Depuis 2013, l’officier de gendarmerie Hervé d’Argent occupe aussi la fonction de journaliste. Une violation de son devoir de réserve. Sanctionné pour ce double képi en 2017, il continue pourtant à travailler pour des publications d’extrême droite.
Dans le coin gauche, Hervé d’Argent de Deux Fontaines, capitaine de gendarmerie depuis 2011. Dans le droit, Hadrien Desuin, ancien élève de l’ESM Saint-Cyr et de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale, devenu journaliste et éditorialiste depuis 2013 pour des médias comme Causeur, Atlantico, le FigaroVox, Valeurs actuelles, le mensuel l’Incorrect ou la revue Conflits. A priori, rien de commun entre les deux, puisqu’un gendarme a un devoir de réserve qui l’empêche de donner son avis. Sauf qu’Hervé d’Argent de Deux Fontaines et Hadrien Desuin sont bel et bien la même personne.
Un double képi qui a déjà valu à l’officier de gendarmerie un blâme par sa hiérarchie il y a près de cinq ans, concomitamment à la publication de son livre La France atlantiste – critique d’une politique hexagonale vassale des États-Unis, aux conservatrices éditions du Cerf. Sauf que la sanction n’a pas calmé les ardeurs littéraires du militaire. Depuis 2017, il a rédigé des dizaines d’articles pour des publications marquées à l’extrême droite, en désaccord donc avec l’obligation de neutralité inscrite dans le code de déontologie des forces de l’ordre.
Pro-Russe
Contacté par StreetPress, Hervé d’Argent de Deux Fontaines a répondu à nos questions. Mais quelques minutes plus tard, gêné aux entournures, il demande à ne pas être cité. Il renvoie un message une heure plus tard en assurant que son compte LinkedIn n’est « pas à jour ». Selon nos informations, le képi a pourtant toujours la casquette d’adjoint au groupement II/3 de Mont-Saint-Aignan, comme l’indique sa page sur le réseau social.
Un rang qui n’a pas freiné sa productivité journalistique. Rien qu’avec l’Incorrect, le mensuel des proches de Marion Maréchal, le capitaine de gendarmerie a publié 56 articles sous l’alias Hadrien Desuin de 2017 à début 2021. En vrac, des interviews de Thierry Mariani, Frédéric Taddeï, Alain Bauer ou Mathieu Bock-Côté, un reportage dans une Vienne communautarisée ou un édito sur la Russie, « éternelle incomprise ».
Car le militaire issu d’une vieille famille noble est un grand fan du pays de Vladimir Poutine. Au sein de la revue Conflits – où l’on retrouve Pascal Gauchon, ancien d’Ordre nouveau, ou Xavier Raufer, passé par Occident – Hadrien Desuin est en charge d’écrire sur la politique étrangère. Dans un article d’avril 2021, le gendarme éditorialiste a par exemple critiqué la volonté de l’Europe de choisir la Russie comme son épouvantail. Juste après l’invasion russe de l’Ukraine fin février dernier, il a réédité dans une interview pour Marianne, avec une ligne peu ou prou similaire à celle d’Eric Zemmour :
« Malgré sa froide brutalité, Poutine est un acteur rationnel de la géopolitique mondiale. Avec le soutien tacite de la Chine, il a estimé qu’il devait prendre l’Ukraine par la force, de peur que l’armée américaine ne s’installe durablement à ses portes. »
En parallèle de ces jobs, l’officier d’Argent des Deux Fontaines a même, depuis un an et demi, le temps de mener une thèse d’histoire à la Sorbonne. Un travail consacré à Edouard de Laboulaye mené sous la direction d’Eric Anceau, ancien membre de Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan.
Une sanction à venir ?
En 2017, lors du blâme infligé par sa hiérarchie, le capitaine avait porté l’affaire devant le Conseil d’État. Les raisons de sa contestation ? Ses écrits ne constituaient « qu’une analyse critique voire satirique de la politique générale du gouvernement et non de la gendarmerie nationale ». D’autant que pour lui, utiliser un pseudonyme et ne pas dire qu’il était militaire l’avait « libéré du devoir de réserve ». Le Conseil d’État avait coupé net :
« Nous ne partageons cette argumentation sur aucun de ses deux points. »
L’institution avait critiqué les écrits du pandore gradé, « souvent très virulents, raillant les personnes pour atteindre leur politique », et avait rejeté son recours. Contactée pour savoir si l’officier-journaliste a à nouveau été sanctionné pour son activité cachée, la gendarmerie nationale a répondu que « des vérifications » étaient en cours pour vérifier la situation, pour le cas échéant « prendre des mesures adaptées à la situation ».