Collectes de produits de première nécessité et distributions alimentaires, le Bastion Social se met en scène. Mais derrière cette vitrine se cache un groupe néo-fasciste habitué de la castagne et des tribunaux qui a ouvert des bars militants dans 6 villes
Champs-Élysées, Paris – Au milieu des badauds en gilet jaune, ce samedi 1er décembre, se forme un cortège de plusieurs dizaines de militants d’extrême droite. Au pied de l’Arc de triomphe, ils prennent la pause derrière une banderole :
« Le peuple aux abois, tuons le bourgeois »
/ Crédits : DR
La fine équipe regroupe des hooligans venus de Nancy, une poignée de nationalistes autonomes, mais surtout des anciens du Groupe Union Défense (GUD, groupuscule néo-fasciste violent) aujourd’hui affiliés aux Zouaves et au Bastion Social. Après la session photo, l’équipe part au contact avec les forces de l’ordre. La semaine suivante, six d’entre eux se font cueillir au petit matin par la police. Comme StreetPress vous le racontait, ils sont mis en examen pour des violences et dégradations commises sur l’avenue parisienne. Tous, à l’exception d’Aloïs V. envoyé derrière les barreaux de Fresnes, repartent libres en attendant leur procès. Au moins quatre des mis en examens sont membres du Bastion Social (BS). À Chambéry, le samedi 15 décembre, des militants du Bastion se sont placés en tête du cortège des gilets jaunes, brandissant une banderole « Stop à la finance, libérons la France ». Une présence qui a fait grincer des dents. À Strasbourg, le mouvement gère la page Facebook Strasbourg se soulève, qui ne regroupe que 600 likes mais se définit comme la « page fédératrice du mouvement gilets jaunes » de la ville.
En un peu plus d’un an d’existence, ce groupuscule d’inspiration néo-fasciste s’est implanté dans six villes de France. Pour s’ancrer dans les différents territoires, le BS reprend la stratégie qui a fait le succès de CasaPound en Italie. Ouvrir des lieux et mener des actions politiques et « sociales » qu’ils médiatisent sur les réseaux sociaux. À l’extrême droite, le mouvement a la côte : autour d’un noyau venu du GUD, se rassemblent des ex-royalistes de l’Action Française, des identitaires, des skinheads et des hooligans recrutés dans les travées des stades. Aujourd’hui ils seraient près d’une centaine de membres actifs, capables de mobiliser plus largement sur certaines « actions ». Mais derrière la vitrine politique lisse, se cache un groupuscule ultra-violent qui multiplie les agressions.
On ne se pose pas la question assez souvent / Crédits : Yann Castanier
Les débuts lyonnais
Fin mai 2017, à Lyon. Au 18 rue du port-du-temple, la jeune garde du GUD ouvre un squat dans un immeuble abandonné. Sur sa devanture, trois banderoles : « Un foyer pour les Français », « Réquisition solidaire » et surtout « Bastion social ». Leur objectif revendiqué est d’accueillir des personnes en difficulté mais seulement de nationalité française. Le slogan « les nôtres avant les autres » ponctue leur communiqué. À la manoeuvre, on retrouve Steven Bissuel et Logan Djian. Tous les deux ont des parcours judiciaires tumultueux. Le premier a écopé de deux mois de prison ferme pour l’agression de deux manifestants lors d’un rassemblement contre le député européen Front national (FN) Bruno Gollnisch en 2011.
Le second, surnommé « le Duce » en raison de son admiration pour Mussolini, a été comme le révélait Mediapart, mis en examen pour violences aggravées, en octobre 2015, pour avoir agressé et torturé l’ancien boss du GUD. Placé en détention provisoire, Logan Djian a été libéré un mois plus tard contre le paiement d’une caution de 25.000 euros, mais reste interdit de séjour en Île-de-France. Il est ensuite condamné à un an de prison ferme en 2016, pour l’agression d’un journaliste lors d’une action de la Manif pour tous trois ans plus tôt et est incarcéré en décembre 2017 à Lyon. Il prend deux mois supplémentaires en janvier 2018 pour avoir violenté neuf Femen et une photographe lors d’une autre manif contre le mariage pour tous, en 2012. À l’été 2016, celui qui fait figure de nouveau chef du GUD, s’installe à Lyon où il ouvre un Tattoo Shop, rapporte La Horde.
À l'ukrainienne / Crédits : Yann Castanier
Une vitrine sociale
Trois semaines après la très médiatisée ouverture du squat, le petit groupe est expulsé. Mais les bases du Bastion Social sont posées. Le 21 novembre, le GUD s’auto-dissout au sein du BS et publie un manifeste où il met en avant « la justice sociale ». Une dimension au coeur de la communication du mouvement politique. Novembre 2018, le Bastion Social ouvre, le temps d’une soirée à Marseille, les portes de ses sections du sud de la France. Face à StreetPress, les militants natio’ mettent en avant leurs actions « solidaires ». Baudouin, blondinet au sweatshirt rouge Weekend Offender et chevalière à l’annulaire gauche, responsable de la section d’Aix-en-Provence, explique qu’avec ses troupes il est allé aider les sinistrés de l’Aude en octobre. « On a eu de très bons contacts avec un maire, il devrait nous rappeler », assure-t-il.
Un sans-abri qui s’est réfugié plus bas, dans la rue du Fort Notre-Dame, débarque, profite de l’ambiance et se voit offrir à grignoter. Ce sont des membres du Bastion qui l’ont vu dans la rue et lui ont proposé de venir. « Moi je suis là pour la bière ! », dit-il en riant. Sur une petite table à gauche de l’entrée, des sachets de pâtes côtoient des sucres en morceaux. Quatre bouteilles d’eau et des BD de Cédric ou Tintin complètent le lot. Des vêtements sont entreposés dans une armoire à côté. Plus tôt dans la soirée, un homme âgé est passé récupérer des fringues et de la nourriture. Pour garnir la petite réserve à victuaille, la section marseillaise organise ponctuellement des récoltes alimentaires et même des actions de nettoyage, qu’elle n’oublie pas de partager sur les réseaux sociaux. L’occasion aussi de diffuser un tract expliquant que les produits sont destinés aux « Français dans le besoin ». Sur leurs pages Facebook, les sections de Strasbourg ou Lyon se mettent en scène en maraude, distribuant de la nourriture aux SDF « français » uniquement.
Au bar III / Crédits : Yann Castanier
Casapound, leur modèle
Le mouvement copie ce qui marche de l’autre côté des Alpes, chez CasaPound. Ce groupe néofasciste italien a été lancé en 2003 et compte des locaux dans plus d’une centaine de villes. Là aussi, la préférence nationale est de mise. La « Maison Pound » porte le nom du poète américain Ezra Pound, admirateur du dictateur Benito Mussolini et s’adresse aux souverainistes dégoûtés du capitalisme, hostiles à l’Union européenne et allergiques aux immigrés. Les échanges entre CasaPound et le BS sont réguliers.
Ainsi, le créateur du mouvement Italien, Gianluca Iannone, était venu saluer le Bastion lors de l’occupation du bâtiment à Lyon en juin 2017. En octobre de la même année, des délégations d’Aoste et de Parme étaient venues à une manifestation du GUD « contre l’immigration, l’Union européenne et la préférence étrangère ». Pour des conférences ou simplement pour partager quelques verres, les militants italiens visitent régulièrement les différentes sections du BS. L’un d’eux a même filé un coup de main pour la mise en place du Navarin, leur local à Marseille. Les Français traversent aussi régulièrement les Alpes pour chercher conseil auprès du grand-frère italien. Les deux mouvements partagent aussi une même ligne politique. Celle du néo-fascisme. « On revendique des choses qui sont clairement dans la ligne du fascisme », explique un ancien membre :
« Au niveau du Bastion social, on est des nationalistes-révolutionnaires, c’est ça notre politique. Parce que le fascisme, c’est aussi être nationaliste-révolutionnaire, comme en Italie. On a toujours cet ADN du GUD. »
Casapound, grand frère italien / Crédits : Yann Castanier
Créer un maillage territorial
Depuis le passage du GUD au Bastion social, le mouvement a essaimé. Six locaux et bars associatifs ont été ouverts. Il y a le Pavillon Noir à Lyon, l’Arcadia à Strasbourg, l’Edelweiss à Chambéry, la Bastide à Aix, le Navarin à Marseille et l’Oppidum à Clermont-Ferrand. Une nouvelle section pourrait également bientôt voir le jour dans les Alpes-Maritimes (06). Lors d’une soirée au Navarin, leur bar marseillais, alors que les petites enceintes lancent des musiques de rock identitaires comme Bronson, In Memoriam ou Zetazeroalfa (le groupe de Gianluca Iannone, chef de CasaPound), des voisins niçois venus profiter de la soirée provençale se lâchent. Un ancien ponte des Jeunesses Nationalistes locales (groupe dirigé par Alexandre Gabriac, jusqu’à sa dissolution après le décès de Clément Méric) explique qu’il va bientôt y avoir une succursale dans la ville de Christian Estrosi. « Le Bastion a le vent en poupe, et on voulait bouger notre cul », justifie-t-il, assurant avoir une bande de « quinze potes » prêts à participer. Son visage se rembrunit :
« Après, faut voir si le Bastion suit. Dans ces milieux, ça change tous les deux ans. Le point négatif, c’est qu’il n’y a pas d’idéologie commune. Pour moi, c’est ce qui fait que c’est voué à disparaître. Et il y a aussi des mecs que je peux pas blairer. Mais ça va, on se parle pas beaucoup ».
Pour ouvrir une section et bénéficier du label « Bastion social », il faut obligatoirement avoir un local. « C’est le b.a.-ba », détaille l’ancien membre du Bastion social qui continue de les suivre et les encourager :
« Il faut avoir pignon sur rue. Il faut montrer qu’on peut faire des choses hors-Facebook. C’est un lieu de vie communautaire pour se connaître et pour que les gens puissent venir à nous. »
Les rades constituent un point de départ pour les succursales du mouvement. « Quand on ouvre un local Bastion social, on va voir si on peut reprendre une rue, lance l’ex du groupe. On peut s’agrandir en prenant un autre local à côté du nôtre, grignoter… Se réapproprier les lieux, c’est des choses qu’on prône dans l’extrême-droite européenne ». À Lyon, Logan Djian possédait son salon de tatouage. Une rue à côté, Bissuel avait sa boutique de vêtements, fermée depuis selon Rue89 Lyon.
Après la création du BS, les ennuis judiciaires ont rattrapé ce dernier. En août, il a été condamné à deux amendes de 20.000 euros et 3.000 pour incitation à la haine raciale. Il est également poursuivi et sous contrôle judiciaire pour des violences en marge d’un concert antifasciste en avril. L’instruction est toujours en cours. En septembre, il annonce quitter la présidence pour « des raisons personnelles et judiciaires ».
Au bar à Marseille / Crédits : Yann Castanier
Une nouvelle équipe dirigeante a été mise en place et la direction est partie à Strasbourg, nouvel épicentre du Bastion. C’est désormais Valentin Linder qui donne les ordres, explique Rue89 Strasbourg. Cet ex-membre du GUD dirige la trentaine de membres qui compose la bande. Parmi eux, on trouve Xavier M., un des prévenus de la récente comparution immédiate à Paris. Ce dernier, intérimaire âgé de 24 ans, a re-fondé le GUD Alsace en 2013. D’autres militants proviennent de l’ancien groupe étudiant.
« C’est un des mouvements les plus actifs dans la mouvance politique actuelle », assure Roland Hélie, le patron de la revue d’extrême droite Synthèse Nationale et fin connaisseur des milieux natio’. À l’image de CasaPound, le Bastion cherche à unifier l’extrême droite groupusculaire. « Ça fait partie des fondamentaux du Bastion social », assume l’ancien membre :
« On voudrait que le Bastion soit le seul mouvement en France, qu’on soit tous derrière un seul groupe. C’est ce qu’on essaye de faire et on réussit plus ou moins pour l’instant. »
Selon plusieurs sources, le Bastion Social ne ferme pas la porte à l’idée de se présenter à des élections :
« Il y aura certainement, un jour, un candidat Bastion social. À Lyon car c’est là où on est le plus fort, ou peut-être à Strasbourg maintenant que la direction y est. C’est possible, ça arrivera sûrement ».
Même s’il a le vent en poupe, le nouveau GUD a connu des ratés. Le Bastion strasbourgeois a dû déménager de la rue Vauban car le propriétaire de l’immeuble n’a pas renouvelé le bail du groupe néofasciste. À Lyon, c’est la mairie qui a fait fermer le local.
Les anciens camelots ont rejoint les rangs du BS / Crédits : Yann Castanier
Les ex-camelots du roi
Marseille, samedi 10 novembre 2018. Le Bastion social organise une soirée provençale dans son local du Navarin, en marge du match de rugby France-Afrique du Sud. Tandis que la vingtaine de militants présents devisent gaiement autour d’une pinte et de saucissons vendus cinq euros pièces, on prévient la bande qu’un des leurs, « Babouche », va se lancer dans un petit concert acoustique. Baudouin, de son vrai nom, dirige en plus de la section d’Aix du BS, un groupe de rock « patriote » baptisé Cor Ignis. « La prochaine salle, c’est l’Olympia », rigole le guitariste. « Il va nous faire ses meilleures chansons, s’exclame Claude, le responsable communication du Bastion social. C’est bien de l’encourager car ils vont sortir un deuxième album. »
Assis face à l’assemblée, le médiator dans la main, Baudouin commence sa première chanson à la gloire de Robert Brasillach – un ancien journaliste du quotidien de l’Action française, puis du journal collaborationniste et antisémite Je suis partout, fusillé en 1945. « Idéaliste avant tout… En politique, tu es partout », clame le refrain. Le chanteur enchaîne les tubes natio.
La Royale, l’hymne de l’Action Française, est repris en choeur par presque tous les spectateurs. Et pour cause, que ce soit à Aix ou à Marseille, une grande partie des membres du Bastion social sont issus des rangs des camelots du roi. En février et en mars 2018, les deux sections se sont presque intégralement vidées de leurs militants au profit du nouveau mouvement. À Aix, ils représentent la moitié des quinze membres. À Marseille, on estimait la part de transfuges à 90% « lorsqu’on est partis. Maintenant, on est à 60-40 ». Contacté par Streetpress, Antoine Berth, le porte-parole de l’AF, minimise l’hémorragie. Il n’évoque lui qu’une dizaine de membres « partis au Bastion social car ils ne partageaient plus nos idées politiques ».
Crooner / Crédits : Yann Castanier
Le concert terminé, la soirée provençale peut finalement commencer. Au bar, on distribue les assiettes composées de pissaladière, poivrons et tapenades. C’est Stéphane, un grand gaillard de 46 ans, qui a passé la journée à tout préparer. Cet ancien parachutiste, crâne glabre et combo moustache-bouc, a fait le Rwanda en 1994. « J’en fait encore des cauchemars », confie-t-il sobrement. « Pas de racialisme, t’entendras rien sur les musulmans ici », assure-t-il, un sourire au visage qui semble contredire le ton ferme. À lire, par contre, il y a de la matière. Le frigo du bar est couvert de stickers. Le plus marquant est sûrement celui de l’European Brotherhood, un drapeau français avec une croix celtique et la mention : « France d’abord, Blanche toujours ». Au plafond, un drapeau du régiment Azov – une unité paramilitaire ukrainienne d’extrême-droite – plane. On retrouve également ce fanion sur les murs des locaux d’Aix et de Clermont. Sur les peaux aussi, de la lecture et du visuel : Stéphane a sur son bras une rune du loup – emblème de certaines divisions SS – et un soleil noir, symbole du mysticisme nazi.
Au milieu de ce décor, Roméo tient sa bière d’une main ferme et regarde la salle. Il finit par se rapprocher pour venir raconter son histoire au Bastion. Il a rejoint la section cet été, même s’il vient de Marseille. Avec son accent du sud prononcé, il explique qu’il est arrivé l’année dernière à la fac de lettre pour devenir scénariste parolier. « C’est intimidant quand tu y arrives, il y a plein de personnes avec des cheveux de toutes les couleurs, je n’avais pas l’habitude », décrit-il candidement. Là-bas, il ne se sentait « pas écouté ». Au Bastion social, il l’est. S’il affirme venir de la gauche ouvrière par ses parents, il se définit maintenant de droite. « Mais je n’ai pas eu le choix, on m’a traité de mec d’extrême droite quand je débattais. » Pour ne pas être considéré comme tel, il dit aimer Onfray. Et finit par résumer :
« Si je n’avais pas été méprisé, je ne serais pas là. »
(sans titre) / Crédits : Yann Castanier
De nombreux transfuges
Les monarchistes ne sont pas les seuls à avoir quitté un mouvement existant pour rejoindre le BS. Dans le groupe marseillais, on compte par exemple Olivier Bianciotto. Cet ancien chargé de mission du Parti de la France avait auparavant fondé le Mouvement Populaire pour une nouvelle aurore (MPNA). Un groupuscule qui s’était fait remarquer par la profanation de la statue du buste du résistant Missak Manouchian. Le trésorier du Bastion social Strasbourg, Thomas Beauffet, a lui aussi un passé militant à l’extrême droite. Il a été le chef de la section locale de la Dissidence française et a milité aux Jeunesses Identitaires, dès ses 17 ans. Dans une vidéo mise en ligne en 2017, il se revendique fasciste, compare les étrangers à des rats et appelle à voter Marine Le Pen même s’il trouve cette dernière « molle ».
On retrouve également des anciens identitaires à Clermont. Avant 2012, le petit groupe qui se surnomme « l’Oppidum » faisait allégeance au Bloc Identitaire. À Chambéry, c’est un autre groupe déjà constitué qui s’est rallié au Bastion Social : Edelweiss Pays-de-Savoie, une bande fasciste issue des Jeunesses Nationalistes, mouvement dissous après le décès de Clément Méric. Le Bastion Social ratisse large. On trouve aussi ici où là une poignée d’anciens Blood & Honour, un groupuscule néo-fascistes ultra-violent. Mais aussi des « autonomes ». Le nouveau mouvement a permis à ces nationalistes locaux de prendre une nouvelle dimension et « d’avoir une communauté à travers toute la France », explique un interlocuteur de Chambéry.
Au bar II / Crédits : Yann Castanier
Des liens avec le Rassemblement National
Aux côtés de ces néo-fascistes assumés, on retrouve des anciens du Rassemblement National (RN) pas vraiment convaincus par la stratégie de dédiabolisation initiée par Marine Le Pen, comme Lionel Bénis. Le vice-président du Bastion strasbourgeois était l’ancien colistier de Jean-Luc Schaffhauser aux municipales 2014. La femme de Jérémy Palmieri, l’ancien coordinateur des sections marseillaise et aixoise du Bastion, a elle été collaboratrice de Marion Maréchal-Le Pen au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Certains étaient aussi au FNJ, comme le Chambérien Franck Cuter, un passionné de l’Olympique Lyonnais.
Ces liens avec le parti d’extrême droite sont renforcés par les déclarations de certains cadres du parti. Jean-François Jalkh, l’éphémère président du Front national en 2017 avait publié un tweet de soutien avant de le retirer. Tout comme Stéphane Ravier, le sénateur-maire RN du VIIème secteur de Marseille qui lui n’a pas retiré son message.
Pas vraiment une surprise quand on sait que les membres de l’Action Française, qui ont depuis rallié le BS, ont participé à sa campagne en 2014. Des conseillers régionaux et des élus locaux, répertoriés par La Horde ont également publiquement assuré le Bastion de leurs soutiens.
« On n’a pas de relations particulières avec les élus », indique pourtant Thomas, le nouveau responsable du Bastion marseillais, à la manière des autres responsables de sections quand on les questionne sur leurs liens avec le parti d’extrême droite :
« On peut croiser Stéphane Ravier ou échanger quelques mots mais on n’a pas de stratégie d’alliance. »
« On est clairement indépendant, on n’est pas rattaché au FN », martèle également l’ancien membre du Bastion social autour d’un café. Pourtant, ce dernier concède qu’il y a pu avoir des dons financiers de membres du FN.
Sympas les tatouages / Crédits : Yann Castanier
Le Bastion Social recrute dans les stades
Si le gros des troupes avait déjà un engagement à l’extrême droite avant de rejoindre le Bastion Social, l’organisation recrute également dans les tribunes des stades de football. Au sein de la mouvance « indep », les hooligans français. En Alsace, le BS pioche allégrement au sein du groupe hools Strasbourg Offender. Le secrétaire du BS en Alsace, Philippe Cavaleri est à l’origine de ces ralliements. Cet habitué des stades et du coup-de-poing a ramené avec lui au moins six autres coutumiers de La Meinau, l’enceinte du Racing Club de Strasbourg. Il a été condamné en 2008, dès ses 20 ans, pour des violences aux abords du stade.
À LIRE AUSSI : Ces hooligans néonazis qui squattent les tribunes des stades de foot
On retrouve des liens similaires à Lyon. La vingtaine de membres actifs du BS peut monter jusqu’à « 30 ou 40, grâce aux soutiens de certains groupes d’extrême droite présents au stade », note la Jeune Garde Lyon, un groupe antifasciste. Ses membres se rendent régulièrement dans le Virage Sud, bien qu’ils ne soient pas affilié à un groupe ultra. « Avant, Génération Identitaire faisait du tractage dans le stade. Là, on a l’impression que les groupes sont moins perméables. C’est dû à la pression du club surtout. Mais la politique du Bastion reste d’envoyer des militants au stade et créer des liens », continuent les antifas. Steven Bissuel était notamment au procès d’un hooligan lyonnais en mars 2018, comme l’avait révélé Rue89 Lyon.
Bastion mécanique / Crédits : Yann Castanier
Peur sur la ville
Et si le Bastion regroupe des militants au parcours et à l’idéologie éparse, ils partagent un goût prononcé pour la violence. Dans chaque ville où il s’est installé, il a eu droit à son procès. À Strasbourg, le trentenaire Thomas Beauffet a pris huit mois de prison ferme en décembre 2017 pour des violences aggravées lors de la soirée d’inauguration du local. À Marseille, Clément Duboy et Jérémy Palmieri ont aussi écopé de peine de prison. Le premier est l’ancien responsable de la section phocéenne du Bastion, le second était donc le coordinateur des antennes d’Aix-en-Provence et de Marseille. Les deux ont été condamnés à six mois de prison fin juin, pour des violences en réunion commises lors d’une soirée de collage d’affiches sur un gendarme en civil et son ami. Le 30 mai, Clément Duboy avait déjà été condamné à un an de prison, dont huit mois avec sursis, pour avoir pris part à des violences contre un couple à Aix.
Mais le grand coup dur reste l’auto-dissolution du mouvement à Clermont-Ferrand mi-octobre, trois mois après l’ouverture du local, en raison du procès du président de la section et d’un autre membre qui avaient attaqué quatre personnes dans la nuit du 8 au 9 septembre : Quentin G., le président, et Tristan A. Les deux prévenus sont âgés de 21 et 24 ans. Le dernier est connu des services de police, avec six condamnations depuis 2013, dont notamment un vol en réunion et deux ports d’armes. Il est fiché S depuis 2011. Le procès a lieu mi-octobre et tisse le fil des événements.
Il est 2h11 lorsque la rixe a lieu. Après avoir profité de la soirée devant le match du rugby de l’ASM, quatre badauds rentrent chez eux. L’Oppidum, lieu du Bastion dans la capitale auvergnate, est sur le chemin du retour. Devant la porte ouverte, un passant lance à un autre : « C’est le local des fachos », tout en continuant leur chemin. Dans le même temps, Quentin G. et Tristan A. sortent du local et les rattrapent sur la place avoisinante pour demander : « Qui a dit ça ? ».
En face, on tente de faire baisser la tension mais l’auteur de la phrase finit par se présenter. Il se prend un direct du droit par Quentin G. Après le premier coup-de-poing, un des passants s’interpose mais le président du BS prend ses lunettes et les écrase. Tristan A. lui donne ensuite un coup sur le nez. Un troisième homme se prend un coup de pied. Il chute contre un trottoir et se fracture le tibia péroné. Verdict médical : 60 jours d’ITT.
L’affrontement à sens unique prend fin à 2h13. Selon le juge, Tristan A. prévient une des victimes :
« Barre-toi ou je te finis. »
Lui ne s’en souvient pas. « J’ai mis un coup de pied à quelqu’un au sol pour ne pas qu’il se relève, mais pas plus », se défend le Vendéen. Dès le lendemain, Tristan A. et Quentin G. sont en fuite et ont coupé leurs téléphones portables. Les services de police sont alertés sur la dangerosité des individus et un mandat de recherche est lancé.
Ils sont finalement arrêtés après dix jours de cavale, dans le Bas-Rhin (67), à Mommenheim chez une certaine Elodie L. Une « nostalgique du 3e Reich selon la décoration de son appartement », note le PV d’instruction. Selon notre information, cette dernière fait partie du Bastion social Strasbourg. Quentin G. est condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis et six autres aménageables. Il ressort libre du tribunal. Tristan A. est lui condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis. Il a également une interdiction de paraître dans le Puy de Dôme et de possession d’arme pendant trois ans. Quand le verdict tombe, il se colle la tête contre la vitre. L’avocat des victimes a indiqué à StreetPress en octobre qu’il allait faire appel. Ce n’est pas la seule violence dans la ville d’Auvergne. Un Clermontois avait déjà écopé de 45 jours d’ITT après une agression « par erreur ».
A la fraîche, devant le local / Crédits : Yann Castanier
Agressions de militants de gauche
Du côté du Bastion, on jure que le mouvement n’a « pas vocation à recourir à la violence ». Un discours partagé par Mathias Jacquet, lorsque StreetPress l’a rencontré en octobre dernier. Ce dernier est le responsable à Chambéry et un des membres du bureau national du Bastion. « La violence n’est pas un moyen d’expression politique », condamne-t-il attablé dans un café. Il est ce jour-là accompagné de Romain L. et de Franck Cuter, 17 et 18 ans. Tous les trois ont pourtant été impliqués dans au moins une affaire de violences au soir de la finale de la Coupe du monde. Plusieurs militants du Bastion social tombent sur des supporters d’origine étrangère qu’ils passent à tabac avant de conclure par un salut nazi. Une agression que StreetPress raconte en détail ici.
À LIRE AUSSI : Bastion Social, une virée violente pour fêter le titre des Bleus
Parmi les mis en examen dans ce dossier, Mathias Jacquet et Florian Danger sont déjà passés devant la justice un an auparavant. Les deux hommes – accompagnés de trois autres membres d’Edelweiss : Marc-Antoine Tabacco, François Delagrande et Franck Cuter – ont écopé d’un rappel à la loi après avoir attaqué le concert de rentrée de la fédération anarchiste locale, le 20 octobre 2017, avec l’aide d’une ceinture à chaîne triplex. Une bagarre qui n’a duré que quelques secondes où deux personnes ont écopé d’arrêts de travail d’un et trois jours. Les membres du groupe sont ensuite partis en criant :
« On se retrouvera, on va vous buter, vous trouver en ville. »
Une autre agression, classée sans suite, a eu lieu en mai dernier. Elle ciblait un groupe proche des milieux antifas. Sur une vidéo que StreetPress a pu voir, on y identifie clairement Mathias Jacquet et Bruce V., un des mis en examen du 15 juillet. Selon les antifas, depuis l’ouverture du local les militants du Bastion Social font planer une menace nouvelle sur la ville :
« Ça a été l’élément déclencheur. Avant, sur Chambéry, il n’y avait jamais eu de trucs comme ça. »