13h, un jeudi, dans les locaux de TV5 Monde, Paris 17e. J’attends dans le hall que Julien Gueit, chargé de communication de l’Agence française de coopération médias (CFI) vienne me chercher. Ensemble, nous prenons l’ascenseur. 5e étage, au fond du couloir, il ouvre une porte de verre fumé.
Lina Chawaf, la rédactrice en chef de Radio Rozana est au rendez-vous. Tailleur sobre et sourire automatique, la Syrienne semble avoir l’habitude des médias. Si elle n’a pu me recevoir dans le studio de sa radio, c’est que « les journalistes syriens en France ont peur d’être reconnus, ils craignent pour leurs familles restées au pays ». Pour des raisons de sécurité, pas d’images non plus.
« Neutralité » Radio Rozana a été lancée le 26 juin dernier. C’est aujourd’hui la seule radio syrienne libre. Créée pour les Syriens restés au pays, la radio est diffusée sur internet, par satellite « et peut-être bientôt sur la bande FM » espère Lina Chawaf. Des journaux, des débats et des documentaires sont diffusés lors des deux heures de programmation quotidiennes, en arabe. Les témoignages de citoyens sont au centre de la programmation : « Nous voulons nous concentrer sur l’aspect humain du conflit avec des récits humains, non politiques, qui concernent directement la population » explique Lina Chawaf.
Elle insiste sur « la neutralité » de la radio : « Nous nous appuyons sur des valeurs d’indépendance et de liberté mais nous ne travaillons pour aucun groupe politique ». D’après elle, le journaliste n’a pas à exprimer d’opinion politique, « il vaut mieux laisser les politiciens parler. Nous ne faisons que relayer l’information. » Peut-être aussi une manière de tenter d’éviter d’entrer en conflit direct avec le régime.
Officiellement, la radio serait financé par cinq organisations, toutes européennes, pour la promotion des médias libres et gratuits à travers le monde. Des structures issues de pays farouchement opposés à la dictature Baasiste. Parmi les principaux bailleurs de fonds, Canal France International, une filiale de France Télévisions subventionnée par le Quai d’Orsay.
Sur ses rapports avec le ministère, Lina reste vague : « il nous soutient et se préoccupe de notre sécurité ». Impossible d’en savoir plus. CFI dit rechercher activement des nouveaux financements, principalement auprès de l’Union Européenne, notamment pour assurer le bon fonctionnement de la radio dans les années à venir. Car des fonds, Radio Rozana en aurait suffisamment pour tenir une année au rythme de deux heures de diffusion quotidienne. Son objectif : émettre 24 heures sur 24, donc plus de journalistes à payer. La radio a aussi pour ambition d’être diffusée sur bande FM : « il nous faut plus de fonds pour acheter un transmetteur. »
Formations Actuellement, cinq journalistes syriens en exil travaillent au studio, à Paris, mais ils sont une trentaine de correspondants en Syrie à alimenter les programmes de la radio. Vingt sont à temps plein, dix en free-lance. Ils couvrent l’ensemble du territoire : la « zone libérée » comme la partie du pays toujours sous le contrôle du régime. Dans cette partie du pays, impossible pour eux de s’afficher comme journalistes.
Certains étaient déjà journalistes avant le début de la révolution, parfois même dans des médias officiels. D’autres, issus des milieux intellectuels syriens, ont sauté le pas au début du conflit, alimentant les médias internationaux alors que le pays est replié sur lui-même.
Avant de rejoindre Radio Rozana, tous ont suivis une formation organisée par Canal France International « avec l’expertise de Reporter sans frontière », insiste Julien Gueit. « Sans contrepartie et sans interférer dans leur travail », précise le porte-parole de l’agence. Deux stages de 22 jours chacun, organisés à Gaziantep en Turquie ces derniers mois, pour apprendre à travailler de manière professionnelle, à sécuriser leurs informations mais surtout pour se débarrasser de l’autocensure. « Après tant d’années de dictature, il est difficile pour eux de comprendre qu’ils sont maintenant totalement libres de dire ce qu’ils ont à dire, explique Julien, Sur le territoire toujours occupé, ils ont encore énormément de pression. Mais nous leur rappelons constamment que l’important est la véracité de l’information. »
Sécurité C’est à partir des informations et des témoignages recueillis sur le terrain, puis envoyés via des serveurs sécurisés, que les journalistes syriens en exil à Paris montent les sujets diffusés à la radio. « Sur place, ils n’ont pas besoin de beaucoup d’outils pour travailler. » explique la rédactrice en chef. Le format radio leur permet de recueillir des témoignages plus facilement : « comme il n’y a pas d’images, les gens n’ont pas peur et s’expriment librement ». Il reste pourtant difficile de se déplacer en « zone occupée ». Ils prennent un maximum de précautions pour ne pas rejoindre les 80 journalistes syriens ayant trouvés la mort depuis le début du conflit
Même en France, les journalistes restent prudents. Ils craignent les services syriens qui poursuivent les réfugiés jusqu’à la capitale depuis plusieurs années, n’hésitant pas à agresser les exilés. La peur d’être surveillé par le régime est omniprésente : « parfois, même dans notre entourage, des personnes font parti du Mukhabarat sans que nous le sachions jamais. Donc même ici, à Paris, peut-être qu’il y a des agents secrets. » Inquiets pour leurs familles restées en Syrie, certains journalistes syriens vivant dans l’Hexagone refusent d’apparaître dans les médias et donnent de faux noms à l’antenne, « c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas vous recevoir dans notre studio. »
Vidéo – Clip de présentation de Radio Rozana
Lina Chawaf, réd’chef de Radio Rozana, l’un des seuls visages de la rédaction que vous verrez
Paris Pour sa part, Lina Chawaf possède une carte de résidente au Canada mais vit en France, pour la radio, puisque c’est là que de nombreux journalistes syriens ont trouvé refuge. « Ceux qui ont refusé la propagande du régime sont connus. Nous nous sommes facilement retrouvés en France », explique-t-elle. Mais le régime est-il au courant ? La rédactrice en chef est catégorique : « évidemment. Mais nous n’avons pas encore eu de leurs nouvelles. » Dans l’attente, toujours cette même peur : « Ma famille proche est en dehors du pays mais j’ai encore des cousins et des amis en Syrie. »
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