L'assoc' « Cheri Coco » squatte l'ancienne gendarmerie de Pantin, à quelques mètres du projet d'urbanisme le plus bling-bling du 93. Une manière de dénoncer la gentrification de la ville, avant l'expulsion déjà programmée.
Pantin – Seine Saint-Denis (93) Sur l’imposant portail bleu du 2 rue Lakanal, une affichette placardée côté cour indique aux habitants la procédure à suivre en cas de visite d’un huissier :
« On ne lui ouvre surtout pas la porte, on lui dit qu’il faut s’adresser à l’association Cheri Coco et que le responsable n’est pas là pour le moment. »
Depuis le mois de juin 2013, le bâtiment de l’ancienne gendarmerie de Pantin est occupé par un collectif de 12 squatteurs. Les habitants de l’immeuble abandonné se préparent à l’évacuation prononcée en décembre dernier par le tribunal administratif de Montreuil. Mais à quelques semaines des municipales, les squatteurs veulent « faire de l’agitation autour de leur expulsion ». Leur cible : le maire sortant et candidat à sa réélection Bertrand Kern (PS), qu’ils accusent de gentrifier la ville.
Génération précaire Dans l’arrière-cour de l’ex-gendarmerie, des poules ont remplacé les poulets. Plusieurs ruches ont été aménagées mais elles ne produisent pas encore de miel. Juliette*, 24 ans et occupante du bâtiment, est amère :
« Quand on parle de logement à Pantin, on ne lit que des articles hagiographiques sur le maire Bertrand Kern qui brooklynise la ville. Nous, on veut montrer le revers de la médaille. »
Depuis 8 mois, 12 squatteurs réunis dans l’association loi 1901 Chéri Coco occupent l’ancienne gendarmerie de la ville. En plus des membres du collectif, l’immeuble accueille des résidents de passage. Âgés de 24 à 47 ans, tous se présentent comme des précaires qui n’ont pas accès au marché locatif local. Parce qu’ils ne peuvent pas présenter de garantie, qu’ils sont au chômage ou qu’ils sont en CDD. L’immense bâtisse, propriété du Conseil Général de Seine-Saint Denis, leur offre une soupape. « Il y a même un Dalo parmi nous », souligne Juliette, qui vit une de ses premières expériences en squat dans cet immeuble abandonné en 2011.
Miami sur Ourcq Au croisement de la rue Lakanal et des berges du canal de l’Ourcq, la vue est imprenable sur « New Port », le gigantesque projet d’urbanisme qui doit transformer Pantin. Initié en 2011 à l’initiative de la municipalité, « New Port » est un ensemble d’une dizaine de bâtiments de standing qui va accueillir 370 logements, des restaurants et des entreprises. Parmi elles, la multinationale de la com’ BETC en train de prendre ses quartiers dans l’ancien bâtiment des douanes. Cerise sur le ghetto, « New Port » disposera aussi … d’un port de plaisance ! A l’automne, c’est Chanel qui s’était déjà installé à quelques blocs de ce grand ensemble über bling-bling, construit par le promoteur Nexity et inauguré courant 2017. De quoi donner à Pantin des airs de Brooklyn – le borough le plus hype de New-York.
Map – Brooklyn-sur-Ourcq, c’est ici !
Ce que dénoncent les squatteurs de la rue Lakanal : l’augmentation probable du coût de la vie dans la ville, qui va aller de pair avec l’arrivée de cadres. Juliette est remontée :
« C’est attractif pour toute une partie de la population mais ça se fait au détriment d’une autre, déjà précarisée, qui va devoir payer plus cher son logement et même son café au bistrot. »
Kill the poor Joint par StreetPress, la mairie de Pantin balaie les accusations des squatteurs de la rue Lakanal :
« Il y aura 33% de logements sociaux dans le projet global de la ZAC du port. Et le projet New Port de Nexity en comptera 19%.»
Un bon plan, donc, pour des allocataires plus souvent habitués à loger dans des barres décrépies. Juliette dénonce pourtant le projet :
« C’est du logement social qui n’est pas du logement social. »
A « New Port », le prix du mètre carré des 70 logements sociaux est fixé à 3.300 euros pour les bailleurs. « Au-dessus de 2.800 euros, c’est clairement trop cher pour bailleur social qui est forcément déficitaire », confie une source à la mairie de Pantin.
Les squatteurs craignent que les futurs appartements bénéficient principalement aux tranches hautes des bénéficiaires de logements HLM. Comme les catégories PLS, avec au minimum des revenus fiscaux équivalents à 30.000 euros par an pour une personne. Soit un salaire de 2.500 euros par mois. La municipalité promet, de son côté, une répartition équilibrée entre les différents types d’allocataires.
L’ancienne gendarmerie squattée par Juliette et ses potes s’intègre, elle aussi, dans un futur projet d’accession à la propriété chapeauté par l’Office HLM du 93. Son bailleur le confirme à StreetPress : Il est réservé aux bénéficiaires de logements sociaux les moins défavorisés. Juliette synthétise:
« Même la politique du HLM a pour but d’éloigner les pauvres du centre-ville. »
Elections municipales Avec un camarade, Juliette énumère les populations en situation « d’hyper précarité » qui vivent à Pantin : des Roms, des Tchétchènes, des travailleurs sans-papiers et des chômeurs qui ne peuvent pas postuler à ces logements sociaux.
Juliette voudrait « faire remonter leur situation » :
« La question se pose pour nous mais aussi pour plein de gens obligés de passer par des marchands de sommeil. »
Il y a quelques mois, les squatteurs n’ont pas laissé entrer l’entreprise chargée de faire les premiers diagnostics dans l’immeuble, nécessaires avant le rachat par l’office HLM. Le projet est en stand-by. Le Conseil Général a demandé à ce que l’expulsion des squatteurs intervienne après la trêve hivernale, une fois les élections municipales passées. « Ça donnerait une mauvaise image de la mairie s’ils nous viraient avant », s’amuse Juliette. Les squatteurs de se féliciter de la venue au 2 rue Lakanal des candidats Front de Gauche, Europe-Ecologie et même MoDem :
« On pose problème et ils se sentent obligés de se positionner face au PS sur les questions de logement. »
*Le prénom a été modifié
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