
« On était tous dépassés », assure de son côté Logan Djian. Maître Leon Lef Forster, l’avocat de Klein, analyse auprès de StreetPress : « Je crois que certains regrettent réellement mais que d’autres ne formulent ça que pour essayer d’obtenir une condamnation plus légère. Je ne crois pas que certains d’entre eux soient réellement sincères. Ils essaient de justifier des actes quand ils disent qu’ils sont lamentables et pitoyables. Comment peut-on justifier des actes pitoyables ? C’est quelque chose de tout à fait déplacé. »
Une soirée qui continue
Les discussions du tribunal avec Bouvier et Le Priol sont les plus longues. Ils prennent le temps d’expliquer leurs blessures psychologiques respectives et affirment avoir pris conscience très rapidement des faits graves. Pourtant, quelques heures après l’agression de Klein, la bande fait fermer en avance un pub à Saint-Michel. Le staff a eu peur de ces cinq individus qui « cherchaient clairement la bagarre » selon une serveuse, qui a identifié Loik Le Priol comme le plus agressif. Du côté du groupe, on décrit une escale pour décompresser et tous revoir les images (sauf Romain Bouvier, parti acheter les bières), « pour prendre conscience qu’on est allé trop loin », clame Kleber Vidal. « On était dans un état second. Au moment des vidéos, j’ai détourné le regard, je ne suis pas allé au bout », se lamente-t-il. Les témoins parlent eux plutôt d’une soirée festive, où les cinq vont s’en prendre peu avant 2h du matin à des amis d’Edouard Klein qu’ils croisent. Le Priol exhibe notamment son couteau devant une jeune femme, ce qu’il reconnaît devant l’audience, prétextant qu’ils ont replongé « de suite naturellement dans un mode de défense. Je les menace, j’essaie de les faire fuir avec un couteau ».
L’ancien commando explique qu’il a eu une évolution psychologique « énorme » depuis les faits. Là encore, l’ombre de sa mise en examen le 1er avril dernier pour l’assassinat de Federico Martín Aramburú revient. Dans la salle, chacun se demande si l’affaire de la torture avait été jugée plus tôt, est-ce que le rugbyman serait encore de ce monde ?
La soirée du meurtre est d’ailleurs une rupture de leur contrôle judiciaire. « C’est la plus grosse erreur de ma vie », souffle Romain Bouvier. « On a été cons, on a pris une liberté qu’on n’aurait jamais dû faire », lâche Le Priol, qui avait déjà été condamné avec Bouvier pour des violences communes en mars 2017. À la fin de l’audience, ils parlent de leur vie de détenu, à la Santé pour le premier, à Meaux pour l’ancien commando. Le Priol est à l’isolement sous le régime « exorbitant », une vigilance accrue, traité « comme un terroriste » alors qu’il les a combattus. Malgré ça, il n’y trouve rien à redire et loue le système :
« Les prisons françaises sont tout à fait correctes, on est une belle démocratie. »
Au bout de la nuit, la procureure requiert cinq ans fermes pour Romain Bouvier et Logan Djian, quatre pour Loïk Le Priol car un expert psychiatre a reconnu une altération du discernement lors du lynchage de Klein. Pour Geoffrey Le Noir et Kleber Vidal, elle en demande également cinq mais avec un sursis de trois ans et un aménagement de peine. Le jugement est mis en délibéré au 29 juin. Alors que Bouvier et Le Priol repartent en prison, les autres sont rejoints par leurs amis. Dehors, ils proposent tous d’aller boire un verre.