Ils sont cathos tradis, accros à la baston et fanas d’armes. Enquête sur ces militants d’extrême droite parfois en soutane qui veulent repartir en croisade armés de fusils à pompe.
« Ben voyons les amis, on va éclater qui là ? Du jeune gaucho ? Du jeune communiste ? Du jeune bougnoule mental ? » Ces deux fans de Zemmour se sont filmés juste avant Noël tirant au fusil à lunette. En guise de cible, ils imaginent hilares tirer sur Raquel Garrido et Alexis Corbière (LFI), Emmanuel Macron, les « antifas », les Maghrébins et les sans-papiers. Ces images, révélées par l’antifasciste Raphaël Arnault sur Twitter, ont fait le tour du web. Les deux tireurs ont été interpellés le 28 décembre et sont passés en comparution immédiate le lendemain.
Sur ces autres images obtenues par
Mediapart</a> , un autre homme, qui affiche également son soutien à Eric Zemmour sur les réseaux sociaux, s’interroge arme à la main : "Ben voyons les amis, on va éclater qui là ? Du jeune gaucho, du jeune communiste, du jeune bougnoule mental ?" <a href="https://t.co/KpeJ1FKVlc">pic.twitter.com/KpeJ1FKVlc</a></p>— Sébastien Bourdon (
seb_bourdon) December 20, 2021
À les entendre lors de l’audience, il ne s’agissait que d’une mauvaise blague « entre eux ». Et s’ils ont partagé ces vidéos sur Instagram, ce n’était que pour faire rire leurs amis. Selon le dossier que StreetPress a pu consulter, les deux gus qui racontent s’être rencontrés au meeting de Zemmour à Villepinte jurent n’être pas spécialement politisés. À peine reconnaissent-ils être « de droite »… Un peu comme ces influenceurs fafs qui n’admettent jamais être « d’extrême droite ».
Sur Instagram, Benjamin S., militaire de son état, s’était aussi choisi pour pseudonyme « Miles christi », soit « soldat de Dieu ». Comme évoqué dans Libé (par les auteurs de ces lignes), ce servant de mortier au Régiment de marche du Tchad s’affichait sur sa photo de profil qu’il a changée depuis avec un tee-shirt de la marque « Milites Christi ». Pour « soldats de Dieu », mais au pluriel cette fois. Un label dont les sapes sont très prisées chez ces néonazis fantasmant de prendre les armes au nom du Christ. Pour faire sa pub, la marque fait poser des militants ultra radicaux, comme des leaders des groupes néonazis Blood and Honour (interdit depuis 2019) ou du White Wolf Klan (« le plus violent et le plus bête de France », selon une enquête de StreetPress en 2017). Et Ouest Casual, canal Telegram nazifiant des héritiers du GUD, fait également la promo de la marque.
Certains « mannequins » de « Milites Christi » posent fusil d’assaut à la main et avec des tee-shirts proclamant « pour la gloire de Dieu ». / Crédits : DR
Les fafs, moins païens, plus cathos
Fin novembre, Emma Audrey, journaliste du média bisontin Radio Bip, s’inquiétait qu’un autocollant Milites christi ait été apposé sur la porte de sa rédaction, en pointe sur le traitement de l’extrême droite. Sur ce sticker, un soldat moderne et un chevalier, armés sous une grande croix chrétienne. En légende : « Défenseurs de la foi », en anglais. De quoi alerter quand on sait que certains « mannequins » de « Milites Christi » posent fusil d’assaut à la main et avec des tee-shirts proclamant « pour la gloire de Dieu ». L’imagerie des croisades est omniprésente.
Cet autocollant a été apposé sur la porte de notre rédaction. Milites Christi "les soldats du Christ" est utilisé par l'extrême droite qui veut remettre au goût du jour les croisades. C'est le fantasme d'une Europe pure, fantasme moteur du terroriste Anders Berhring Breivik… pic.twitter.com/3qBXNvV3×2
— Emma Audrey (@emma_audrey_fr) November 22, 2021
C’est que si le skinhead nationaliste des années 80 était à fond dans le trip païen, depuis le tournant des années 1990-2000 et plus encore depuis les attentats de 2015, c’est le faf identitaire, imprégné de catholicisme traditionaliste ou intégriste, qui revient en force. Le chercheur Jean-Yves Camus explique à StreetPress :
« Les identitaires, notamment ceux élevés dans l’ambiance néopaïenne ou laïque d’Unité radicale, ont fini par considérer que le catholicisme, au moins culturellement, était un élément fondamental de la civilisation européenne. Le cheminement se fait de l’idéologie vers la religion. »
Sur la vidéo qui l’a conduit devant les tribunaux, Benjamin S. – le militaire qui « s’amuse » à tirer sur des Insoumis et des sans-papiers – porte un t-shirt de la marque française Kalos. Sur le pectoral figure un chrisme, un des symboles les plus connus du christianisme primitif. La manche est discrètement frappée des couleurs bleu blanc et rouge.
Plus « grand public » que Milites Christi, Kalos n’en est pas moins une marque d’extrême droite. Dans son catalogue, on trouve des références à la bataille de Poitiers, fleurs de lys, casque et lambda spartiate, francisque… Clin d’oeil à cette actu qui séduit les fafs autant que les complotistes : la marque vend un masque siglé « big pharma » et « Covid 1984 ». Le youtubeur identitaire au passé de skinhead d’extrême droite Baptiste Marchais fait par exemple régulièrement la promotion de cette ligne de vêtements montée par deux jeunes Lyonnais.
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L’abbé bagarre
On retrouve aussi Kalos sur les épaules du religieux Matthieu Raffray. Sur son compte Instagram, il s’affiche avec un hoodie « Fidem » (« foi » en latin) de la marque. Le prêtre français n’est pas avare de ces petits « coups de pouce » à la mouvance dont il est l’une des figures montantes. Jeune quadragénaire, assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur (voir en fin d’article) fondé par des anciens cadres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie-X intégriste, Matthieu Raffray est un « abbé connecté ». Il compte plus de 13.000 fans sur Instagram où il est très actif, près de 7.000 sur Twitter et 1.300 sur YouTube. Son slogan, qu’il affiche en fin de bio sur ses différents réseaux :
« Bagarre, bagarre, prière. »
Tout un programme, qui résume à lui seul les envies d’en découdre au nom de Dieu mais surtout contre ses « ennemis », les musulmans notamment. Sur Instagram toujours, l’abbé FAF appelle explicitement ses fidèles à prendre les armes pour partir en croisade. Il n’est pas le seul à fantasmer un retour des templiers.
Soutane et fusil à lunettes. / Crédits : DR
Les nouveaux templiers
Vice a enquêté sur la Fraternité des Templiers catholiques du Monde, un groupe de quinquagénaires, anciens policiers ou militaires pour certains, qui rejouent la « défense de la France chrétienne » en aube blanche frappée de la croix rouge des Templiers et l’épée ceinte au côté. Si ça peut passer pour de pacifiques reconstitutions, ces néo-chevaliers entendent bien « s’organiser en milice pour occuper le terrain. Ils se postent au fond des églises, à plusieurs, pour surveiller des messes », précise ainsi le site.
Les moines-soldats, ça fait aussi rêver les plus vieux. / Crédits : DR
Ce ne sont pas les seuls à se rêver en grand maître du Temple de Jérusalem. D’autres groupes comme « les pauvres chevaliers du Christ » trustent aussi ce créneau. Dans leurs rangs, on trouve un certain Françis Maginot, dont StreetPress a déjà parlé. Cet ancien militaire est accusé d’avoir participé au complot de Rémy Daillet-Wiedemann pour renverser la République. Il est actuellement mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste ». D’autres terroristes d’extrême droite endossent cet héritage. Anders Breivik (77 morts et 151 blessés à Utoya et Oslo en 2011) se définissait comme un guerrier en croisade. Brenton Tarrant (51 morts et 49 blessés à Christchurch en 2019) était obsédé par une représentation fantasmée de ces expéditions guerrières. Tous deux se rêvaient en « soldat de Dieu ».
Les croisés du web
Si elles ne portent que rarement la robe blanche bardée d’une croix rouge, les principales têtes d’affiche de la fachosphère multiplient elles aussi les références, voire les appels à la croisade. Valek (375.000 abonnés sur YouTube) « part en croisade avec SOS Calvaire ». Papacito (170.000 abonnés) a fait de « l’ultime croisade » un bouquin et se grime en chevalier avec son pote Baptiste Marchais (236.000 abonnés). Ce dernier s’est même fait tatouer sur le bras Godefroy de Bouillon, premier roi de Jérusalem devenu un héros des romans nationaux belge et français. L’ex-FN Julien Rochedy (135.000) lui consacre d’ailleurs, ainsi qu’aux croisades, tout un pan de sa récente « conférence » sur la chevalerie. Une causerie de trois heures qui se résume, selon les historiens du site Actuel Moyen Âge, à une vidéo mêlant « erreurs, inventions et biais idéologique omniprésent ».
Sous la cuirasse, façon Les Visiteurs, Papacito (à gauche) et Baptiste Marchais (à droite), deux YouTubeurs d'extrême droite. / Crédits : DR
« Croisade », c’est aussi le titre du court-métrage du faf pro-armes Code Reinho (320.000 abonnés sur YouTube). Un ancien militaire qui enfile encore parfois son treillis pour tirer avec Papacito au fusil à pompe sur un mannequin symbolisant un « gauchiste ». Pourquoi a-t-il choisi ce nom ? Car les croisades consistaient selon lui – tenez-vous bien – « pour les Francs » à « défoncer des musulmans radicaux ». Quelque part, un médiéviste vient de faire un malaise. Mais cette bouillie pseudo-historique est surtout idéologique, proclame Code Reinho :
« Et ça on doit en être fier, surtout qu’aujourd’hui, on n’arrive même pas à le faire en France. »
« Ce qui plaît à ces gens dans leur image faussée des croisades, c’est surtout le fantasme de victoire totale contre l’islam, de refouler les musulmans », décrypte l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg. De quoi légitimer une envie d’en découdre :
« C’est un mythe mobilisateur qui dépasse la seule opposition à l’islam et permet la “reconquête”… C’est galvanisant pour les troupes, ça leur permet de s’imaginer en héros. »
Logique qu’ils aillent piocher dans ces grandes épopées opposant un Occident chrétien guerrier à des musulmans envahisseurs. Rochedy assure par exemple sans sourciller que ces derniers avaient « conquis une bonne partie de l’Europe », citant… « l’Espagne ». Qu’importe aussi que les croisades aient fini en Berezina, visiblement. C’est occulté. Tout comme le sont celles menées sur le sol de ce qui deviendra la France telle qu’on la connaît (contre les Albigeois). Ou les massacres de Baltes et de Lituaniens.
Perfusés aux théories racistes et complotistes comme celle du pseudo « grand remplacement », ces militants imaginent leur « civilisation » menacée de disparition face à « l’invasion ». Un discours qui résonne d’ailleurs avec la « Reconquête » dont Zemmour a fait le nom de son parti. Ces gens s’estiment en danger de mort. Et donc légitimes à prendre les armes pour se défendre. Ou du moins invitent à s’y préparer.
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Un abbé qui entraîne ses ouailles au combat
Le slogan « bagarre bagarre prière » de l’abbé Raffray, qui voit d’ailleurs dans le « Z » le meilleur candidat pour 2022, prend ainsi tout son sens. Plus de poings que de chapelets. Sur son compte Instagram, l’imagerie guerrière est récurrente. Comme cette photo de nonnes épaulant des fusils de chasse. En légende : « La croisade, c’est aussi pour vous mesdames… Voilà le féminisme comme on l’aime ! », assorti de l’inénarrable slogan « #bagarrebagarreprière ». « Faites la guerre, pas l’amour », intime celui qui se met régulièrement en scène armes à la main, fusil ou épée. Toujours en soutane.
Il trouve aussi que Soral est « un mec solide qui a compris l’empire (la périphrase de Soral pour la prétendue mainmise des Juifs) grâce à qui pas mal de gens ont retrouvé l’amour de la France ».
Outre ses apparitions régulières dans les médias de la fachosphère ou aux côtés d’autres influenceurs d’extrême droite, l’abbé Raffray entretient ses réseaux. La semaine dernière, il annonçait ainsi donner une conférence le 6 janvier sur « la pensée traditionnelle contre la pensée moderne » à Rouen. Un événement organisé au Mora, le bar du groupuscule qui a repris le flambeau en Normandie de Génération identitaire après son interdiction. En juillet-août, l’abbé battait le pavé dans les cortèges anti-pass de Philippot. En juin, il organisait une réunion de ses abonnés Instagram où ont été aperçus Alice Cordier, présidente du groupe féminin identitaire « Collectif Némésis », ou encore le journaliste de Valeurs actuelles Baudouin Wisselmann. En octobre, il dînait avec Julien Rochedy à Rome au Carré français, le resto de Frédéric Châtillon, l’ami intime de Marine Le Pen mouillé dans les affaires de financement illégal du RN et ancien patron des néofascistes violents du GUD.
Matthieu Raffray est hyperactif. Le 6 janvier, il donnait une conférence à Rouen, au Mora. Le bar du groupuscule qui a succédé à Génération identitaire en Normandie. / Crédits : DR
Raffray n’est pas qu’un influenceur qui proclame son désir d’un « catholicisme viril »… Comme le relève le site antifasciste La Horde, il organise aussi des stages visant à « former des hommes virils ». Ceux-ci sont fidèles au slogan du religieux : on y prie et on y écoute des conférences de Baptiste Marchais ou de Christopher Lannes, animateur de TV Libertés. En dehors de ces temps de réflexions, les participants jouent au ball-trap avec des fusils de chasse et s’entraînent au (sports de) combat sous la houlette de Victor Aubert, président des cathos identitaires Academia Christiana. Une association fondée par Julien Langella, également cofondateur de Génération identitaire.
Sur la chaîne d'extrême droite TV Libertés, le YouTubeur faf Baptiste Marchais et l'abbé bagarreur Matthieu Raffray approuvent un « catholicisme viril », et surtout violent. / Crédits : DR
Un juste renvoi d’ascenseur. Car fin août, l’abbé Raffray était l’une des têtes d’affiche de l’université d’Academia Christiana, où se sont pressés les radicaux fous de Dieu et de baston. Les cathos tradis de Civitas mais aussi les cathos identitaires de l’Alvarium et de d’Auctorum. Le premier est un groupuscule angevin récemment dissous, très proche du second basé à Versailles. Bien peignés, ces gosses de bonne famille sortent à l’occasion le bombers et les gants renforcés. Samedi, ils posaient avec les Zouaves dans la manif anti-pass par exemple. Cet été, ils ont fait une journée de cohésion avec les groupes Paris nationaliste (excroissance dans la capitale des dernières troupes du pétainiste Yvan Benedetti) et les jeunes néofascistes de Luminis Paris. Et les exemples sont légion. Sans le reprendre forcément, ils appliquent à la lettre le slogan « bagarre bagarre prière », dans cet ordre, de l’abbé Raffray.
L’Institut du Bon Pasteur, c’est quoi ?
L’institut du Bon Pasteur (IBP) regroupe des prêtres comme l’abbé Raffray et des séminaristes catholiques traditionalistes, c’est-à-dire opposés à la réforme liturgique initiée par Vatican II. Dans les faits, il s’agit d’une congrégation visant à faire revenir dans le giron de l’Eglise les exclus de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X fondée en 1970 par monseigneur Lefebvre. « On est clairement dans quelque chose qui s’inscrit à l’extrême droite », décrypte une journaliste spécialisée.
L’IBP a d’ailleurs été fondé par des anciens de la FSSPX parmi lesquels on trouve l’abbé Guillaume de Tanoüarn, une figure importante du catholique traditionaliste. Un homme de foi et un homme de presse. « Il est aussi à la tête du magazine Monde et Vie dont il a repris la direction avec Paul-Marie Coûteaux et Gabrielle Cluzel », explique Jean-Yves Camus à StreetPress. « Il est copain avec tout le monde et collabore avec beaucoup de publications dont des revues de la Nouvelle Droite. »
« Tanoüarn est moins obsédé par la croisade et l’islam que Raffray. D’ailleurs, il fait de la politique notamment dans son journal qui est loin d’être un journal de paroisse. On y parle de l’élection présidentielle avec Jean-Yves Le Gallou ou Bernard Antony », détaille le chercheur.
Contacté, l’abbé Matthieu Raffray n’a pas souhaité répondre à nos questions.