Quatre historiens, Florian Besson, Mathilde Larrère, Guillaume Lancereau et Pauline Ducret, ont étudié le Puy du Fou, le parc de Philippe de Villiers. Bilan : on s’amuse bien, mais d’un point de vue historique, c’est du grand n’importe quoi.
Les auteurs le reconnaissent volontiers, pour ce travail, ils ont eu « des étoiles pleins les yeux et le cerveau qui bugge ». Trois jours durant, Florian Besson, Mathilde Larrère, Guillaume Lancereau et Pauline Ducret, historiens et historiennes travaillant chacun sur une période historique distincte, ont arpenté les allées du Puy du Fou et assistés aux spectacles grandioses imaginés par l’homme politique réactionnaire Philippe de Villiers et ses équipes.
De ce travail ressort un livre, Le Puy du Faux, enquête sur un parc qui déforme l’histoire, à paraître ce jeudi 24 mars aux éditions Les Arènes. Dans lequel les auteurs dénoncent les erreurs historiques, les contre-vérités et une vision de l’histoire réactionnaire, identitaire, ultra-catholique, anti-universaliste et anti-républicaine du parc. On a donc discuté avec Mathilde Larrère, spécialiste du 19e siècle, et Guillaume Lancereau, spécialiste de la Révolution française.
D’où est venue l’idée de travailler sur le Puy du Fou ?
Mathilde Larrère (ML) : L’idée de Florian Besson était de faire un livre qui traitait de l’usage public du passé. Ce qui a beaucoup été écrit sur le Puy du Fou, c’est ce qui concerne son traitement de la Révolution française, plus spécifiquement de la contre-révolution. En revanche, rien n’a été analysé sur le traitement des autres périodes, or le Puy du Fou couvre un arc chronologique très vaste, des romains jusqu’à la guerre de 14-18, voire dans le spectacle final quelques bouts sur la Libération.
Guillaume Lancereau (GL) : J’ai fait ma thèse sur l’historiographie de la Révolution française, la manière dont on utilise l’histoire à des fins politiques, quels sont les enjeux politiques de cette mobilisation de l’histoire. Et donc il y avait un intérêt assez évident à travailler sur un avatar contemporain de cette manière de faire. D’autant plus que l’histoire de la Révolution est une période qui est particulièrement utilisée au Puy du Fou. L’idée était de réfléchir à travers ce livre à la dimension potentiellement périlleuse pour l’histoire et pour la politique des manières non contrôlées ou trop intéressées de faire vivre l’histoire.
Vous écrivez que la vision de l’Histoire présentée au Puy du Fou participe à une bataille culturelle menée par l’extrême droite. Pouvez-vous détaille ?
ML : Il y a, au Puy du Fou, l’idée d’une France éternelle qui n’aurait jamais bougé, une France catholique. Une idée qu’on peut retrouver chez De Villiers et Zemmour. Il y a dans les spectacles ou dans les décors des instrumentalisations, des erreurs et des travestissements historiques. C’est un discours qui valorise la royauté, l’aristocratie française, le catholicisme. Et qui, par ailleurs, est peu républicain, excluant des étrangers, et laisse peu de place aux femmes.
GL : La vision de l’histoire qui est proposée est très favorable au catholicisme, très conservatrice, traditionaliste sur les rapports de genre. Une lecture qui idéalise la nation française, le peuple français qui aurait toujours été identitaire à travers les âges. On retrouve les ingrédients d’un discours antimoderne, anti-Lumières, contre-révolutionnaire, anti-intellectualiste. Ce sont des discours qu’on trouvait déjà dans la droite conservatrice contre-révolutionnaire catholique de la fin XIXe siècle et dans le discours anti-intellectualiste des anti-dreyfusard.
La construction du roman national au Puy du Fou va jusqu’aux animaux présentés dans le parc…
GL : Il y a cette idée de conservatoire des races anciennes, le parc serait une sorte de refuge pour ces races (vaches, volailles, ânes) qui sont en fait totalement fantasmées, elles ont été inventées assez tardivement en réalité. Il y a un phénomène qu’on appelle l’invention de la tradition chez les historiens, je crois que le concept est assez parlant. On invente une tradition en disant qu’il y a des choses qui ont existé de tout temps alors qu’en réalité ce sont des re-créations relativement récentes et qui permettent de créer une fausse continuité entre des phénomènes historiques.
Florian Besson, Mathilde Larrère, Guillaume Lancerneau et Pauline Ducret, historiens et historiennes travaillant chacun sur une période historique distincte, ont écrit Le Puy du Faux. / Crédits : Les Arènes
En plus des erreurs historiques, des périodes de l’histoire sont absentes du parc.
ML : Sur la période du XIXème siècle notamment, tout le mouvement ouvrier est complètement absent. En même temps, les autorités républicaines sont moquées, parce qu’elles sont soit complètement saoules, soit inefficaces. Il y a une critique très nette de la République, et en même temps une absence totale de réflexion sur cette modernité de la fin du siècle qui est juste présente sous la forme d’un vélo qui rouille dans un coin du village 1900. Mais la modernité sociale, le féminisme, le mouvement ouvrier, la politisation des classes populaires, tout ça est absolument absent.
Le parc se défend régulièrement de ces erreurs, contre-vérités et absences en disant que le but n’est pas d’instruire mais de présenter un divertissement. Qu’en dites-vous ?
ML : C’est souvent comme ça qu’ils répondent aux critiques qui peuvent être faites, par des visiteurs sur TripAdvisor ou dans les médias. Mais dans beaucoup d’interviews, De Villiers, lui, assume le fait que c’est de l’histoire. Le slogan du parc sur les affiches dans le métro c’est : « L’histoire vous attend ». Par ailleurs dans le parc, à aucun endroit il est indiqué : « Attention ce que vous allez voir est de la fiction ». Et, pire, dans les boutiques sont proposés des supports pédagogiques à destination des enfants qui reprennent les mêmes erreurs. On cite dans le livre le support sur les Romains, qui indique par exemple que César était empereur au moment d’envahir la Gaule, alors que c’est faux ! Si un élève reprend ça en cours il aura une mauvaise note.
Vous vous interrogez sur ce que les spectateurs retiennent de ces spectacles.
GL : Si on connaît un peu l’histoire de France quand on est Français, on peut à peu près se repérer. Mais qu’est-ce que les visiteurs étrangers retirent de spectacles qui sont aussi peu pédagogiques. Vous êtes plongés dans des schémas narratifs simples, qui marchent je pense, qui captent l’attention du public : il y a le blanc, le noir, les gentils, les méchants. On parle d’une histoire rassurante, il y a une volonté de surtout ne pas bousculer des représentations déjà structurées, notamment par l’école. Le discours n’est pas là pour instruire, pour surprendre, pour faire voir les choses sous un nouvel angle, il est là pour confirmer des idées reçues en permanence, et avec des récits qui suivent la trame narrative classique qu’on connaît.
À la fin du livre, vous vous amusez à imaginer des spectacles qui colleraient davantage à l’histoire. Peut-on envisager un contre-Puy du Fou ?
ML : Effectivement, il y a la possibilité – pas forcément de faire un contre-Puy du Fou – mais de faire un parc avec des spectacles et des décors, parce que c’est très réussi et très jouissif. Mais un parc qui transmette des connaissances scientifiquement établies et qui permettent de comprendre les sociétés du passé et les régimes du passé, qui ne soit pas au service d’une lecture à la fois erronée et politiquement orientée de ce passé.
GL : Il y avait la volonté de ne pas critiquer sans rien proposer. On trouvait ça assez divertissant de se dire ce qu’on ferait si on avait les moyens du Puy du Fou. Moi ça m’intéressait surtout de sortir du carcan nationaliste, en proposant un spectacle qui contiendrait les circulations transculturelles et géographiques au tout début de la modernité. C’était sur le premier russe converti à l’islam qui est parti en Perse, en Inde. C’est une manière aussi de montrer que les identités culturelles et religieuses pouvaient être beaucoup moins fixes que l’on se l’imagine et que la version proposée par le Puy du Fou.
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