09/11/2021

Antisémite, antivax et « anti-journalope »

L’ancien du FN passé chef de la « branche militaire » du complot d’extrême droite de Rémy Daillet-Wiedemann

Par Pierre Plottu ,
Par Maxime Macé

Francis Maginot s’est rêvé député, candidat en 2012 sous l’étiquette Front national. Il a ensuite envisagé de prendre le pouvoir par la force aux côtés de Rémy Daillet-Wiedemann. Explosifs, armes… Le projet était sérieux.

S’il a tout du paisible retraité, il n’en est rien. Francis Maginot, candidat pour le Front national de Marine Le Pen pour les législatives de 2012, est soupçonné d’avoir voulu renverser le gouvernement aux côtés du complotiste d’extrême droite Rémy Daillet-Wiedemann. Selon le dossier d’enquête que StreetPress a pu consulter, les enquêteurs de la DGSI estiment qu’il a joué un rôle prépondérant dans cette tentative de coup d’État.

Cet ancien militaire est ainsi un de ceux qui se cachent derrière « l’opération Azur », ce projet de coup d’État violent monté par le complotiste d’extrême droite Rémy Daillet-Wiedemann (RDW) dont Le Parisien révélait la mise en examen fin octobre. L’ancien candidat FN avait un rôle-clef dans ce scénario qui semble tiré d’un mauvais film d’action. Selon le chef de l’organisation, Francis Maginot était chargé de « prendre en charge la création de bataillon de combattants », selon un des nombreux mails joints au dossier par les enquêteurs de la DGSI.

Le « Colonel Quinze »

Lors de ses auditions par les services de renseignement, Maginot a tout fait pour minimiser le rôle qu’il avait au sein de l’organisation de « RDW ». Il n’aurait fait « que conseiller » ce dernier, voire même n’avoir « discuté que quelques minutes avec lui ». Seulement voilà, poussé dans ses retranchements par les enquêteurs de la DGSI, Francis Maginot a craqué et reconnu être, sous le pseudonyme de « Colonel Quinze », en charge du recrutement des membres et de leur « coordination en groupes d’actions » sur « les instructions de Daillet » dans le cadre de ce qu’il appelle « une organisation de résistance ». Avec une appétence particulière pour les policiers et militaires, en activité ou non. Il avait ainsi nommé plus d’une trentaine de chefs de groupe répartis un peu partout sur le territoire.

Résistance à quoi au juste ? À « un pouvoir tyrannique criminel, liberticide et complice du nouvel ordre mondial », selon un mail envoyé le 17 janvier par Francis Maginot à plusieurs membres de l’organisation de Rémy Daillet. « Il faut libérer notre pays tout en évitant toute effusion de sang inutile. Ce n’est pas au peuple de France que nous faisons la guerre mais à ceux qui ont usurpé le pouvoir au peuple », poursuivait-il dans le même message, bien qu’il récuse devant les enquêteurs toute velléité de coup d’État.

Un plan sans accroc

Il est pourtant l’un de ceux qui ont développé les actions à mener dans le cadre de « l’opération Azur », dont les détails ont été révélés par Le Parisien. Ainsi, le groupuscule fantasmait une prise du pouvoir par un assaut contre l’Élysée et l’occupation des principaux médias du pays. Il envisageait la confrontation avec les forces de l’ordre avec ses propres troupes, acheminées vers Paris, équipées de boucliers anti-émeutes artisanaux, d’explosifs improvisés, de cocktails Molotov voire… d’armes médiévales.

Dans son plan, auquel Francis Maginot a activement participé, Rémy Daillet-Wiedemann expliquait à ses troupes qu'elles allaient se confronter avec les forces de l'ordre, en étant notamment équipées d’armes médiévales... / Crédits : DR

Les militants seraient ainsi divisés entre les « voltigeurs » – des manifestants qui iraient massivement face aux forces de l’ordre sans les attaquer pour les saturer –, les « grenadiers », chargés du jet de projectiles incendiaires et fumigènes, et les « assaillants », ceux qui, selon les mots de « RDW », « vont au contact et blackboulent l’adversaire », prévoyait le plan. Et si certains membres du réseau ont évoqué pendant leurs auditions une action se voulant « pacifique », tout porte à croire qu’il n’en était rien. « L’ordre d’ouvrir le feu peut être donné », a écrit noir sur blanc et à plusieurs reprises Rémy Daillet-Wiedemann à ses troupes.

Pour RDW et Francis Maginot, les militants pour destituer la République seraient divisés en trois, les « voltigeurs », les « grenadiers » et les « assaillants ». / Crédits : DR

Une volonté d’attentat

Par mail, Francis Maginot proposait aussi de s’en prendre à des « centres de vaccinations » ou « des usines de fabrication de vaccins », à coups de cocktails Molotov. « L’objectif n’est pas de tuer ou blesser qui que ce soit, mais bel et bien de dissuader la population de participer à son propre génocide », précisait-il. Il recommandait également d’attaquer les émetteurs TdF (des antennes de radiotélévision) afin de couper la diffusion des informations pour « couper la langue du serpent médiatique ». Toujours dans la même optique, « Colonel Quinze » suggérait de s’en prendre physiquement à des « journalopes ».

Plus inquiétant encore, Francis Maginot aurait donné des conseils pour « améliorer » la recette de celui qui semble être l’artificier et qui avait fourni un tuto pour fabriquer des explosifs artisanaux et des cocktails Molotov. Questionné sur ce point lors de sa garde à vue, l’ancien militaire s’est borné à expliquer qu’il répondait par simple curiosité intellectuelle, celle « d’un ingénieur qui peut donner des conseils techniques »…

Pour Francis Maginot, il est normal d'agresser les journalistes. Ce dernier a aussi essayé d'améliorer des recettes de cocktails Molotov. / Crédits : DR

Une curiosité intellectuelle qui prend un écho particulier quand on sait que Francis Maginot était aussi en contact étroit avec les individus interpellés dans le cadre du « projet Alsace », un projet d’attentat à l’explosif contre une loge maçonnique organisé par un groupe de néo-nazis. Les auditions des différents protagonistes de cette tentative de passage à l’acte avortée, notamment celle du chef présumé de la cellule Denis L., montrent une proximité importante avec Francis Maginot et son épouse, au point de passer le réveillon de 2020 ensemble. Cela même alors que « Colonel Quinze » a fait partie de la franc-maçonnerie à Madagascar, où il a été longtemps expatrié.

Un antisémitisme forcené

Il faut dire que les deux hommes partagent un antisémitisme forcené, bien que, encore une fois, Francis Maginot s’en soit vertement défendu en audition. Et pourtant, la perquisition à son domicile a permis aux enquêteurs de mettre la main – outre un revolver, détenu sans autorisation, trouvé dans sa table de chevet – sur une importante collection d’ouvrages racistes et antisémites. Dont un exemplaire de Ma doctrine d’Adolf Hitler, une édition française de 1938 de Mein Kampf à laquelle ont été ajoutés de nombreux discours du Führer. Ou encore l’ouvrage De la question juive de l’abbé Olivier Rioult, antisémite notoire qui s’était par exemple fait prendre en photo faisant une quenelle avec Dieudonné.

Les lubies antisémites de Francis Maginot ont été retrouvées par les enquêteurs jusque dans le téléphone portable de l’intéressé. Des images dignes des pires caricatures de l’entre-deux-guerres qui se seraient retrouvées involontairement sur son téléphone a avancé Maginot, selon qui « le simple fait d’aller sur un site et bien ça vous télécharge la photo ou l’image dans la galerie »…

Les lubies antisémites de Francis Maginot ont été retrouvées par les enquêteurs jusque dans le téléphone portable de l’intéressé. Des images dignes des pires caricatures de l’entre-deux-guerres. / Crédits : DR

Seulement voilà, Francis Maginot n’est donc pas tout à fait un inconnu. Il a été candidat pour la 10e circonscription des Français de l’étranger (Afrique de l’Est, Centrale et du Sud) pour le Front national de Marine Le Pen en 2012. Il figurait aussi dans les candidats ou ex-candidats FN épinglés en 2014 par L’Express pour son racisme, son antisémitisme et son islamophobie, notamment pour des posts sur les réseaux sociaux. L’hebdomadaire avait relevé un message daté de 2013 d’un certain « Rémy DW » (Rémy Daillet-Wiedemann) aux relents complotistes antisémites, relayé par Maginot.

Dès 2013, Francis Maginot relayait les posts complotistes et antisémites de Rémy Daillet-Wiedemann. / Crédits : DR

La participation de Francis Maginot au projet de coup d’État de Rémy Daillet-Wiedemann a, selon lui, brutalement pris fin à la mi-janvier 2021. L’ancien candidat FN n’était plus sur la même longueur d’onde que « RDW » et a envoyé un message à d’autres cadres du groupe pour dénigrer le chef qu’il décrit comme « un pervers narcissique analogue à Macron ». Maginot a alors cédé la tête de la branche militaire à Christophe M., un ancien lieutenant-colonel de l’armée avec qui il co-organisait déjà les troupes, tout en assurant à ses camarades qu’il restait un « homme de l’ombre », persistant à vouloir renverser le gouvernement. Son nom continuera à apparaître dans certains échanges jusqu’à son interpellation par les hommes de la DGSI début octobre et sa mise en examen pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes », le conduisant en détention provisoire.

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Contacté par Streetpress, le Rassemblement national n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Edit le 09/11/21 : Nous avions écrit que le Front national était dirigé par Jean-Marie Le Pen en 2012. C’était en fait Marine Le Pen, depuis 2011.