Antisémites, identitaires, catho tradi’ au RN de Marine Le Pen on trouve encore toutes les familles les plus radicales de l’extrême droite. Et c’est sans compter ceux qui la soutiennent de l’extérieur. Revue des troupes.
« Sur certains sujets comme l’Europe ou l’économie, la ligne du RN a changé mais certains fondamentaux sont toujours là. » Au téléphone, ce cadre du RN qui souhaite rester anonyme a bien résumé la personnalité de ce FN 2.0. Marine Le Pen est plus techno et joue d’une fibre plus sociale, au point de se faire traiter de « gauchiste » par son propre camp. En dix ans, les militants les plus gênants ont été écartés du parti. Elle a arrondi les angles mais son programme comme son parti restent d’extrême droite. Dans les rangs du RN, il reste ceux qui sont plus discrets, bien implantés localement ou très proches de la candidate et qui ont évité les purges successives. Sous la couche de bleu marine, le brun n’a jamais totalement quitté le parti. Revue d’effectifs.
Des cadres radicaux toujours là
Au sein du bureau exécutif, saint des saints des soutiens de Marine Le Pen, l’image est correcte. Sur la photo de famille, il n’y a plus que Wallerand de Saint-Just et Philippe Olivier qui sentent le soufre. Le premier, avocat historique du parti, est un catholique traditionaliste forgé à l’aune de l’intégrisme de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie-X. Le second, en plus d’être le beau-frère de Marine Le Pen, est un ancien du Grece, ce club de pensée où s’est forgée la doctrine identitaire. Paradoxalement, Philippe Olivier est aussi l’un des principaux artisans de la dédiabolisation.
Mais ce n’est rien comparé aux membres du bureau national ou du conseil national du parti. Ces derniers sont élus par les militants ou directement « cooptés par la présidente » et sont censés incarner les différents courants de la grande famille nationale. Dans leurs rangs, on trouve bien des cadres toujours aussi radicaux. Et la palme revient sans doute à Bruno Gollnisch, vieux grognard du lepénisme qui fricote ouvertement avec les pires antisémites. Grand ami de Dieudonné, il commentait dimanche soir en direct par téléphone les résultats du premier tour pour Égalité & Réconciliation. Sur le site du multirécidiviste de la haine des juifs Alain Soral, où ce dernier lui donnait du « camarade », Gollnisch était comme à la maison. « Zemmour a attiré à lui la diabolisation et Marine Le Pen est apparue comme quelqu’un de tout sage et convenable, on se dit finalement que les gens du Rassemblement national sont bien comme il faut », s’est-il réjoui.
Bruno avec les copains. / Crédits : DR
Il faut dire qu’il s’y connaît en radicaux, Bruno. Il joue l’électron libre qui cajole ouvertement tout ce que l’Hexagone compte de nostalgiques de l’OAS, de cathos durs et de négationnistes. De racialistes aussi : pas plus tard qu’en novembre dernier, il était chez Henry De Lesquen, l’homme qui veut interdire la « musique nègre ». « C’est vrai qu’il est encore là, mais il n’a plus d’influence », tempère un cadre du RN.
Il n’y a pas forcément besoin de sortir des murs des instances de son parti pour donner dans le camaïeu de brun. Dans le bureau national, il y a encore Gilles Pennelle, historique du FN qui est passé chez Terre & Peuple, un groupuscule identitaire « philonazie ». Et dans le conseil national, on peut trouver Julie Rechagneux, épinglée en 2017 pour ses fréquentations de nostalgiques du IIIe Reich. Deux figures locales qui montrent la porosité toujours importante entre le parti dit de gouvernement et les milieux radicaux.
Un autre dur a un rôle bien plus important : Jean-François Jalkh. Député, conseiller régional, député européen… L’homme a multiplié les mandats et fréquente les hautes sphères du parti depuis des décennies. En 2017, il devait même en prendre la présidence par intérim le temps de la campagne. Mais le plan avait capoté quand La Croix avait exhumé des propos négationnistes. C’est un homme clef du système Le Pen. Même si, à cause des affaires sûrement, il se fait plus discret. Il reste « délégué national en charge des affaires juridiques ». Il aurait bénéficié d’un emploi fictif d’assistant parlementaire de Jean-Marie Le Pen au Parlement européen. Il a été condamné dans l’affaire d’escroquerie « Jeanne », liée à la campagne de 2012. Le Bygmalion du parti frontiste, vaste pompe à fric qui faisait cracher les petits candidats locaux (et la collectivité) pour remonter directement dans les poches des uns et des autres.
La « Gud Connection »
Une escroquerie dans laquelle on retrouve aussi les amis intimes de Marine Le Pen passés par le Gud, Axel Loustau et Frédéric Châtillon. Si le premier a été relaxé, le second a écopé de 30 mois de prison dont dix fermes et 250.000 euros d’amende « pour plusieurs escroqueries ainsi que pour une longue série d’abus de biens sociaux au préjudice de son entreprise, estimée à 500.000 euros par le tribunal ».
Les deux sont des durs qui n’ont jamais rompu avec la radicalité. À la veille du premier tour, StreetPress révélait les liens financiers étroits qu’ils entretiennent avec Alain Soral. L’un prêtant de l’argent, l’autre faisant travailler ses boîtes à son service. Malgré les multiples casseroles, Marine Le Pen n’a jamais rompu avec ses amis. Châtillon participe ainsi toujours à la campagne de 2022, révélait Le Monde. Pourquoi sont-ils toujours là alors qu’ils sont radioactifs ? « Parce que Marine les défend, c’est une question de fidélité. Elle pense aussi que le parti a besoin de gens prêts à faire des gardes à vue pour elle », nous glisse une source proche du RN.
Les identitaires sont très influents
Mais le RN de Marine Le Pen, ce ne sont pas que ces vieux cadres qui sentent la naphtaline. Le parti sait se renouveler. Sauf que le sang neuf s’est souvent lui aussi formé dans des groupes radicaux et notamment chez les identitaires. Le plus emblématique, c’est Philippe Vardon. Ancien cadre du Bloc identitaire, groupuscule d’où à émergé Génération identitaire, c’est aujourd’hui le boss du RN en région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur. S’il ne participe pas à l’état-major de la campagne de 2022, il reste un cadre important du parti et compte bien placer ses hommes et lui-même aux législatives.
Les Zid’ sont des obsessionnels du « grand remplacement ». Une théorie popularisée par Renaud Camus qui affirme qu’en France est à l’œuvre un processus délibéré de substitution des populations blanches de culture judéo-chrétienne par des populations essentiellement originaires des pays arabo-musulmans. Les apôtres de Camus et sa théorie complotiste et raciste sont nombreux au RN. Si Marine Le Pen refuse d’employer l’expression, l’actuel président du RN Jordan Bardella la fait volontiers sienne.
D’autres cumulent carrément les cartes : un pied au RN, l’autre dans un groupuscule identitaire. En 2021, Céline Tacher a par exemple été élue au conseil national du RN. Cette ancienne candidate de concours de beauté est également membre du collectif Némésis. Un groupe qui prône un « féminisme identitaire » et qui a appelé à voter Le Pen au deuxième tour de l’élection. Selon elles, sans immigration, les femmes seraient « plus tranquilles ». En février 2021, elles enfilaient des niqabs au Trocadéro et posaient derrière une banderole intitulée : « Les Françaises dans 50 ans ? ». Du pur « grand remplacement ».
Nemesis en action. / Crédits : DR
Dans cette nouvelle jeunesse se distinguent aussi Bastien Holingue, le chef du groupe Génération Identitaire (GI) en Normandie et responsable des Jeunes avec Marine pour la région. Ou Luc Lahalle, le collaborateur parlementaire de l’eurodéputée RN Catherine Griset et ex-président du syndicat estudiantin faf La Cocarde, qui fricote avec les Zouaves Paris. Pas trop regardant quant au passif de ses équipes, le conseiller régional des Hauts-de-France Philippe Eymery avait été épinglé pour ses assistants issus de La Citadelle. La franchise lilloise de GI, dont la violence avait été mise en lumière par le documentaire « Generation Hate » d’Al Jazeera.
Toutes les familles de l’extrême droite
Si on ausculte de près les instances dirigeantes du parti, on trouve encore des représentants de bon nombre de familles de l’extrême droite. En vrac : Thibaut de la Tocnaye qui a combattu avec les phalangistes libanais. Frédéric Boccaletti, le vendeur d’ouvrages racistes et antisémites condamné pour violence en réunion avec armes (un pistolet). Sans oublier les fans de dictateurs France Jamet et Thierry Mariani… La liste est longue.
Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes : au RN, il n’y a pas une génération diabolique et celle qui suit angélique. Et il ne s’agit pas non plus que de seconds couteaux : il se murmure que Thierry Mariani pourrait être ministre des Affaires étrangères si Marine Le Pen est élue. Vladimir Poutine et Bachar El-Assad doivent croiser les doigts…
Les fans de Zemmour
Bref, avoir réussi à lisser son image avec un tel aréopage de radicaux relève de l’exploit. Et d’ailleurs, les vrais radicaux ne s’y trompent pas. Comme un seul homme, dès le lendemain du premier tour, tout ou presque de ce que la France compte d’antisémites, de nationalistes ou encore d’identitaires a appelé à voter pour Le Pen. La vieille garde des nostalgiques des années 30 comme Pierre Vial. L’antisémite (et anti-maçonnique) Philippe Ploncard d’Assac. Des cathos intégristes comme Mathieu Goyer, leader de Civitas Paris. Et même un authentique néonazi, ancien du Blood and Honour France (encore un groupe dissous pour sa violence), un certain Pierre S. appelle à soutenir Marine Le Pen.
Pierre S., authentique néonazi et ancien du Blood and Honour France, appelle à soutenir Marine Le Pen. / Crédits : DR
Les fans de Zemmour, pas rancuniers, se sont aussi rangés en bon ordre derrière la représentante du camp nationaliste qualifiée au second tour. Dans le lot, il y a les influenceurs de la fachosphère comme Julien Rochedy, Papacito ou l’ex-boss de GI, Damien Rieu. Même si dans son cas, ça semble être à contre-cœur après avoir trahi le RN l’année dernière. Les autres membres de l’armée de l’ombre d’Eric Zemmour se sont aussi résignés à appeler au soutien de la candidate, comme les nostalgiques de Pétain du Parti de la France ou les identitaires de la vieille école de Synthèse nationale.
Après avoir appelé en 2012 et en 2017 à voter Marine Le Pen, le suprémaciste blanc Daniel Conversano avait commis une infidélité en misant sur Eric Zemmour pour ce premier tour. Il faut dire que le programme du candidat de Reconquête correspond beaucoup mieux à son discours ultra-radical, fait de supériorité de la race blanche et de « grande marche avec l’Est ». Pour autant, le racialiste s’est rangé au soir du scrutin. Il exhorte depuis ses ouailles à voter Le Pen. « Je préfère Eric Zemmour mais plusieurs points du programme de Marine Le Pen sont mieux », dit-il à StreetPress, citant notamment le référendum sur l’immigration que promet la candidate. D’ailleurs, ce second tour est en lui-même « un référendum à grande échelle sur l’immigration », assure Daniel Conversano. Et puis, « plus son score sera haut au second tour, plus les Français s’autoriseront à voter à droite (comprendre « extrême droite », ndlr) en 2027 », veut-il croire. Nous voilà prévenus.