Des années 70 jusqu’à la fin des années 90, Alain Gaussel a raconté ses histoires aux enfants du 93. Puis plus rien, jusqu’à ce qu’une association d’Aulnay le retrouve.
Parc des Chanteraines, Villeneuve-la-Garenne (92) – Malgré le soleil, il n’y a que peu d’enfants ce mardi 1er mai dans les allées du parc. Seul sur son banc, une paire de béquilles à sa gauche, le conteur octogénaire ne passe pas inaperçu. En attendant un hypothétique public, Alain Gaussel se penche sur son magazine. Ses longs cheveux blancs volent au vent. « C’est pratique », dit-il en les caressant, « ça me protège les oreilles quand il vente ou qu’il fait froid ». Il ne les a pas coupés depuis 1968, quand le Jardin du Luxembourg a interdit l’entrée aux individus à longs cheveux, vu comme des fauteurs de trouble :
« J’ai promis de ne plus jamais me couper les cheveux et ça m’a fait gagner beaucoup de temps. »
Ce temps gagné, Alain Gaussel l’a passé à raconter des histoires aux enfants de Seine-Saint-Denis. Il est jeune adulte quand il se lance dans le conte, d’abord pour ses proches puis dans quelques bibliothèques. Mais c’est lorsqu’il déménage à l’Île-Saint-Denis en 1970 – « j’avais alors une quarantaine d’année » – qu’il décide de conter en plein air. Parfois dans les parcs, souvent au pied des tours du 93. En 1986, quand il prend une retrait anticipée, il décide d’y consacrer ses journées.
Des heures et des heures
A ses débuts, sa dégaine atypique effraie un peu les bambins. « Tu veux que je te raconte une his…? » Les gamins prennent la poudre d’escampette avant même la fin de la question. Il décide alors de simplement s’asseoir et de débuter ses histoires. La stratégie est payante. Il gagne un surnom : l’homme-qui-raconte-des-histoires. Il se souvient :
« Je contais pendant des heures et des heures, durant huit heures certaines journées. Le matin dans telle bibliothèque, l’après-midi dans telle commune, et le soir en été, après le dîner. »
Une passion ? Le mot est « un peu trop fort » pour lui. « On va dire que j’aime ça ». Il ne saurait expliquer pourquoi, c’est juste… « naturel ». Alors pendant près de 30 ans, Alain Gaussel arpente les rues du 93 pour partager des histoires de son invention et des classiques qu’il se réapproprie, comme La princesse entre lait et sang, un conte corse :
« J’ai même vu grandir des gosses, et à 15 ou 16 ans il me redemandait de leur raconter à nouveau cette histoire. »Alors pour la énième fois, il raconte, mimant les gestes et les grimaces des personnages.
Militantisme et contes
Malgré son air insouciant, l’engagement d’Alain Gaussel n’est jamais bien loin :
« J’étais militant antiraciste dans les années 60 et 70. Je faisais partie du comité de direction du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples [Mrap]. »
Entre son boulot dans une revue de documentation sur l’environnement la semaine et ses nombreux engagements associatifs les week-end, le temps manque pour raconter des histoires. Il fait un choix : abandonner ses fonctions au Mrap pour se consacrer aux contes. Mais pour lui, militantisme et conte public se rejoignent. Il contait parfois à mi-chemin entre deux quartiers rivaux, permettant ainsi aux enfants de se rencontrer. Dans les quartiers où les bibliothèques sont inexistantes, « raconter des histoires » permet aussi aux plus jeunes d’avoir un accès facile et « agréable » à la littérature. Ses histoires permettent aussi de transmettre certaines de ses valeurs aux plus jeunes :
« Quelques-unes de mes histoires ont des morales importantes. Comme celle du petit chat, dans ce conte on apprend que l’essentiel c’est de s’aimer tel qu’on est et d’avoir de bons amis. »
Le retour
A la fin des années 90, le passeur d’histoire déserte les banlieues parisiennes :
« A cause de l’arthrose je ne peux plus m’assoir par terre et marcher autant qu’avant, Aulnay-Sous-Bois et d’autres communes de la Seine-Saint-Denis ne sont pas aussi bien desservies par les transports que la capitale. »
Lui qui avait l’habitude des grandes promenades en solitaire et pouvait marcher jusqu’à 30 km par jour, a donc cessé de conter au-delà du périph’. Aujourd’hui, il « raconte » encore dans des écoles parisiennes et ici, au Parc des Chanteraines à Villeneuve-la-Garenne, à un quart d’heure de chez lui en transport en commun.
Les retrouvailles ! / Crédits : Association SCPT
Son départ laisse un grand vide. Il en prend conscience le 21 avril dernier, lors de la rencontre organisée par l’association Sport et culture pour tous d’Aulnay. Nawal Saddiki, présidente de l’association écoutait Alain Gaussel pendant son enfance, dans le quartier de la Rose des vents :
« J’avais à peine sept ou huit ans, aujourd’hui j’en ai 32, le personnage et les histoires ont marqué nos esprits d’enfants ici et sur plusieurs générations. Il nous a appris à aimer la culture. »
Elle a retrouvé la trace du conteur sur Facebook où la demi-soeur de se dernier a l’habitude de publier des vidéos de son frère. Elle a même créé, sur le réseau social, le groupe, Au conteur Alain de l’île-Saint-Denis.
D’autres « retrouvailles » devraient être organisées dans le département. Alain Gaussel promet de ne pas disparaître à nouveau :
« C’est vrai à l’époque je suis parti sans dire aurevoir. Les enfants ne connaissaient ni mon nom, ni mon adresse. J’étais juste l’homme-qui-racontait-des-histoires. »
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